Au début des années 2000, le monde de l’art était gouverné par un principe, un rêve, sous-jacent, mais qui connut une émergence puissante. L’Utopie.
Hans Ulrich Obrist, alors à peine trentenaire, en était le héraut: avec les « Unbuilt Roads », ces discussions avec des artistes dont le projet avoué était de donner réalité à des « projets non-réalisés », de faire entrer dans la chair du réel ce qui n’était pas. Ainsi, de le faire être, un peu.
Avec « Do it », désormais en ligne sur le site d’e-flux (http://www.e-flux.com/projects/do_it/itinerary/itinerary.html), il demandait à des figures telles que John Baldessari, Christian Boltanski, Jimmie Durham, Hans-Peter Feldmann, Felix Gonzalez-Torres, Yoko Ono ou Lawrence Weiner de présenter un mode d’emploi pour une exposition qui pourrait ensuite être produite par n’importe qui, n’importe où dans le monde.
Et le point culminant fut « Utopia Station », un projet dont il fut le co-comissaire à la Biennale de Venise de 2003: avec la critique d’art Molly Nesbit et l’artiste Rirkrit Tiravanija qui en fit le « display feature », il organisa ce que d’aucuns considérèrent comme un « gigantesque cirque ». Autrement dit, la tentative la plus profonde, avec ses affiches, ses interventions, de produire une « rencontre », comme dirait Milan Kundera.
Cette fascination pour l’Utopie doit être mise en relation avec un certain esprit des artistes dans les années 1990: le groupe que constituaient, en premier lieu, Philippe Parreno, Douglas Gordon, Dominique Gonzalez-Foerster et Pierre Huyghe, plus ou moins rejoints par Rirkrit Tiravanija et Liam Gillick, voire Maurizio Cattelan, par certains aspects, se fondait, en rupture avec la génération précédente, celle de Christian Boltanski, Annette Messager ou Sophie Calle, sur l’idée de collectivité, et la dissolution de l’identité singulière dans le dialogue et la mise en relation. L’art n’existait que pour son spectateur -il serait d’ailleurs intéressant de mettre cette idée en résonance avec le concept d’ « écriture » développé par Roland Barthes.
L’Utopie d’un art où la figure de l’auteur -autrement dit, de l’artiste- serait remise en perspective. En un mot, un art dans l’espace public, d’une certaine façon, « politique ». La queue de comète de l’élaboration que présenta Hans Ulrich Obrist de ce thème, c’est le « Manifesto Marathon », qu’il présenta à Londres, à la Serpentine Gallery, en 2008. Y participèrent aussi bien Eric Hobsbawm que Marina Abramovic, aussi bien Vivienne Westwood que Rem Koolhaas. L’idée du manifeste présupposait la projection vers le futur, et un manifeste de créateur prenait les traits, parfois, d’une endroit « sans lieu », d’un songe.
Pourtant, dans le cheminement de Hans Ulrich Obrist, quelque chose était visible: le manifeste n’est plus l’Utopie. C’est un regard vers le futur, et il n’est pas nécessairement délié de la réalité. Contrairement à l’Utopie, qui est, par définition, ce qui n’existe pas, et ne peut sans doute pas exister -une Utopie réalisable en serait-elle une?
Tel était le chemin vers le réalisme: comme il a pu le dire en plaisantant, scherzendo, Hans Ulrich Obrist est passé « de l’Utopie au pragmatisme ». Assurément, ce n’est pas véritablement le cas: dans sa manière d’être, dans son mouvement perpétuel, un certain onirisme demeure.
En mai 2010, il a édité un numéro de la revue d’art suisse « Du ». Il y choisissait une nouvelle génération d’artistes, de Taryn Simon et Christodoulos Panayiotou à Keren Cytter et Terence Koh. En couverture, un certain nombre de phrases définissaient les principaux traits de ces singularités si différentes les unes des autres. La dernière était, de façon significative: « Dies ist kein Manifesto ». « Ceci n’est pas un manifeste ».
Evidemment, le jeu avec l’oeuvre de Magritte s’impose. Un jeu de référence ambigu, qui trouve ses origines dans les théories de l’ « imitation », ou « mimésis ». Mais pour autant, « ceci n’est pas, ceci n’est plus un manifeste ». Autre génération, autres moeurs.
L’heure n’est plus aux manifestes, et peut-être encore moins à l’Utopie. C’est la raison pour laquelle, en 2010, les utilisations du terme apparaissent de moins présentes, ou, pour employer un terme abhorré par Daniel Buren: contemporaines.
Un galeriste présente à « Art Basel », en juin, une exposition autour de l’Utopie -preuve que le thème est devenu commercialement valable et efficace.
Le Musée Peggy Guggenheim à Venise consacre sa manifestation d’été à en proposer une Histoire, une généalogie, à partir du XIXe siècle et jusqu’au Bauhaus.
