Décembre 2009, Jean-Baptiste Decroix-Vernier me demande d’expertiser une vidéo postée sur le site caucasus.com. La séquence montre la décapitation d’une femme Tchétchène par des soldats Russes sous les yeux de son compagnon. La question légitime : cette horreur est-elle réelle ou bien un montage ?
Premier constat, la vidéo met immédiatement mal à l’aise. Les images et les sons sont insupportables, l’ambiance est glauque, terriblement glauque. Un premier visionnage ne permet pas de déceler le moindre trucage. Le deuxième non plus, pas plus que le troisième ou les indispensables suivants. Seule domine l’horrible sensation d’être le spectateur d’une scène à laquelle je n’aurais jamais voulu assister.
A ce stade, je me pose la question de savoir si je suis capable de me détacher du fond pour ne m’attacher qu’à la forme et ainsi tenter de dénicher le plan de trop, l’erreur technique, l’oubli bête, qui me prouveront qu’il s’agit juste d’un vulgaire hoax, voire d’une manipulation d’images dans le but de désinformer. Hélas, j’aurais beau retourner le problème dans tous les sens, absolument rien ne permet de déterminer que cette vidéo est un montage (un «fake» en langage initié).
Techniquement parlant, soit les auteurs de la vidéo sont des génies ayant pris d’infinies précautions pour que rien ne puisse permettre de confondre le montage (sans parler des acteurs nécessaires à la réussite du projet), soit il s’agit tout simplement d’une scène réelle capturée sur le vif par un vidéaste amateur souhaitant «immortaliser» cet acte d’inhumanité sordide.
Je dois cependant reconnaître que rien ne me permet de prouver quoi que ce soit, ni dans un sens, ni dans l’autre. Je ne peux donc me baser que sur ma conviction intime et mes sensations pour arriver à la conclusion qu’il s’agit plus que probablement d’une vidéo réelle… Et c’est dans ce sens que je vais répondre à JBDV. Fin de l’analyse technique.
Je ne m’arrête cependant pas là.
Quand une telle horreur vous arrive en pleine tête, le dégoût des auteurs du crime surpasse la stupeur qu’a pu vous inspirer la vidéo. Avec, en ligne de mire, les Russes accablant sans relâche le peuple Tchétchène. Cependant, quelque chose me chatouille la conscience… C’est stupidement lié à mes activités dans l’étrange monde des hoax. La constante de tout «déshoaxage» en règle est de devoir systématiquement vérifier les différentes sources disponibles. A priori, je n’ai aucune raison de remettre en cause le site caucasusnews.com en tant que tel, ni aucun autre d’ailleurs, mais bon. Je vais donc vérifier sur google les sources disponibles à propos de cette vidéo. Et là, hum… A propos de la même séquence, il y a tout autant de remontées concernant des Russes décapitant une pauvre femme Tchétchène que de résultats à propos de Tchétchènes décapitant une pauvre femme Russe. Chacun affirmant avec force qu’il s’agit de la démonstration ultime de l’inhumanité flagrante d’un peuple face à la détresse d’un autre.
Alors, finalement, qui des uns ou des autres est capable de commettre de tels actes filmés ? N’ayant pas les compétences linguistiques, historiques, culturelles ou cultuelles, me permettant de me forger une opinion «tranchée», je ne m’avancerai pas sur le sujet et je laisse le soin aux spécialistes de le faire sachant qu’il y a forcément de la désinformation dans l’air.
En tant qu’observateur attentif du net en général, je ne peux que pointer du doigt la guerre de l’image qui y sévit. Chacun y allant de son petit film, de son long commentaire, de ses photos parlantes, pour montrer comment l’autre doit être haï. Aujourd’hui, la désinformation est partout, chaque fait est susceptible d’être détourné, chaque parole interprétée, chaque action disséquée, et, en fonction de la couleur qu’on voudra leur donner, on les postera à tel ou tel endroit avec tel ou tel commentaire. La vidéo de la femme décapitée entre parfaitement dans ce cadre, au fond, quelle importance qu’elle soit Tchétchène ou Russe, voire même qu’elle soit réelle ou non ? L’immense majorité de la population est comme moi, elle ne parle pas russe, ne maitrise aucun des tenants et aboutissants et ne comprend que ce qu’on veut bien lui montrer ou lui dire.
