Près d’une semaine après sa libération, le cinéaste iranien Jafar Panahi a délivré par téléphone ses premières impressions, à l’occasion d’une soirée organisée en son honneur à Paris par son ami Abbas Bakhtiari, directeur du centre culturel Pouya qui a énormément œuvré pour sa libération. Étaient présents plusieurs journalistes, mais aussi Bernard-Henri Levy, autre grand artisan de sa libération, ainsi qu’Olivier Poivre d’Arvor, conseiller culturel auprès de Bernard Kouchner. Vous allez voir, malgré 86 jours de détention, le réalisateur ne manque pas de courage et d’humour…

Abbas Bakhtiari : Tout le monde entend ta voix. Parle-nous tout d’abord de ta santé, qui est notre principal sujet de préoccupation.

Jafar Panahi : Je ne sais pas lesquels de mes amis sont présents ici.

A.B. : Tous tes amis du cinéma, de la presse…

J.P. : Je souhaitais remercier chacun d’entre vous, je vais bien. Peu à peu, je suis en train de reprendre du poids. Comme le dit ma femme, elle s’emploie à me donner beaucoup à manger, pour que je grossisse rapidement, et que je ne sois plus un bourreau des cœurs. Le médecin m’a examiné, et j’ai perdu 17 kilos.J.P. :Je remercie tous mes amis, de part le monde entier, qui se sont employés, car moi, de l’intérieur de la prison, je n’avais aucune nouvelle du monde extérieur. Et je suis peu à peu en train de me rendre compte de tout cet engouement autour de moi.

J.P. : Les efforts de mes amis, aussi bien iraniens que non-iraniens, autant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, ont tous eu leur effet, et ont contribué à ma libération. Les larmes de Mme Juliette Binoche, et les conséquences importantes qu’ont eues ces images, y compris chez le peuple, et j’ai moi-même remarqué les réactions qu’elles ont suscitées en Iran, ceci alors que la télévision iranienne n’a pas montré cette scène.

J.P. : Le soutien des grands réalisateurs du monde entier, surtout celui du festival de Cannes, celui de Gilles Jacob (président du festival), et de tous mes amis artistes, tant iraniens qu’étrangers, a provoqué un mouvement, indépendant de toute cause politique, et même une union, et a montré que ce mouvement est en train de défendre un art, le cinéma.

J.P. : Cela fait cinq ans qu’ils (les autorités iraniennes) ne me laissent pas réaliser de films. Et il m’est impossible de ne pas réaliser de films. Car je ne peux vivre sans tourner. J’ai donc finalement décidé d’en débuter un. Et c’est lors d’une scène de tournage que j’ai été arrêté. Mais cette peur qu’ils avaient de me voir faire un film ne s’est pas limitée à l’extérieur de la prison. Un jour, ils ont envahi ma cellule, et l’ont fouillée de fond en comble, car ils pensaient qu’à l’intérieur de la prison, j’étais en train de réaliser un film. Ceci était dû au fait que j’avais dit à mes codétenus qu’après avoir réalisé cinq films à l’extérieur de la prison, peu importe la durée de ma détention, j’étais en train de revoir dans ma tête le film de ma vie. L’un d’entre eux, lorsqu’il a appelé sa femme, le lui a annoncé. Or, eux (les autorités) qui contrôlaient les conversations téléphoniques, ont vraiment cru que j’avais fait rentrer une caméra là-dedans pour faire un film.

J.P. : Maintenant que je suis dehors, et qu’il m’arrive de faire des cauchemars où je me dis que je réaliserai de toute manière un film, je me demande si cela aussi va être retenu contre moi (par les autorités). Quoi qu’il en soit, je suis avant tout réalisateur, je continuerai ma route et de nouveaux films de moi verront le jour »…