Entre l’Histoire et le marché, l’Utopie a-t-elle été abandonnée des avant-gardes? Ce n’est sans doute pas une coïncidence si, dans sa contribution au prochain numéro de « La Règle du Jeu », le philosophe anglais Simon Critchley appelle à un retour intempestif de la pensée utopique.
lire « dictatures »
Il y a difficilement de la place pour l’utopie dans un monde matérialiste, dominé par le mercantilisme, la médiatisation et Internet… Faut-il le déplorer ? L’utopie a nourri tellement de dictature que je n’en porterai pas le deuil, il reste la poésie pour s’évader…
Croire ou ne pas croire a l’utopie, est une fausse vraie idée, lié a l’utopie elle même. Si je peux me permettre, je dirais, que même l’utopie elle même ne croit pas en elle. L’utopie est une vision floue qui regarde un objet abstrait et tout le problème réside dans sa mise au point. Ça parait un peu tordu, mais il y a un peu de vrai la-dedans. L’utopie est notre existence, notre condition, a la fois physique et moral. Si on a inventé l’utopie, c’est pour donner un sens a la création, rien de plus rien de moins. L’utopie ne s’intéresse qu’aux espaces vides, au rien. Comme nous existons qu’a travers le concret, le tout, et bien , le rien a du mal a exister; il est par conséquent utopique. C’est pourquoi, l’utopie dans nos mondes modernes est battu en brèche par la vitesse, qui elle, concrétise le vide; il fait du vide un plein d’énergie etc…Pour moi, il y a plusieurs utopies qui se raccrochent au rien , au vide. Et c’est pourquoi, elle n’existe pas vraiment, même si on s’est empressé de la nommé afin de donner du sens a l’action humaine qui n’est pas transparente a elle même comme tout le monde le sait. Donc, utopie et transparence est son lien et c’est dans la délicate nébuleuse des faits que l’utopie retarde par rapport a l’idée. Donc, s’il y a une utopie, avant elle, il y a l’idée. C’est a travers l’idée que surgit l’utopie ; donc, l’utopie est souvent en retard contrairement a l’idée. Alors parlons plutôt d’idée, qui est le vrai manque utopique, si on veut.
L’homme se sent vulnérable enfoncé dans le désert qu’il doit franchir tout seul sous le soleil de midi. Brûlé de fatigue, il quitte son horizon et se penche vers la tombe. À ses pieds, une mare noire semble être tombée du ciel. Une oasis d’eau noire au milieu de nulle part. Il bondit à l’intérieur, mais celle-ci fait un pas en arrière. Il plonge dedans, mais elle se déplace devant lui aussi vite qu’il a voulu lui sauter dessus.
Toute la question est de savoir de quelle manière appréhender ce lieu où je ne suis pas. Est-ce le lieu de passage à l’acte de mon entéléchie ou est-ce le lieu résolument inerte d’une action qui eût dû se réaliser hors du champ de mon énergie agissante? Il y aurait alors une première utopie morienne à la recherche d’un εὖ-τοπος, lieu de bonheur arrivant à l’heure de la bonne union entre un homme et son autoprojection sur l’écran des possibles, une «utopie pragmatique», et une seconde utopie qu’il faudrait qualifier non pas de contemporaine, mais bien d’originelle, où l’homme contemplerait chaque seconde de sa vie un οὐ-τοπος, lieu sans heur bon ni heur mal, lieu transcendantal auquel il attribuerait une nature génésiaque et apocatastatique, une «utopie de la foi».
Il y aura eu le lieu d’un art où l’artiste ne sera pas, ce sera le lieu de l’œuvre comme le lieu du monde abandonné à lui-même par le Lieu de sa création. Mais un art sans artiste serait une créature sans Créateur. Le premier devrait forcément être autre chose qu’un art et le second quelque chose d’autre qu’une créature. Or une chose a-t-elle une chance de naître sans comporter l’empreinte d’une cause? Et pour cause, il leur a été dit «Do it!» avant qu’il ne nous disent «Do it!» Sans lui comme sans eux, rien de tout cela n’eût donné lieu à être ou à n’être. Ce que je vois, moi l’idiot du sage, ce n’est pas ce que m’indique l’index de Jonas Mekas auquel il fait faire un mouvement alternatif de raidissement et d’inflexion. Ce que je vois ce n’est pas Jonas Mekas me montrant un homme faisant faire à son index un mouvement alternatif de raidissement et d’inflexion. Ce que je vois ce n’est pas mon index qui reproduit un mouvement alternatif de raidissement et d’inflexion que Jonas Mekas veut lui faire faire comme au sien. Ce que je vois c’est un homme, qui doit être Jonas Mekas puisque ce nom, une seconde auparavant, était encore inscrit en gros titre blanc sur fond noir au milieu de l’écran de mon ordinateur, et cet homme, filmé de profil en plan américain, s’adresse sur un ton professoral à des disciples qui doivent être plusieurs à écouter la dynamique de surplomb d’une oralité apaisée de pouvoir créer l’intimité d’un lien collectif débarrassé de la tension qui se nouerait dans une liaison à deux, et soudain, dans un élan de spontanéité préparée, il s’élance hors du cadre pour faire démarrer un prélude de George Gershwin au rythme duquel son(nos) doigt(s) va(vont) continuer à faire ce qu’il(nous) lui(leur) fait(faisons) faire. C’est là que cela passe. Et ce là est le ça. Ce lieu où je ne suis pas. Ce lieu où Jonas Mekas n’est pas plus que moi. Ce lieu de l’énergie agissante qu’est notre entéléchie utopique.