Depuis l’élection du président Ahmadinejad, le travail des nombreux éditeurs iraniens s’apparente davantage à un long chemin de croix qu’à un travail littéraire. Dans un essai pour la Tribune McClatchy et sélectionné par le Kansas City Star, le journaliste iranien Omid Nikfarjam lève le rideau sur le métier d’éditeur de livres en Iran et expose les défis auxquels les maisons d’édition doivent faire face aujourd’hui en République islamique. L’histoire d’une survie que j’ai trouvée indispensable de vous traduire.
Imaginez un instant être un éditeur de livres en Iran. Vous savez que tel titre a été acheté par un éditeur de votre maison. Vous avez mené des réunions de stratégie, commencé à approcher les médias et effectué des lectures pour mesurer l’intérêt qu’il suscite, tout ceci alors que le livre est déjà en route pour le processus de production. L’intérieur a été conçu et les fichiers ont été envoyés à l’imprimeur. Vous formez votre mailing initial d’éditeurs et de producteurs pour les médias, mais peut-être le plus important destinataire de cette liste est-il le travail le plus nécessaire – et le plus méprisé – de votre pays : le censeur.
Selon les statistiques gouvernementales, il existe près de 7 000 maisons d’édition aujourd’hui en Iran. Même si seul mille d’entre elles présentent au moins cinq livres par an pour approbation, cela fait un total de 5000 livres par an que les censeurs doivent analyser.
Il n’est pas étonnant qu’une maison d’éditions affirme qu’elle a environ 70 romans et nouvelles actuellement en attente d’examen par les censeurs, alors qu’une autre rapporte qu’elle a eu à un moment donné entre 50 et 70 livres en attente d’examen au cours des deux dernières années.
Il est raisonnable d’affirmer que beaucoup d’éditeurs en Iran produisent bien plus que cinq titres par an. En effet, 70 titres pourraient représenter deux ans de titres pour une maison d’édition de taille petite à modérée, ce qui signifie que les éditeurs sont pris dans une situation impossible : vous avez des titres que vous savez que vous pourrez les vendre et les promouvoir, vous en avez posé les bases — vous en avez peut être même déjà imprimé des milliers de copies — mais le gouvernement ne vous donne finalement pas le feu vert pour les placer en magasin.
Cela a empiré quand Ahmadinejad a été élu président en 2005. Une de ses premières mesures a été de décider que tous les titres approuvés par la précédente administration devaient être de nouveau examinés.
Ceci a créé une immense réserve de livres. Les censeurs devaient analyser les travaux déjà publiés en plus du flot sans fin des nouveaux titres, étudiant chaque ligne les unes après les autres, pour voir s’ils étaient compatibles avec la « base des valeurs islamiques » que la nouvelle administration revendiquait.
Ma propre traduction du « Rire dans la nuit » de Vladimir Nabokov a été elle aussi victime de cette censure rétroactive. Sept mille copies avaient été imprimées en trois éditions, mais les censeurs la considèrent désormais comme « impubliable », et elle n’a plus jamais vu la lumière du jour.
Devoir détruire l’impression entière d’un livre peut ruiner un petit éditeur. C’est ce que certains dans l’industrie de l’édition estiment être le point clé. « Ils souhaitent écraser les éditeurs connus et empêcher les écrivains et les traducteurs de travailler sur des romans, qu’ils voient comme une chose occidentale corrompue », explique à Nikfarjam un auteur traducteur.
Heureusement, les éditeurs iraniens demeurent aussi têtus que les autres. « Aucun régime totalitaire n’a duré à jamais, n’est-ce pas ? », affirme un autre. « Je suis dans le commerce des livres depuis maintenant cinquante ans, et je n’ai aucune intention de le quitter ».