J’ai découvert hier l’Amérique, figurez-vous.
J’ai découvert le McDo avec, il est vrai, trente ans de retard, mais il n’est jamais trop tard pour (bien, mal ?) faire. Croyez-le ou pas, je n’avais jamais mis les pieds dans une de ces modernes gargotes.
Dimanche soir de décembre, petite ville de Bretagne Nord de bord de mer, pas un chat dans les rues battues par le vent d’Est et la pluie, pas un restaurant ouvert en vue. Seule « solution », s’il existe : le McDo. Il existe « en périphérie », me renseigne un passant miraculeux (même les plus modestes bourgades, aujourd’hui, vous l’aurez remarqué, ont une périphérie fourre-tout dédiée au commerce de masse). Précédé d’un vaste parking, l’établissement cohabite, en bonne logique, avec un Mammouth, un Bricorama, une Chausseria, un multi-distributeur d’essence, une Jardinerie et autres hangars à marchandises et à humains à la queue leu leu, avec ronds-points fleuris et agréments paysagers, plus un hôtel Campanile, un Monsieur Meuble et un « Antiquaire » qui accompagne anachroniquement tout ce petit monde du négoce en folie.
Première surprise : en lisière de la petite ville déserte, le McDo est plein : des jeunes en capuchon ou casquette, Nike aux pieds, survêt’ et piercings aux oreilles (les filles, c’est dans le nez et les lèvres) ; des familles composées-recomposées-décomposées (les gosses se précipitent sur les ballons de Noël) ; des solitaires, le regard vide en contemplation devant leur plateau repas (il n’y a, certes, rien d’autre à contempler, excepté une photo de Louis Armstrong, perdue tout autant qu’eux dans le « décor » ou plutôt l’absence totale de décor). Une musique de super-marché fait le vide des rares bruits humains. On fait la queue aux comptoirs (comme à la pompe, au cinéma, au distributeur de billets, à la poste, à la Sécu). Bienvenue dans ce monde égalitaire de la queue, de la démocratie par la queue. Les serveurs et les cuisiniers en arrière-plan (préparateurs de mangerie ?) sont, pour moitié, des gens de couleur. On me demande ma commande. Je dis : « C’est la première fois que je viens. Proposez-moi le meilleur ». Le jeune serveur (le préposé à la borne-comptoir, serait plus juste) me regarde, dubitatif, interloqué. « Le meilleur ? ». Il me débite une liste d’appellations énigmatiques, quasi pour initiés, un Savoury Mac Donald’s, un Mac Nuggets, un Royal deluxe, le p’tit wrap, un chicken Mythic, un Big ceci, un Maxi Best cela, avec ou sans tatsoï, un Mac Flurry. Je lui dis : « Je ne comprends pas tout. Choisissez-moi le meilleur ». Il appelle son « responsable » (lui-même ne le serait-il guère ou pas complètement ?). Celui-ci : « Vous voulez quoi, exactement ? » « Je ne sais pas. Je vous fais confiance. Le meilleur ». Visiblement, le concept de meilleur pose problème. Longue concertation entre le responsable et le non-responsable. Le responsable, finalement, me propose trois choses, chacune avec une variante king size, medium ou light… J’acquiesce à tout. Mon plateau se remplit à la vitesse grand V de boites et de cornets en carton. Plateau en mains, je gagne une table en faux bois entourée de tabourets plastique haut perchés, si peu accueillants et ergonomiques qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont été choisis à dessein pour qu’on ne s’attarde dans les lieux que le temps de la stricte mastication, afin d’accélérer la rotation des places pour plus de clientèle. L’endroit, tout vitré (vue à 360° sur le parking), tient du réfectoire d’entreprise, du bureau de placement, d’une antenne ANPE, d’une salle d’attente de TGV, de la garderie d’enfants en grand ensemble et d’un micro-Disney sans attraction. Murs, sols, mobiliers : quatre couleurs éteintes, pas une de plus. Rien qui arrête l’œil. Faut-il parler de lieu, d’endroit, ou plutôt d’espace, voire de zone. Disons, oui, que ce serait une sorte de zone-mangeurs, comme il y a des zones-fumeurs. Définie entièrement par sa fonction ; réduite à elle seule.
