Pour l’auteur de ces Rebelles de l’an 40, né trop tard comme nous tous, après la Grande Épreuve qui a hanté notre jeunesse, cette histoire est devenue sa Légende du Siècle à lui.

Commençons par eux. Ils ont quatre-vingt dix ans, ils ne sont plus qu’une poignée, ils avaient vingt ans, certains même moins, en ce terrible printemps 1940 où la France coula à pic, aucun n’entendit directement l’appel du 18 juin et le mot résistance n’existait pas encore, les premiers ils gagnèrent Londres, par des moyens de fortune, abandonnant famille, études, vie sociale, s’inventant des pseudonymes pour ne pas mettre en danger les leurs, ils ont, la plupart, rapporté dans des livres ces quatre années de guerre, d’aventure, de sacrifice et d’amour fou de la France aux côtés du général de Gaulle, ils s’appelaient les Français Libres, et un dernier carré de ces illuminés réalistes, soixante-dix ans plus tard, raconte, une dernière fois, leur arrivée à Londres en ce terrible printemps-été 40, ou leur entrée en résistance en France, à notre compagnon d’hier de presse et d’édition Georges-Marc Benamou.
Ils avaient déjà témoigné auprès de lui dans C’était un temps déraisonnable de leur engagement auprès d’un obscur général, de leur entrée en résistance, mais on n’en finit pas de les réentendre. De nouveau, moins les morts survenus entre-temps (le colonel Passy, Serge Ravanel, de Bénouville, José Aboulker, Georges Guingouin), ils sont une quinzaine d’ultimes survivants et survivantes (Germaine Tillon, fondatrice du réseau du musée de l’Homme, est morte centenaire récemment), à témoigner de leurs faits et gestes d’alors, « comme si c’était hier » : François Jacob, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Robert Galley, Daniel Cordier, l’île de Sein, et des hommes et femmes anonymes (pour nous), tout aussi pudiques et glorieux, quelques-uns Compagnons de la Libération. Ils parlent à Georges-Marc Benamou, qui n’est pas historien ni même mémorialiste. Aucun ne joue au héros rétrospectif, ils se dépeignent à peine sortis de l’adolescence, fous de dégoût et d’impuissance devant l’acceptation générale de la défaite, révoltés par Pétain qui, faisant don de sa personne égrotante à la France, demande, le 17 juin, l’armistice, toutes affaires cessantes, sous les applaudissements des capitulards de toutes sortes, maurassiens futurs collabos, vichyssois imminents, militaires unanimement défaitistes, politiciens et parlementaires hier encore républicains, opportunistes sans honneur, foules entières de fatalistes, qui, tous, se couchent avec un empressement résigné ou ravi.
La France, ce sont, à l’été 40, quarante millions de pétainistes. Sauf ces quelques-uns, devenus, du coup, des parias.
Ces parias magnifiques, nos anti-héros, ont leur vingt ans pour seul viatique, le plus dur aura été non de rompre et de franchir le pas, ce fut immédiat, épidermique (pour des raisons familiales – un père soldat en 14-18 -, des raisons politiques – nationalisme d’Action Française, patriotisme républicain séculaire -, des raisons d’appartenance et des raisons morales –Juifs, protestants, anti-fascistes), mais, bel et bien, de trouver un embarquement à tout prix pour l’Angleterre et tromper la vigilance rageuse des gardes françaises sur les ports de l’Atlantique et de Manche (fustigés comme déserteurs, ils seraient arrêtés et jugés comme tels ; le monde était tombé à l’envers).
Une fois rendus à Londres, ils sont reçus, d’emblée subjugués, par un homme à la stature de Commandeur, aussi « gothique » et altier que distant, réduit à sa seule personne ou presque (les quelques dizaines de milliers de soldats français échappés de la poche de Dunkerque ou de retour de l’expédition de Narvik en Norvège, repassent presque tous en France, sans état d’âme), entouré en tout et pour tout de quelques militaires anti-républicains et antisémites, jugeant le Front populaire responsable de la défaite. Ils découvrent un de Gaulle incarnant la France, ombrageux et sans terres, que tentent en vain de soumettre ses hôtes britanniques (Churchill excepté, qui lui ouvre au forceps la BBC pour le discours du 18 juin), soigneusement tenu en lisière par le Foreign Office soucieux ne pas jeter Pétain dans les bras des Allemands. Quelques jours plus tard, c’est la tragédie de Mers El Kebir : la flotte anglaise coule, au mouillage, une escadre française, convoitée par les Allemands, qui refuse par anglophobie (Souviens-toi de Trafalgar !) d’être neutralisée. Courageusement, les bons Français défaitistes vomissent leur allié d’hier. Vichy, qui, à peine en place, concocte déjà l’ignoble statut des Juifs d’octobre 40, est au bord de déclarer la guerre à la perfide Albion ! Hitler exulte. Suit, pour comble d’infortune, l’échec de l’expédition navale sur Dakar qui visait à rallier l’Empire colonial, son seul atout de l’heure, au général de Gaulle. A peine née, la France Libre touche le fond.
Pour ces jeunes idéalistes révoltés, jetés dans l’inconnu, l’aventure de leur vie commence mal. La foi chevillée au corps, ils vont subir un entraînement militaire intensif, endurer le Blitz, les bombardements aériens allemands incessants sur Londres et l’Angleterre. Ils dépasseront les dissensions politiques entre eux et entre les Français, politiciens et autres, qui rallient Londres et de Gaulle. Le rêve d’en découdre avec les Boches et les Nazis transcendera l’adversité et les différences, ils se formeront des mois durant à la lutte, combattront enfin en Afrique ou parachutés en France. Ils n’atteindront pas tous la Libération, la mort aura été souvent au rendez-vous.
Rien d’héroïque à ces débuts de chacun d’entre eux dans la France Libre. Ils étaient juste les premiers, ils étaient jeunes, ils étaient quelques centaines, et ils demeurent à jamais pour cela (et pour toute la suite de la guerre) des jeunes gens admirables.

