MANAMA (AP) — L’armée bahreïnie s’est retirée samedi en milieu de journée de la place de la Perle dans le centre de la capitale Manama, où les forces de sécurité avaient ouvert le feu vendredi sur des milliers de manifestants bravant l’interdiction de rassemblements publics.
Selon des responsables d’hôpitaux et du ministère de la Santé, on compte plus de 50 blessés, dont sept sont dans un état critique.
Le retrait des militaires est l’une des conditions posées par l’opposition pour entamer un dialogue politique, promis par le prince héritier Salman ben Hamad Al-Khalifa. Mais l’un des chefs de l’opposition, Ibrahim Sharif, a réclamé des garanties avant d’entamer des discussions avec le pouvoir.
Le prince héritier, qui est également commandant adjoint des forces armées, a ordonné, selon un communiqué officiel publié samedi, le « retrait de toutes les forces armées des rues de Bahreïn avec effet immédiat. La force de police de Bahreïn continuera d’assurer l’ordre et la sécurité ».
Samedi à Manama, des Bahreïnis ont salué le départ des blindés à coups d’avertisseurs sonores, en agitant des drapeaux et en faisant le « V » de la victoire. On ignore si les militaires regagnaient leurs bases ou se retiraient simplement de la place.
Dans le même temps, a constaté un photographe de l’Associated Press, des policiers ont tiré des gaz lacrymogènes sur des manifestants qui fêtaient le départ de l’armée et interpellé au moins dix personnes.
Vendredi, les forces de sécurité ont ouvert le feu, à balles réelles, contre des milliers de manifestants qui tentaient de se rassembler place de la Perle, d’où ils avaient été délogés une première fois la veille.
Les blessés les plus grièvement atteints vendredi ont été amenés dans le principal hôpital de la ville, Salmaniya. Des médecins et membres du personnel médical étaient en larmes en voyant l’état des blessés. « C’est une guerre », expliquait le Dr Bassem Deif, en examinant des victimes, dont les os ont été pulvérisés par les balles.
Les témoins ont décrit des scènes de chaos et d’horreur dans le centre de Manama vendredi, où les manifestants se dirigeaient vers la place de la Perle, coeur symbolique du soulèvement contre les dirigeants du petit Etat insulaire. Un cameraman de l’Associated Press a vu passer des blindés surmontés de mitrailleuses. Des tirs de semonce ont eu lieu, en l’air, des gaz lacrymogènes ont été tirés. Puis les soldats regroupés autour de la place de la Perle ont ouvert le feu sur les manifestants.
« Les gens ont commencé à courir dans toutes les directions, les balles volaient », a témoigné Ali al-Haji, un employé de banque âgé de 27 ans. « J’ai vu des gens touchés dans les jambes, au torse, et un homme saignait de la tête ». Mohammed Abdullah, un manifestant de 37 ans, raconte qu’un mouvement de panique a suivi les tirs.
Des appels au renversement de la monarchie avaient auparavant été lancés à l’occasion de la prière du vendredi et des funérailles de manifestants tués jeudi lors d’une première intervention sanglante des forces de sécurité place de la Perle contre des manifestants réclamant des réformes politiques. L’assaut a fait au moins cinq morts et près de 250 blessés.
Le président américain Barack Obama a évoqué la situation vendredi lors d’un entretien téléphonique avec le roi de Bahreïn, Hamad ben Isa Al Khalifa, invitant le souverain à faire cesser les violences, respecter les « droits universels » de la population et mettre en place des réformes sérieuses ».
« Je suis profondément préoccupé par (…) les violences au Bahreïn, en Libye et au Yémen. Les Etats-Unis condamnent le recours à la violence par les gouvernements contre les manifestants pacifiques dans ces pays et partout ailleurs », a déclaré le chef de la Maison Blanche dans un communiqué. « Les Etats-Unis exhortent les gouvernements de Bahreïn, de Libye et du Yémen à faire preuve de retenue face aux manifestations pacifiques et à respecter les droits de leur population », ajoute-t-il.
Le prince Salman ben Ahmad Al-Khalifa est de son côté apparu à la télévision nationale pour présenter ses condoléances après « ces jours douloureux » et lancer un appel à l’unité, souhaitant un dialogue « avec toutes les parties ».
Ibrahim Sharif, un des dirigeants de l’opposition, a souligné samedi que le retrait de l’armée de la capitale n’était pas suffisant pour entamer le dialogue. Les manifestants, a-t-il souligné, doivent pouvoir manifester librement, sans crainte d’être attaqués. AP