Donc je mange. Sous ma dent, le Big je ne sais quoi dégouline instantanément d’un trop plein indistinct de ketchup, de tatsoï ( ?) et de moutarde. J’essaie de distinguer quel goût a le Big. Aucun. Ce n’est ni bon ni mauvais. Ces catégories ne sont ici d’aucun secours et ne font pas plus sens que convivialité, sociabilité appliquées à l’espace-zone-mangeurs qu’est ce McDo. On est dans l’empire de l’indistinct, de l’anonyme, du lisse, de l’insipide, du sans repères, du sans détails, du sans mémoire de quoi que ce soit, sans rappel de quoi que ce soit, sinon, très vaguement, ces ballons pour enfants et des dépliants en forme de B.D. (un lieu donc légèrement infantile et infantilisant). Rien n’accroche, ne doit accrocher, ni les choses, ni le décor, ni l’enveloppe sonore, et pas davantage les présents. Que tout, nourriture, lieu, ambiance, soit à ce point in-signifiant, sans liens, a-liéné, sans Autre, ne peut être fortuit. Les concepteurs de ces machines restauratrices volontairement « sans âme » ont-ils voulu ratisser au plus large une vaste population considérée d’ores et déjà comme unidimentionnelle (au sens de Marcuse) et produit expressément un lieu à son image, lieu travaillant lui-même à unidimentionnaliser un peu plus à son tour ses utilisateurs ?
À deux pas du McDo, à l’autre bout du parking, il y a une Cafétéria, dotée, elle, d’un décor minimal. On s’y sert soi-même à volonté des portions d’une nourriture basique hexagonale, avec pain et couverts, et un repas y revient à peu près au même prix qu’au McDo. Sauf qu’il n’y a personne ou presque.
Alors pourquoi le Mac Do ?
Je mange donc mon Big je ne sais quoi. Je le mange avec mes doigts. Ici, nulle fourchette, pas de couteau. À peine a-t-on besoin de mâcher la viande, évidemment hachée, et le poisson, forcément pané. On engloutit, on déglutit. Je mange donc avec mes doigts. Il n’y a plus entre la bouche et la nourriture de mise à distance, d’instance séparatrice. Plus de médiation, d’instrumentalisation, de transport. Incorporation directe. Bucchalité directe. On est de retour à l’ère d’avant des mœurs de table. Et on est dans l’oralité sans fard. Recul en amont des principes de la civilisation des moeurs, chère à Norbert Elias. Régression à la pré-enfance. Voilà pourquoi, peut-être, petites filles et petits garçons sont si nombreux ce soir. Mcdonaldisation des enfants (et des parents accompagnateurs). Plus de fourchette, plus d’assiette, plus de serviette, plus de plat collectif, plus de partage d’une même nourriture, plus de manières de table. Chacun avec sa propre nourriture, ses propres manières. Auto-nourrissement. Auto-culturation. Primarité. Chacun pour soi. Une génération nouvelle est née, qui, après avoir dûment biberonné au McDo, prolonge désormais le système at home : repas par addition, à la convenance de chacun, de portions individuelles d’aliments tout prêts. De fait, la moitié des clients ne consomme pas (plus) sur place, emporte (désormais) chez soi. McDo est passé du parking au domicile. La mcdonaldisation des individus, des familles et des mœurs déborde de sa matrice.