La guerre a toujours été sale, la guerre a toujours permis à l’homme de commettre des horreurs. Internet propose aujourd’hui au monde entier de les regarder tout en confortant son opinion personnelle par les images qu’il voit ou qu’on lui dit qu’il voit. Si je suis fondamentalement pro-tchétchène, vais-je chercher à confronter mon point de vue à ce que pourraient dire ou montrer les parties adverses, et inversement ? Probablement pas… ou en tout cas, pas de manière neutre et objective. La clé est sans doute là mais je n’ai pas forcément l’envie ou les moyens de l’utiliser.
Alors vidéo réelle ou pas ? Oui, elle l’est probablement, mais finalement le débat n’est-il pas ailleurs ? Que dire de la disponibilité des images sur l’ensemble des sources qui la proposent. Est-il normal que de telles séquences soient en accès libre sur le net sans aucun contrôle, aucune vérification ? A ce jour, n’importe quel ado du monde entier peut, non seulement voir la vidéo sur n’importe quel site, mais également la télécharger directement sur son ordinateur via les plateformes de streaming (et donc se garantir de toute suppression ultérieure). D’ailleurs, n’importe qui peut télécharger n’importe quoi en toute transparence et légalité. Avec quelles conséquences ? Qui s’en soucie ? Bizarrement et toutes proportions gardées, le moindre film porno ou le dernier MP3 des Black Eyed Peas semblent attirer beaucoup plus de foudres parentales et sociétales que la cruauté humaine à l’état brut. Personnellement, c’est bien ce qui me choque le plus… Au fond.
Pour répondre à @zigmout : je l’ai fait une fois, j’ai cliqué sur un lien montrant la décapitation d’un journaliste américain par des islamistes fanatiques. Je ne me suis pas posée la question à l’époque, c’était de la simple curiosité morbide. Les images, le son (je me souviens encore de ce son guttural venant apparemment de la personne même qui filmait). J’ai réalisé après-coup que c’était arrivé pour de vrai, que ce journaliste devenu tristement célèbre mourrait pour de vrai et d’une manière innommable. Plus jamais ça. Plus. Jamais. Ca.
J’ai été punie, je paie encore pour cette curiosité malsaine. Je ne conseille à personne de cliquer sur ce lien.
Un point qui peut nous poser question….qui, apres avoir lu cet article, a ete voir la video?…ceux qui l’ont regarder(je ne parle pas de l’auteur de l’article qui l’a fait dans un but precis) pourront se poser la question de leur curiosité macabre et de ce qui se cache derrière.
A titre perso j’ai ouvert un des lien et au moment de lancer machinalement la video je me suis repris et me suis demandé ce que j’etais en train de faire, puis ai fermé la page sans regarder car si je l’avais fait ca n’aurait pas ete dans une autre mentalité que celle d’un voyeurisme morbide et malsain.
Très bon article qui démontre bien la vraie problématique que posent ces images et vidéos. En espérant toutefois avoir des nouvelles quant à la véritable source de cette vidéo.
Oui, on pourrait dire de la même manière que cette vidéo illustre la cruauté humaine, la fascination pour l’horreur, les atrocités de la guerre en général, mais qu’elle ne dit rien, absolument rien de ce dont il est question, la Tchétchénie. Elle n’est là que pour donner à voir une vision fantasmatique d’une réalité insupportable.
Ajoutons qu ce site, cavcaz.com, collectionne dans une rubrique « Choc » pour son lectorat morbide les vidéos atroces. On y trouve par exemple les images des membres humains sortis du ventre d’un crocodile ougandais, le film d’une opération du genou, ou le suicide en direct, par balle, d’un gardien de prison. Est ce pour complaire à un public truamatisé par la guerre ? Est ce pour exorciser un sort insupportable ? Est ce pour banaliser le crime de guerre ?
« La règle du jeu » a bien fait de ne pas tomber dans ce piège.
Idem pour les images des attentats en Irak mais aussi les images que balançaient les bagdadi entre eux concernant les victimes de cruautés des milices ou des fous de dieu…
Excellent avertissement. Les flux et reflux continuels des informations à l’heure où un téléphone portable permet à tout à chacun de se transformer en « street reporter » impliquent une première lecture : celle de la véracité et la légitimité de la source.
Je me souviens d’attentats à Bombay où tous les médias, y compris indiens, diffusaient des images de scènes filmées et immédiatement postées sur des sites de partage.
En clair, un indien avec un simple téléphone portable, le jour d’une catastrophe et de l’émotion qui en découle, peut influencer une planète entière…