Proust l’a inspiré. Et il est vrai que la princesse des Laumes pourrait porter ses robes… « Pourrait », et non « aurait pu »: les tenues dessinées par Yves Saint Laurent existent, aussi, dans le domaine de la fiction, de la rêverie et de la littérature qui est celui de la « Recherche ».

La princesse des Laumes. Et Gilberte, peut-être, quand elle devient marquise de Saint-Loup. Il y a bien quelque chose de l’esprit des Guermantes dans la création de « Monsieur Saint Laurent »: une tristesse, un sourire, une élégance. Le sentiment d’un monde qui disparaît. Et pourtant le besoin de continuer. Le désir de s’y intégrer. La conscience que, au fond, tout cela ne sert à rien.

La littérature. Proust, donc. Morand et le raffinement des années 1920 -des années 1940? Un imaginaire, le dandysme. Le visage caché par la main, qui ne veut pas se montrer: Irving Penn. L’exposition totale d’un corps qui est image et icône: Jean-Loup Sieff. Deux faces d’une même réalité. Deux images d’une même personne: l’exposition totale comme protection. La lumière éblouissante cache plus que l’ombre: elle ne dissimule pas, elle efface.

L’enfance – jadis douloureuse, toujours présente: une bande dessinée, aux traits naïfs. Yves Saint Laurent, auteur de certaines des plus belles esquisses produites pour un vêtement, était aussi un maître de l’image d’enfant.

L’histoire des vêtements: Fortuny, bien sûr. La géographie: une création aux inspirations vagabondes, de Deauville  Belle Epoque à l’Afrique et l’Asie.

Les arts visuels. Braque. Matisse. Mondrian. Les noms pourraient s’accumuler.

Chercher partout les composantes d’une oeuvre.

D’une oeuvre, oui: c’est une impression que l’on peut retirer de l’exposition du Petit Palais. Il existe bien une oeuvre Yves Saint Laurent: ses inspirations sont poétiques. « Les Yeux d’Elsa » et Aragon, « tout terriblement », Apollinaire.

« Tout terriblement »: une très belle expression, le titre du documentaire qui lui avait été consacré. « Tout »: toutes les images, tous les arts, toute la création, toute la vie, brûlée, carbonisée, magnifiée cependant et devenue légendaire. « Terriblement »: terreur et passion.

L’impression de tellement de mondes différents, d’un homme qui a couvert tout le siècle de son oeuvre. Les traditions de naguère qui le faisaient rêver, les mutations profondes de la société… Comment a-t-il pu faire pour rendre compte par ses vêtements de « tout », et « terriblement »? Pouvoir évoquer et invoquer. Ce doit être cela, la « question Saint Laurent ».

Peut-être ce mystère réside-t-il dans une vision que suggère la rétrospective actuelle: celle d’un bal, d’un bal où tous les costumes, toutes les robes, les smokings présentés au public seraient portés par les femmes pour qui ils ont été conçus, entraînés par elles dans une danse sans fin.

Une scène qui fascinerait un réalisateur de talent, un bal tel que ni Fellini ni Visconti n’aurait pu l’imaginer. Pourtant, elle constitue assurément une absurdité logique: un mouvement des images, une confrontation de domaines, de lieux, d’inspirations. Pourquoi ne pas le dire? Un tel bal peut paraître incroyable.

C’est le génie d’Yves Saint Laurent que d’en avoir rendu l’idée possible.

Et le mérite de cette exposition que l’on puisse, l’ombre d’un instant, y croire.