Georges-Marc Benamou avait traité la Résistance intérieure dans C’était un temps déraisonnable. Il a raconté heure par heure les accords de Munich de 1938 qui livrèrent sur un plateau la Tchéchoslovaquie à Hitler, dans un livre tout de passion contenue, Le fantôme de Munich. Cet éternel jeune homme impatient, ambitieux, touche-à-tout, qui a beaucoup côtoyé les Princes, passant par défi de Mitterrand à Sarkozy, au risque d’y perdre une part de son âme et de son crédit, a enfin trouvé son Graal et son port d’attache – sa religion d’enfance, dit-il lui-même – dans cette filiation passionnée avec ces lointains aînés, ces grands frères, ou plutôt ces Pères symboliques qui aujourd’hui s’effacent un à un de la vie, mais qui survivront dans nos mémoires à travers nos souvenirs, leurs grimoires et les livres de leurs indéfectibles fidèles, dont, ici, au plus près de lui-même, Benamou, l’ami retrouvé.

Un commentaire

  1. …. » passant par défi de Mitterrand à Sarkozy, au risque d’y perdre une part de son âme et de son crédit, »…
    Tudieu!! Il suffit donc de « fricoter » avec la Droite pour perdre son Âme ? Eh bien, c’est que l’Âme de ces gens là est plus légère que la plume sensée en mesurer la valeur d’un trait rageur et hautain. Autant dire sans poids ni consistance! A moins que le pire soit de perdre « de son crédit » pour ceux dont l’engagement est synonyme de rente, de trafic d’influence, d’entre-gens bien-pensants c’est à dire de gauche, cela va sans dire mais mieux encore en l’ergotant. Monsieur HERZOG, retirez si m’en croyez, cette phrase mal fagotée qui gâche le sujet. D’autant que les premiers Français Libres étaient, pour la plupart, de bonnes gens de ………….DROITE !!