Je m’adresse aujourd’hui à mes compatriotes soudanais ainsi qu’à mes amis de la communauté internationale, solidaires du Soudan des peuples.
Notre immense pays, qui abrite tant de peuples frères et qui s’enorgueillit de ses cultures arabo-africaines, est dirigé depuis vingt et un ans par une clique aussi obscurantiste et criminelle que prédatrice. Menée par El-Béchir et ses complices, exerçant un pouvoir sans partage, elle n’a jamais agi que par la violence génocidaire, la répression et l’étouffement des libertés.
Les élections qui se sont achevées le 15 avril ont été, de bout en bout, une vaste tricherie. L’ex-président américain Jimmy Carter, présent au Soudan avec les observateurs de sa Fondation, l’a, parmi tant d’autres, reconnu : « Ces élections ne se sont pas déroulées selon les standards internationaux, ceux que l’on attend dans le cadre d’une démocratie. Les règles attendues dans ce type d’élections n’ont dans l’ensemble pas été respectées ». La frustration est totale pour tous les Soudanais, alors que le Darfour brûle toujours, que les Soudanais du Sud attendent leur référendum d’autodétermination la crainte qu’il ne soit à son tour saboté et que les richesses de notre sol sont confisquées par les islamistes et les affairistes du Parti du Congrès.
Face à ces défis, le raïs de Khartoum et ses complices proposent, sans crainte du cynisme, un gouvernement « d’union nationale », dans l’espoir que les secteurs les plus opportunistes de l’opposition, ceux qui ont failli à proposer une alternative à ce régime corrompu, seront tentés de courir, la main tendue, occuper quelques strapontins ministériels.
Les Soudanais attendent une toute autre politique, basée sur une paix équitable pour tous les peuples soudanais, promouvant une société ouverte, libérée de tout fondamentalisme, et faisant participer le plus grand nombre au développement du pays.
C’est pourquoi je lance un appel à toutes les forces politiques éprises de démocratie et de paix, à ceux qui s’opposent au fondamentalisme islamique, à ceux des miens, au Darfour, qui se sont fourvoyés dans les soi-disantes négociations de Doha, à toutes les organisations de la société civile, aux syndicats et aux associations de femmes, de jeunes, aux partisans des Droits de l’homme. Je les appelle à se rassembler, à tenir des Etats généraux pour un nouveau Soudan unitaire, laïc et démocratique sur une base qui comporterait les points suivants.
Les peuples du Soudan ont besoin de paix et de sécurité.
C’est pourquoi, il faut :
– Un cessez-le-feu immédiat et l’arrêt du génocide au Darfour, la sécurisation immédiate pour la population qui y vit. Cela implique le désarmement des milices janjawids. Seules ces conditions permettront un retour paisible des centaines de milliers de déplacés sur leurs terres d’origine, l’expulsion des occupants illégaux et le déploiement de l’aide qui en garantira le succès.
– Ce retour à l’ordre et la sécurisation est valable dans l’ensemble du Soudan et pour toutes les populations qui ont été opprimées par le régime islamiste.
– Le respect absolu du CPA (Comprehensive Peace Agreement) signé en 2005 avec nos concitoyens du Sud-Soudan, qui permettra d’éviter de nouveaux malheurs et une nouvelle guerre. Les assassins de Khartoum n’ont pas été capables de préserver l’unité du pays, et encore moins de mettre en œuvre l’égalité et la solidarité entre tous les Etats du Soudan. A l’inverse, semant partout la violence et la désolation, ils portent devant l’Histoire la responsabilité du désir d’indépendance des peuples du Sud. Le mal est fait. C’est pourquoi il n’y a pas d’autre alternative que :
– L’acceptation des résultats du référendum de 2011 sur l’indépendance du Sud-Soudan.
Nous autres des régions périphériques et tous ceux qui vivent dans la misère autour de Khartoum avons trop souffert de la pauvreté et du sous-développement. Il faut construire une autre méthode de gouvernance :
– indépendance du Sud-Soudan exceptée, le CPA doit servir de modèle pour l’équilibre général du pays et l’égalité de toutes les régions du Soudan ;
– répartition équitable des richesses entre tous les Etats du Soudan.
Pour créer une autre manière de vivre ensemble, nous devons construire une culture démocratique, par un dialogue permanent entre tous les secteurs de la société. Ce nouveau cadre nécessite de s’appuyer sur :
– L’établissement des libertés civiques fondamentales : libertés politiques, liberté d’association, de presse, d’expression, ainsi que liberté d’aller et venir.
Notre pays est multiple. Pour vivre enfin en harmonie et en paix, et faire participer tous les Soudanais à la reconstruction du pays, nous avons besoin de garantir :
– les libertés de croyance religieuse,
– l’égalité hommes-femmes, et faire des efforts sans précédent pour la promotion des femmes à tous les niveaux de la société,
– la liberté de se vêtir à son choix.
La justice soudanaise est une caricature de justice, aux ordres de la dictature. Des crimes immenses ont été commis envers les Soudanais. Et l’impunité est actuellement la règle. Il faut refonder le système judiciaire en se basant sur :
– l’indépendance absolue de la justice face au pouvoir politique ;
– l’égalité de tous les Soudanais devant la loi ;
– des procès justes et équitables pour tous les participants aux crimes contre les populations civiles ;
– la coopération avec la Cour pénale internationale pour y faire déférer les Soudanais inculpés par elle.
Le Soudan possède des frontières avec de nombreux voisins. Il est à la charnière de nombreuses influences. Dès lors, et afin de mettre fin à l’isolement diplomatique du Soudan d’El-Béchir, il nous faut établir :
– des relations amicales, économiques et culturelles, avec les pays voisins, ainsi qu’avec l’ensemble de la Communauté internationale.
Pour toutes ces attentes qui conditionnent l’avenir et la prospérité du Soudan, un des pays potentiellement les plus riches d’Afrique, aujourd’hui en déshérence, il nous faut une véritable mutation constitutionnelle :
– dès à présent, travailler ensemble en vue d’une Constituante jetant les bases d’un Soudan démocratique ;
– préparer de véritables élections démocratiques, aux normes internationales et sous contrôle de la Communauté internationale, sur la base d’un vrai recensement, de listes électorales contrôlées, de circonscriptions électorales correspondant à la réalité des populations sur le terrain. Ces élections se dérouleront sous l’autorité d’une nouvelle commission électorale pluripartite.
Les défis sont immenses, l’urgence évidente.
Chaque Soudanais doit prendre ses responsabilités. A leur tour, les partis démocratiques soudanais doivent prendre les leurs.
Je prends les miennes en lançant cet appel à tenir des Etats Généraux à une date la plus proche possible et dans une ville à choisir en commun.
Vive le Soudan libre et démocratique !
(Traduction La Règle du Jeu)