« Si nous voulons que tout reste tel que, c’est qu’il faut que tout change ». A coup sur, à la chancellerie, on a beaucoup relu Le Guépard de Giuseppe Tomasi avant de rédiger le projet de loi sur la garde à vue qui a été examiné ces derniers temps au Parlement.

Si la réforme affichait de louables intentions, elle promet de n’en réaliser aucune. Mme Alliot-Marie dont c’était le testament en tant que garde des sceaux avait pourtant clamé que de nombreuses avancées permettraient enfin de mettre la procédure pénale française en conformité avec le droit européen. Las. En fait d’avancées, il s’agit d’effets d’annonces et de mise en conformité, il est moins que jamais que question.

Les annonces d’abord. Selon le garde des sceaux, la loi modifiée permettrait en premier lieu de faire baisser significativement le nombre de gardes à vue décidées chaque année car la mesure ne serait plus appliquée que pour la seule répression des délits frappés d’au moins un an d’emprisonnement.

Mais chacun sait qu’il y a un nombre excessivement réduit de délits sanctionnés par une peine inférieure. Ainsi, la conduite automobile avec un taux d’alcool dans le sang supérieur au seuil légal fait encourir jusqu’à deux ans de prison ; l’atteinte à l’intimité de la vie privée ou le fait de réaliser un montage audio ou vidéo illicite, pour ne prendre que ces exemples, sont réprimés chacun par un an de prison… Les policiers peuvent être rassurés, il sera beaucoup plus difficile de trouver une infraction ne donnant pas lieu à placement en garde à vue que l’inverse.

Au rang des avancées, la chancellerie avait également mis en avant l’interdiction des fouilles à corps intégrales et la notification au gardé à vue de son droit à garder le silence.

Les fouilles à nu sont déjà règlementées par l’article 63-5 du Code de procédure pénale qui dispose que « lorsqu’il est indispensable pour les nécessités de l’enquête de procéder à des investigations corporelles internes sur une personne gardée à vue, celles-ci ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet ». L’ignorance de ce texte et le recours généralisé à cette pratique dégradante avaient déjà nécessité une circulaire ministérielle du 11 mai 2003 et plus récemment, une note du directeur général de la police nationale en date du 9 juin 2008. Sans aucun effet. Le texte nouveau propose donc d’encadrer ce qui l’est déjà. Il est à craindre que ce soit avec le même succès.

Quant à la notification au gardé à vue de son droit à garder le silence, il y a eu à ce sujet tellement de revirements en dix ans que c’est à en avoir le mal de mer. Entre 2000 et 2002, l’article 63-1 du code de procédure pénale prévoyait que les gardés à vue soient informés de leur droit de se taire. Cette disposition avait été atténuée une première fois au mois de mars 2002 avant d’être abrogée un an plus tard. Elle devrait maintenant réapparaître. Tant mieux. Mais ces atermoiements ne changeront rien, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), ayant heureusement et depuis longtemps jugé que le droit au silence était consubstantiel de la présomption d’innocence et devait trouver application à tous les stades de la procédure.

Pour toutes ces avancées qui n’en sont pas, on pouvait au moins espérer qu’il serait fait toute sa place à l’avocat dans le cadre de la garde à vue. Les décisions de la CEDH, puis du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation sont claires à ce sujet : la mise en cause d’une personne dès l’enquête de police sans l’assistance effective d’un avocat viole le droit au procès équitable et par la même les droits de la défense.

Effectivement, dans la réforme envisagée, tout a été fait pour prévoir l’assistance de l’avocat… et pour s’en passer !

Si la réforme était adoptée, quel que soit le motif du placement en garde à vue, le procureur ou le juge des libertés, pourra différer la présence de l’avocat pour une durée de douze heure ou de vingt quatre heures pour le régime de droit commun et pour une durée de quarante-huit ou soixante-douze heures pour les gardes à vue dérogatoires (terrorisme, stupéfiants etc.) Ainsi, en dépit de la ferme condamnation de la Cour de cassation, il n’a pas été prévu de renoncer à l’exercice décalé des droits de la défense pour les infractions les plus graves qui aboutissent à ce résultat paradoxal : plus le régime est sévère, moins le gardé à vue se trouve en capacité de se défendre.

Pis, pour justifier de cette présence différée de l’avocat en garde à vue, il a été avancé dans le projet de loi « la nécessité de recueillir rassembler ou conserver les preuves » ou de prévenir « une atteinte aux personnes ».  Voudrait-on insinuer que l’avocat qui est un auxiliaire de justice, subtilise des pièces utiles à la manifestation de la vérité ou pire qu’il peut commanditer ou se faire le complice d’un homicide?

Le maintien de ces dispositions aussi floues que scandaleuses, survivance d’un temps où l’avocat était tout aussi suspect que son client, pourrait en tout cas valoir à la procédure réformée d’être retoquée, à peine votée. Que penser encore du fait, qu’en matière de terrorisme, l’avocat serait nécessairement choisi par le bâtonnier sur une liste établie par le conseil de l’ordre, ce qui est une atteinte caractérisée au libre choix de la défense qui est pourtant un autre principe consacré par le droit européen ?

Mais ce n’est pas le pire. Le pouvoir après avoir outrageusement abusé de la pratique de la garde à vue pensait se contenter d’un saupoudrage de droits anciens présentés comme nouveaux et d’une présence prétendument accrue de l’avocat pour rendre conforme la procédure pénale française au regard du droit européen. Il n’en est rien.

La surprise n’est pas venue du côté de l’avocat à qui l’on entrouvre la porte mais du procureur, théoriquement chargé en tant que magistrat garant des libertés individuelles, de contrôler la garde à vue.

La condamnation de la France devant la CEDH le 23 novembre 2010 (arrêt France Moulin c/ France) sonne à cet égard comme un réveil brutal : le procureur de la République, autorité judiciaire de supervision des gardes à vue ne serait pas un magistrat au sens de la Cour européenne car il n’est pas indépendant vis à vis du pouvoir exécutif. La prise de position de la juridiction strasbourgeoise si elle n’est pas nouvelle (arrêt Medevedyev c/ France) n’en est pas moins audacieuse. Au-delà du contrôle effectif de la garde à vue qui est remis en cause, c’est la question du rattachement du parquet au siège et donc, de l’organisation du système judiciaire français qui est posée. Le nouveau Garde des sceaux s’est montré sur ce point sans équivoques : peu importe les décisions des plus hautes juridictions françaises et européennes, le procureur, juge soumis, gardera la direction des gardes à vue !

Il reste en définitive, au vu projet présenté au Parlement quelques améliorations qui n’atténuent pas le sentiment d’une occasion manquée. Quel gâchis en effet d’avoir préféré à tout prix une réforme bâclée à une justice souveraine et respectueuse des droits de chacun. Des centaines de milliers de gardes à vue réalisées chaque année dans des conditions indignes méritaient mieux et en tout cas que l’on mette fin à une justice d’exception qui est aussi une exception française.

Un commentaire