Je partage ces quelques impressions avec la personne qui m’accompagne. « Le problème, conclue-t-elle, c’est que chacun est libre, que McDonald’s, c’est la liberté par le bas, et qu’on ne peut rien y faire ». Toute la (sempiternelle) question est là : que peut-on faire ? Que faire face à la régression civilisationnelle croissante ? Face à l’abêtissement des masses, victimes consentantes ? « Faire un pas hors du rang des meurtriers », comme le disait Kafka ? Le mépris de la « plèbe » est dégueulasse. Le cynisme (« Ils aiment leur servitude »), tout autant. Le désintéressement, l’évitement social n’empêchent pas la mcdonaldisation-disneylandisation-michaëljacksonisation du monde de gagner du terrain. Alors, que faire ?
Pour ma part, je l’avoue, rien. Sinon, oui, ceci : courage, fuyons !
Oui, contre le McDo expansionniste de Bretagne nord, « la tentation de Venise ». Non, pas une Venise intérieure. Venise tout court ! Mais… n’y aurait-il pas déjà un McDo à Venise ? A vérifier avant exil.
Vérification faite, il y a un McDo à Venise. Pas loin du Rialto (Calle larga S. Marco Numéro 656). Il jouxte un Disney store. Venise, cette « Putain de l’Europe » comme on l’appelait jadis pour ses dix mille courtisanes que tout le beau monde cosmopolite du dix-huitième siècle venait consommer lors du Carnaval, Venise, elle aussi, a laissé faire !
Trop, c’est trop. Passez-moi, je vous prie, la cigüe.
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In Common I don’t article on blogs, but I would like to state that this location in truth pushed me to do so! Quite great publish.
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I will be glad to receive any help at the start.
Thanks and good luck everyone! 😉
China and Russia put the blame on some screwed up experiments of US for the earthquake that happened in Haiti.
Chinese and Russian Military scientists, these reports say, are concurring with Canadian researcher, and former Asia-Pacific Bureau Chief of Forbes Magazine, Benjamin Fulford, who in a very disturbing video released from his Japanese offices to the American public, details how the United States attacked China by the firing of a 90 Million Volt Shockwave from the Americans High Frequency Active Auroral Research Program (HAARP) facilities in Alaska
If we can recollect a previous news when US blamed Russia for the earthquake in Georgio. What do you guys think? Is it really possible to create an earthquake by humans?
I came across this article about Haiti Earthquake in some blog it seems very interesting, but conspiracy theories have always been there.
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Phénomène hénaurme que cette Mcdonaldisation, mais pourtant prévisible. MacDo (où je ne vais jamais) accueille tout le monde (avec casquette de baseball à l’envers ou droite), sans faire de différence sur le look, la couleur de peau, le type d’humanité qui se présente à ses caisses. Peut-on en dire autant des bistrots de quartiers (parigots et péquenots), qui n’ont jamais vu venir cette déferlante qui allait leur retirer le pain de la bouche et qui s’emploie aujourd’hui à leur faire fermer leurs troquets à tour de bras? Les soûlots, les bergers allemands pleins de puces , les garçons plus snobs que le Comte de Montesquiou pour servir un jambon-beurre ((j’exagére?)… Bon, (j’allais dire ‘ok’), cette défrancisation de cette fameuse identité quasi introuvable et imbittable, ne passe pas qu’entre deux morceaux de pains ronds…L’appel de l’américanisation, bon gré mal gré, va bon train en France depuis la 2ème Guerre Mondiale et le McDo en est un précipité qu’on peut s’offrir pour quelques euros. Et à force de ne pas donner d’identité décente non seulement aux ‘minorités’ mais aussi aux jeunes en général, ceux-ci se forgent celle qui leur convient: entre les séries télé, les nouveaux médias, le sport, le rap, la mode de la rue, etc…toute une population qui opte et adopte la culture US peut-être dans ce qu’elle a de pire (le sans-goût du Big Mac généralisé partout), mais aussi dans ce qu’elle a de meilleur: chacun a droit à son identité telle qu’il (ou elle) se la détermine.
Formidable, ce billet est formidable. Je vais revenir vous lire souvent 🙂