Vient de commencer à la Galerie Thaddaeus Ropac une exposition de Tom Sachs. Cet artiste new-yorkais, intégré le plus souvent à la sphère « branchée » – à l’automne 2010, le magasin Colette présentait certaines de ses œuvres –, y montre certains de ses dessins. Et le résultat est extrêmement révélateur.

En effet, quiconque s’intéresse à son œuvre sait qu’elle est composée essentiellement de sculptures ou de performances. Certaines ont même atteint le statut d’icônes: il suffit simplement de penser à toute la série qu’il a développée autour des marques. Qui ne se souvient de sa guillotine labelisée « Chanel »?

Cet ensemble, qui usait du prestige de ces références culturelles pour mieux les miner, avec un esprit de dérision enfantine, malicieuse comme le sourire de l’artiste lui-même, avait, il y a dix ans, lors de sa création, attiré le regard de tous sur ce personnage amusant et provocateur qu’était Tom Sachs.
Fait digne d’être noté: la guillotine fonctionne. De même que le pistolet Glock Hello Kitty, issu de la même série. De cette façon, le sculpteur s’inscrit simultanément dans deux perspectives:

– une vision politique: celle qui consiste à dénoncer la dangerosité liée au pouvoir de ces marques;

– une vision artistique: en jouant pleinement le jeu, Sachs produit des oeuvres qui sont en soi des performances. La différence entre une performance et du théâtre, originellement, réside dans la question de l’authenticité: lors d’une performance, le sang est réel, la douleur n’est pas simulée  – tandis que l’imitation et, en un certain sens, le mensonge, sont la clef du théâtre. Or les oeuvres de l’artiste fonctionnent vraiment, et sont, dès lors, pleinement « authentiques ». Ce n’est sans doute pas pour rien qu’il aime à employer, à leur sujet, le verbe « to perform ».

Pour quiconque est pourvu de ces connaissances, il y a quelque chose d’un peu expérimental à découvrir les dessins de Tom Sachs, ces dessins que l’on ne connaît guère, et qui constituent comme les arcanes d’une production si visible.

Or l’expérience est incontestablement réussie. Si le visiteur apprécie la verve politique de l’artiste, cette vigueur qui le conduit à dénoncer la globalisation et ses méfaits, la destruction de l’artisanat, il lui est tout à fait possible de retrouver le « Tom Sachs engagé », démocrate, que l’on connaît – un de ses dessins les plus achevés s’attaque McDonald’s, et la nourriture standardisée, alors qu’un autre reprend les motifs de la maison Hermès.

Ce Tom Sachs-là, bien connu, est présent dans cette exposition, ce Tom Sachs qui se pose en critique conscient et joueur de la publicité, défenseur de l’idée que « la véritable anarchie est celle du pouvoir », ainsi que le dit un personnage de Pasolini.

Mais ce qui est peut-être plus inattendu, c’est de découvrir l’extraordinaire ampleur de la curiosité du dessinateur, cette curiosité qui le conduit à sélectionner et reproduire des objets maudits, à chercher tous les détails biologiques de l’okapi, dont il peint les traits comme s’il s’agissait d’une table zoologique, voire même à rassembler, de façon humoristique, toutes les dates marquantes de l’humanité, de la création du monde à aujourd’hui, en passant par la naissance du judaïsme et celle de Tom Sachs.

Le grand mérite de cette exposition, et ce qui fait d’elle bien plus qu’une simple présentation de galerie commerciale, c’est cette possibilité qu’elle offre d’avoir un autre regard sur ce que fait l’artiste: de ne pas voir simplement les aspects plus massifs de sa production, mais bien de comprendre la singularité d’un esprit qui produit de l’art, se nourrit de tout, choisit, et crée.

Dans un paradoxe apparent, car son oeuvre est tellement contemporaine, marquée dans notre époque, il y a quelque chose de profondément « antimoderne » dans ce que fait Tom Sachs. Son recours à la production manuelle, alors même qu’une autre grande figure du monde de l’art, Maurizio Cattelan, souligne fréquemment qu’il lui suffit d’un téléphone portable pour produire une oeuvre, son universalisme intellectuel, son goût même pour le dessin, donnent à son travail un coloration inactuelle, et d’autant plus marquante.

Dans un entretien récent, Tom Sachs disait: « I’m not that much of a democrat ». Cette sélection, en mettant en évidence le caractère public de son art, mais en ouvrant d’autres horizons, confirme parfaitement la teneur de cette phrase, entre prise de position et production esthétique.

Tom Sachs. Dessins. Galerie Thaddaeus Ropac, Paris. A partir du 11 janvier 2010.

Galerie Thaddaeus Ropac