« Dans les prés pentus, je cueille aussi le serpolet, dont l’odeur me monte aux narines. » C’est sans doute la phrase la plus forte de Cueillettes. Si la mièvrerie était une plante, Alina Reyes passerait ses soirées montagnardes à en faire de bonnes soupes chaudes, comme elle en fait avec les épinards.

Quand on aime à ce point la nature, on évite de condamner des arbres voués à l’impression de cette littérature qui aime les pommes, les fleurs et les légumes. On avait connu, jadis, une Alina Reyes sanguinolente et bouchère. Depuis, elle a troqué le sauciflard contre l’hostie et fait du trash à l’envers : hier la viande, aujourd’hui le persil.

Alina Reyes a rencontré Dieu, mais on aurait aimé que la réciproque fût vrai : elle aurait par miracle appris à écrire. Décidément obsédée par les cueillettes, elle cueille « des mots des phrases » mais aussi des champignons : « J’ai cueilli beaucoup d’autres cèpes. » Dans son panier semblable à celui de Belle des Champs, nous trouvons aussi des clichés bien mûrs, des inepties de saison et des descriptions que le Petit Jésus lui-même trouverait indignes d’un petit berger illettré de la Salette. « Tout commence au jardin. C’est là que les enfants naissent, dans les choux, dans les roses. » En 2010, cinquante ans après la mort de Céline, de telles choses sont publiées. Par charité chrétienne, justement, je n’infligerai pas au lecteur sensible, catholique ou non, le passage où Alina-les-cueillettes compare le corps du Christ à une crêpe. Devant tant de confitures sulpiciennes (faites avec les beaux fruits juteux du gentil jardin), ceux pour qui Jésus signifie autre chose qu’enfoncer ses bottes crottées dans les sentiers bordés de passiflore et de lavande s’en retourneront vers les vrais mystiques. L’hystérie ne suffit pas : il faut aussi un brin de talent.

Pour qu’Alina-pommes-persil comprenne, je vais m’exprimer dans sa langue : il faut des œufs frais et du beurre doux pour faire une belle omelette. « Mon amour, je sais comment réunir les deux faces de la crêpe : en la roulant sur elle-même, encore brûlante. » La Sainte face, devenue pancake, sera recouverte par le style d’Alina-jolie-laitue qui servira de sirop d’érable. Je pensais qu’après Claudel et Bloy, Simone Weil et Bernanos, Jésus était en sécurité. Faux : il est en danger, entre les mains d’une pauvre dingue qui raconte ses citrouilles, confond une crotte de chèvre avec l’eucharistie et n’en revient pas qu’une salade de tomates soit possible ici-bas. « Chaque jour dans la montagne notre famille se nourrit de soupe aux nuages et de desserts au soleil. » Cette seule phrase anéantit à elle seule tous les livres passés et à venir d’Alina-bouche-bée-les-omelettes.

Je vous laisse imaginer ce que signifie pour elle croquer dans une pomme ou rencontrer une vipère dans un talus : toute la Bible se met alors en branle. Les Pères de l’Eglise ? Des figues. Le Saint-Esprit ? La fiente odorante et savoureuse d’une pie qui s’ébroue. « Mon ami Antoine m’a donné sa recette pour le risotto. » On ne sait s’il s’agit du saint martyr grillé vif (avec des fines herbes dont les senteurs divines ne manqueront pas de s’élever vers les cieux). Mais cet Antoine aurait dû donner à l’auteur de ce livre à la noix une autre recette : celle de la dignité. Un bon rempart contre le ridicule. Voici donc une omelette. La première omelette faite sans casser des œufs.

Cueillettes, d’Alina Reyes, Nil éditions, 114 pages.

11 Commentaires

  1. l’écriture c’est comme le marketing, l’hyperspécialisation accélère la renommée du produit (phase de croissance), et précipite aussi sa fin de vie (phase de déclin)….
    Du reste, je n’ose croire que ce résultat soit le véritable fruit de votre réflexion. Si?

  2. Yann Moix, le nouveau Patrick Besson du dézinguage n’est jamais ausi bon que dans le style « critique ». Bon, ce n’est pas du Thibaudet, mais c’est amusant. Je n’ai pas lu le bouquin d’ Alina, mais moi, c’est Yann qui me tracasse. Je l’ai entendu déclarer récemment dans une émission télé, que ce serait l’idéal que les politiciens soient des professionnels ! ( des passionnés, des experts). La technostructure au pouvoir ! Pour un admirateur de Péguy…
    Pour terminer par une idée qui me vient à l’esprit,en écrivant, il me semble que Yann aime trop ( à raison, souvent) ou éreinte trop ( à tort, parfois). C’est ( lui aussi) un passionné ! Le juste milieu ? Je suis contre ( à moins que le « milieu » soit juste). Alors la bonne façon ? Je l’ignore encore !

  3. Et voilà comment on tue quelqu’un littérairement.
    Vous ne voulez plus avoir de concurrents, c’est ça Yann Moix?
    Le site devrait accorder un droit de réponse à Alina.

  4. Excellent papier, bravo !

    ou en est votre procès contre wikipedia yann ?

  5. Quel Beau Papier!
    Je reviendrai vous lire, Yann.
    Allez, un peu d’humour aux amateurs de cuei!llettes!!

  6. En fin quelqu’un qui, avec talent, appelle une merde une merde !
    Je commençais à désespérer !
    Merci…

  7. Si après ça elle ose reprendre sa plume, chapeau.
    Que vous êtes dur:-)
    Du sang! du sang! Et encore du sang!
    J’aime quand ça cogne.
    Je reviendrai vous lire.

  8. Yann Moix se plaignait auprès d’ Eric Naulleau chez Ruquier que celui-cu qualifie son dernier livre de « néant », outré par la violence du propos.

    Et à longueur de posts, le même Yann Moix se permet de détruire consciencieusement ceux et celles dont il n’ apprécie pas le travail avec les mêmes armes qu’ il dénonce quand elles sont dans les mains de ses contradicteurs.

    Bel article en effet pour qui veut connaitre Yann Moix et ce qu’ il dénie aux autres pour se l’ approprier.

    La prochaine fois qu’ il se fait éreinter, je ne le plaindrai pas.

  9. Très très grande forme!!!!
    Rarement autant ri.
    Bon, je ne sais pas ce que Yann Moix pourrait dire de ce commentaire (dont le style ne peut – et ne veut – se comparer au sien) mais au moins, j’espère qu’il sera clément en me lisant.. Je n’ai pas condamné d’arbre pour le faire, moi!
    MERCI, Yann Moix