Ça y est ! Nous pouvons enfin le crier sur tous les toits ! Jafar (Panahi) est libre ! Libre !
Après 86 jours de détention dans la funeste prison d’Evin. Après deux semaines de mobilisation internationale à travers le festival de Cannes. Nous pouvons enfin savourer notre victoire. Mais ce ne fut pas simple. Jusqu’à la dernière minute, nous avons douté. C’est que nous connaissons par cœur les autorités iraniennes qui excellent dans l’art de la désinformation. Après avoir annoncé une possible libération dès samedi, il a fallu attendre deux jours supplémentaires pour voir le procureur général de Téhéran enfin signer la libération de Jafar, et encore un autre interminable jour pour que le cinéaste sorte de prison !
Bravo Jafar, tu peux savourer ta liberté ô combien méritée. Sors tout de suite profiter de ta famille et de l’agréable printemps téhéranais.
Car une énorme crainte nous hantait depuis dimanche soir. Nous redoutions qu’avec la clôture du festival, qui avait permis de faire de la libération de Jafar une cause mondiale, l’attention internationale autour du réalisateur iranien ne s’estompe, que les autorités iraniennes n’en profitent pour condamner leur otage et ne le laissent pourrir de nombreuses années dans ses terribles geôles.
Mais si il y a une personne à qui Jafar doit sa libération. C’est bien à lui-même. C’est avec un courage inouï, qu’il a décidé, il y a dix jours, en apprenant la mobilisation internationale dont il avait fait l’objet, d’écrire une lettre de remerciement au festival de Cannes. Un message qui a été lu par le Ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, le proche ami de Panahi, Abbas Bakhtiari, et moi-même, en haut des marches du Festival le 15 mai dernier. (Ce fut un véritable chemin de croix, semé d’embûches et de requins, et ce n’est que grâce à la gracieuse intervention de Bernard-Henri Lévy, que nous sommes avons réussi). Une lettre qui a ému toute la croisette, en même temps qu’elle a inquiété. Jafar savait qu’une exposition internationale ne pouvait que l’aider. Mais il n’ignorait pas non plus qu’elle pouvait rendre les autorités iraniennes furieuses…
Le soir même de la lecture, sa cellule est envahie par les gardes de prison. Le cinéaste est déshabillé et jeté dans le froid. Sa femme et sa fille sont menacées. Panahi entame une grève de la faim. Mais il n’abandonne pas pour autant. Le mardi suivant, il décide, malgré les risques énormes, d’écrire un dernier message, dans lequel il décrit ses effroyables conditions de détention et demande aux autorités de laisser sa famille recueillir sa dépouille. À ce moment-là, nous, en France, sommes dévastés. Avions-nous eu raison de lire cette lettre devant toutes les caméras ? Avions-nous tout simplement devant nous plus fort que nous ?
Au même moment, ce dernier message est lu à Cannes devant toutes les caméras du monde entier par la somptueuse actrice française Juliette Binoche, rendant un immense service à Jafar. L’actrice se laisse même aller à verser quelques larmes, émouvant toute la Croisette.
D’autres artistes de renom tels que Isabelle Huppert, Xavier Beauvois, Marjane Satrapi, Bertrand Tavernier, Bahman Ghobadi, mais aussi Martin Scorcese, Robert Redford, Steven Spielberg, ou encore Francis Ford Coppola se sont engagés auprès de Jafar Panahi en signant une pétition internationale pour demander la libération immédiate du cinéaste.
Notre torture ne va durer qu’une journée. Mercredi soir, on apprend de la femme de Jafar, qu’elle et sa fille vont pouvoir lui rendre visite en toute sécurité. Mais ce n’est pas tout. Me Farideh Gheyrat, l’avocat choisi par sa famille, va enfin pouvoir rendre visite à son client. Encore plus fort, le procureur général de Téhéran en personne a rendu visite en prison à Panahi et lui glisse qu’il pourrait être libéré dès samedi. Première victoire, les Renseignements iraniens, qui étaient jusqu’ici les seuls à suivre le cas Panahi, sont dessaisis du dossier au profit de la voie, disons, plus légale. Mais il ne faut surtout pas prendre les déclarations iraniennes pour argent comptant et continuer la lutte. Elles ne nous ont que trop déçu par le passé. Dimanche, dans un geste sans précédent, Juliette Binoche et Xavier Beauvois ont emporté avec eux sur la scène des récompenses la pancarte sur laquelle figurait le nom de Panahi. Ils ont été finalement écoutés.
Aujourd’hui nous sommes heureux. Heureux pour Jafar, bien sûr, sa fille, son fils, et sa courageuse et pugnace femme Tahereh, qui vont pouvoir se retrouver après plus de 86 angoissants jours de séparation. Heureux pour le peuple iranien aussi. Souvenez-vous de cet extrait du message de Jafar :
« Mais il y a ici des milliers de prisonniers sans défense qui n’ont même pas une seule personne pour relayer leur détresse. Ceux-là, tout comme moi, n’ont commis le moindre crime. Mon sang n’est pas plus important que le leur ».
Aujourd’hui, ce sont les acteurs, réalisateurs du monde entier, qui viennent de prouver qu’en se mobilisant et en concentrant toute l’attention internationale sur les entraves aux droits de l’homme dont est victime un Iranien, ils pouvaient vaincre la tyrannie. Alors que Jafar vient d’être libéré, des milliers d’inconnus restent toujours emprisonnés dans l’anonymat le plus total. À nous, mais surtout à l’ensemble de la communauté internationale, de nous inspirer de ce que nous venons de vivre. Et de ne pas les oublier.