Dans quelques semaines, plus exactement le 9 janvier prochain, aura lieu un évènement exceptionnel pour l’Afrique : le référendum d’autodétermination des habitants du Sud-Soudan. Aucun observateur n’a de doutes, les Sudistes voteront massivement en faveur de la sécession et créeront leur propre État.
Mais ce nouvel épisode de la vie chaotique du Soudan est lourd de dangers. D’abord parce que l’indépendance des Sudistes constituerait une gifle retentissante au visage des dirigeants arabes et musulmans de Khartoum. Voir ces descendants d’esclaves, qui plus est, chrétiens et animistes, s’émanciper de leurs anciens maîtres et tuteurs, rend fous de rage les militaires proches des Frères musulmans au pouvoir dans le pays. Les États membres de la Ligue arabe soutiennent inconditionnellement le président Omar el Béchir ; et les nations africaines voient avec appréhension la remise en cause des frontières d’un pays sur leur continent. Rajouter à cela que le territoire du Sud-Soudan regorge de pétrole, que les eaux du Nil y passent, que les terres agricoles ont un potentiel de développement appréciable, vous comprenez alors que rien ne sera facile.
Pendant 40 ans, les Nordistes se sont affrontés aux Sudistes. La guerre a été menée par les différents gouvernements arabes en place à Khartoum, avec une sauvagerie inouïe, faisant 2 millions de morts et 4 millions de déplacés et de réfugiés. Longtemps les Sudistes n’avaient comme revendication que la transformation du Soudan en un État pour tous ses citoyens, refusant la charia que voulaient leur imposer les maîtres du pays. John Garang, leur leader charismatique, portait ce projet ; il est mort dans un accident d’hélicoptère en 2005, juste après l’accord de paix octroyant une semi-autonomie au Sud et la tenue du prochain référendum.
Mais lassés des tergiversations de la clique militaro-affairiste qui dirige le pays, les Sudistes se sont lancés dans la voie de la sécession. Les violences et les déplacements forcés de population se sont alors multipliés ces derniers mois. Et il reste encore à délimiter plus exactement les frontières entre le Nord et le Sud, sachant qu’une zone particulièrement riche en pétrole, la région d’Abeye, est convoitée par les deux parties.
Après des années terribles de guerre et malgré la relative paix depuis 2005, le Sud-Soudan est une région économiquement exsangue. Moins de la moitié de la population dispose d’un accès à l’eau potable et les taux de mortalité infantile sont épouvantablement hauts : 1 enfant sur 7 n’atteint pas l’âge de 5 ans. L’éducation est au point quasiment zéro et 80% des adultes sont analphabètes. Les routes goudronnées ne dépassent guère les 50 kilomètres de longueur pour une étendue grande comme la France. Les pluies coupent des territoires entiers du reste de la région.
Les défis sont donc immenses, d’autant que des tensions ethniques existent chez les Sudistes, notamment entre Dinkas et Nuers ; tensions qui sont naturellement bien attisées par Khartoum. Le parti au pouvoir, le SPLM (Mouvement de libération du peuple soudanais) est naturellement pro-occidental, mais il lui reste beaucoup de progrès à faire en matière de gouvernance démocratique et de lutte contre la corruption.
Bien sûr une aide humanitaire importante est déployée au Sud. Bien sûr il y a sur place 10 000 casques bleus. Mais les enjeux sont grands et les dérapages vers la guerre possibles. Un haut responsable de l’ONU vient de demander aux Nordistes et aux Sudistes de baisser le ton et de modérer leur rhétorique. Des stocks alimentaires et médicaux d’urgence sont constitués par les agences humanitaires, au cas où les violences se multiplieraient. Et Barack Obama a fait de la tenue du référendum du Sud-Soudan, une de ses toutes premières priorités.
Mais qu’a donc à perdre Omar el Béchir, déjà inculpé par la Cour Pénale internationale de crime de génocide commis sous ses ordres au Darfour, pour relancer la violence ?
*Le Dr Jacky Mamou est le Président du Collectif Urgence Darfour