« Il n’y a aucune restriction médiatique pour couvrir le cas de Sakineh ». Voici ce qu’a affirmé aujourd’hui le procureur de la région iranienne d’Azerbaijan orientale, Hojjatoleslam Malek Ajdar Sharifi à l’agende de presse officielle IRNA, affirmant que les journalistes étrangers mais aussi iraniens avaient l’autorisation de réaliser des reportages au sujet de Sakineh.
« La condamnée, son fils, ses avocats, mais aussi le pouvoir judiciaire ont fourni des informations sur ce cas à plusieurs reprises », a expliqué le procureur à IRNA, avant d’ajouter que « jusqu’ici, plusieurs agences et chaînes ont produit et publié différents reportages sur ce cas, et à mon avis il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet ».
Mais hormis la « conférence de presse » organisée samedi devant un faible nombre de journalistes iraniens et étrangers triés sur le volet, et qui n’ont même pas eu la possibilité d’interroger Sakineh ou son fils, depuis le 11 août dernier, seuls des journalistes iraniens officiant dans la télévision d’État ont obtenu la permission de briser l’isolement de Sakineh. Et effectivement, il n’y a aucune ambiguïté. Toutes ces interviews exclusives se sont révélées à charge, l’Iranienne y affirmant qu’elle a joué un rôle dans le meurtre de son mari en plus de s’être rendue coupable d’un adultère. Problème, ces déclarations contredisent totalement celles que nous ont accordées son avocat et son fils, qui n’ont eu cesse de répéter pendant des semaines que Sakineh avait été innocentée du meurtre de son mari il y a quatre ans, et que ses « confessions » lui avaient été soutirées sous la contrainte.
Aucun des derniers correspondants de presse étrangers demeurant toujours en Iran (et qui se comptent sur les doigts d’une main) n’a obtenu l’autorisation de rencontrer l’Iranienne et les journalistes occidentaux qui en ont fait la demande se sont vus refuser leur visa. En octobre, Angeles Espinosa, la correspondante en Iran du quotidien espagnol El Pais, a même été sommée de quitter le pays, notamment en raison du soutien en faveur de Sakineh affiché par son journal.
Voici la raison pour laquelle les deux journalistes allemands du Bild, Yens Koch, et Marcus Hellwig, se sont rendus en République islamique avec un visa de touriste, et non un visa de presse qu’ils n’auraient de toute manière jamais obtenu auprès du ministère iranien de la Culture et de la Guidance islamique s’ils avaient annoncé leur intention d’interviewer le fils et l’avocat de Sakineh.
Manifestement, le procureur de la province d’Azerbaïdjan orientale a oublié cette réalité.
Voilà pourquoi il faut rester extrêmement prudent lorsque ce même procureur estime hier à l’agence de presse semi-officielle Fars que la peine de mort par lapidation de Sakineh peut encore être annulée et que « tout est possible », « des ambiguïtés » demeurant dans les preuves apportées dans cette affaire ». La preuve, interrogé aujourd’hui par l’agence officielle iranienne IRNA, Malek Ajdar Sharifi, a révélé que « la possibilité que cette sentence soit appliquée est aussi forte que celle qu’elle ne le soit pas ».
Durant ces six derniers mois, à chaque fois que la mobilisation internationale s’est révélée trop forte pour les épaules iraniennes, Téhéran a usé de multiples déclarations apaisantes, parfois contradictoires, mais jamais suivies d’effets, avant de surenchérir de plus belle. Lisez plutôt:
. 9 juillet 2010: éclosion de la campagne internationale de soutien après les premières interviews de Sajjad et de Mohammad Mostafaei, l’ancien avocat de Sakineh. Les autorités iraniennes annoncent que la peine de lapidation prononcée à l’encontre de Sakineh est suspendue, sans pour autant que l’ avocat de l’Iranienne ne reçoive aucun document officiel attestant ce changement.
. 10 juillet 2010: Mohammad Javad Larijani, le chef du Haut conseil des droits de l’homme en Iran, justifie la peine de lapidation contre Sakineh, affirmant que le “système judiciaire (iranien) ne peut changer sa décision en raison d’attaques occidentales et de la pression des médias ». Larijani insiste notamment sur le fait que cette peine, une “sentence sacrée de l’Islam” existait dans la Constitution iranienne et qu’elle était donc « légale ».
. 18 septembre 2010: Mahmoud Ahmadinejad annonce à la surprise générale lors d’une interview à la chaîne américaine ABC que Sakineh n’a jamais été condamnée à être lapidée, contredisant les documents et les déclarations officielles de la justice iranienne.
. 27 septembre 2010: le porte-parole de la justice iranienne Gholam Hossein Ejei, révèle que Sakineh sera plutôt pendue que lapidée, tout en contredisant les déclarations présidentielles prononcées une semaine auparavant. “En ce qui concerne Sakineh Mohammadi Ashtiani, un tel verdict (la lapidation) a été émis, mais le dossier doit achever son cours légal”, explique Ejei.
. 10 novembre 2010: Gholam Hossein Ejei annonce que la justice a décidé de se focaliser sur les convictions de meurtre pesant sur Sakineh plutôt que sur les charges d’adultère, ouvrant la voie à son exécution. “J’insiste sur le fait que, sans aucun doute, l’accusation et la peine pour meurtre prennent le dessus sur l’autre accusation (d’adultère) et le pouvoir judiciaire a mis à l’ordre du jour d’abord celle-ci (du meurtre)”, déclare le porte-parole de la Justice iranienne.
. 22 novembre 2010: « Il y a une grande chance que la vie de Sakineh soit épargnée », affirme Mohammad Javad Larijani, le chef du Haut Conseil des droits de l’Homme en Iran, celui-là même qui avait justifié en juillet l’emploi de la lapidation contre Sakineh.
Symbole des multiples pôles de décision en Iran, mais aussi de leur fiabilité douteuse, il est intéressant de noter que la voix iranienne officielle du jour, à savoir celle de Hojjatoleslam Malek Ajdar Sharifi, le procureur de la région d’Azerbaijan orientale, avait affirmé le 16 novembre dernier que les deux journalistes allemands du Bild avaient été accusés d’espionnage, une information rejetée trois semaines plus tard par le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, de la Justice ainsi que par le plus proche conseiller de Mahmoud Ahmadinejad, Esfandiar Rahim Mashaei.
Ainsi, je prends aujourd’hui ce responsable au mot, et afin de faire toute la lumière sur cette affaire et ne pas être accusé de propagande anti-régime iranien, lui demande solennellement, ainsi que l’ont obtenu mes confrères iraniens, de m’accorder l’autorisation de me rendre en Iran pour interviewer Sakineh, Sajjad, Houtan Kian, Yens Koch, et Marcus Hellwig.
P.S.: Si le procureur avait la gracieuse idée de répondre positivement à ma requête, je le prie néanmoins d’avoir la bonté de m’avertir au préalable s’il compte me réserver le même accueil qu’à mes confrères allemands, auquel cas je me verrais dans l’obligation de décliner son invitation. Merci.