Après six années à la tête du CRIF, Richard Prasquier a quitté ses fonctions le 26 mai dernier. Même si j’avais coutume de dire que nous étions en désaccord sur à peu près tout sauf sur l’essentiel, cela est très insuffisant pour résumer l’homme et son action.
En apparence rien ne prédestinait le père de famille comblé, l’illustre cardiologue n’aimant rien tant que dévorer un livre inconnu dans une langue étrangère à devenir le premier militant de la communauté juive de France et l’un des plus respectés à travers le monde. Etait-ce son ambition ? Certainement pas.
Richard est l’un des rares êtres dont on peut affirmer sans friser le ridicule qu’il est mû par le devoir et par une piété rare : la piété filiale. Toute sa vie a été guidée par l’ombre portée sur son épaule de son père, Joël, disparu trop tôt et qui appartenait à cette génération de juifs polonais qui étaient des héros puisqu’ils n’avaient pas été des victimes et qui avaient su, comme l’a écrit Kipling, « voir détruit l’ouvrage d’une vie et sans un seul mot se mettre à rebâtir ».
Tout est là.
De prime abord, rien ne permettrait de déceler une identité particulière chez Richard Prasquier. Et pourtant, il est né juif en Pologne le 7 juillet 1945. Sa naissance, je le crois, a été un passeport et un vaccin: vaccin contre les idées un peu courtes, maladie de jeunesse qui en a fait crier tant d’autres «CRS SS» et un passeport aussi, lui permettant de cheminer entre la Pologne et la France, Auschwitz et Yad Vashem, la médecine et l’engagement, Israël et le Rwanda. Polonais par la naissance, Français par destin, Européen par la force des choses et sioniste par conviction.
Par piété il se devait d’abord d’être le premier. De sa classe, de sa promotion. Médecin, évidemment, docteur en cardiologie, c’est mieux. Puis vint l’apprentissage de la langue, pas une mais sept ou huit. De la culture, toutes les cultures, des cultes, le judaïsme dont il est connaisseur plus qu’adepte et du monde catholique dont il est aussi un fin lecteur.
Ayant gravi un à un les échelons de la méritocratie républicaine, le docteur fort en thèmes pouvait renouer avec l’identité. Ce fut d’abord le long voyage de la mémoire avec le Comité français pour Yad Vashem qui l’amènera à honorer les justes dans les plus petits villages de France et jusqu’à Auschwitz exhumer sur ses deniers, un four crématoire jusque là ignoré.
Chemin faisant, ce fils unique s’est trouvé de nombreux frères: le Père Patrick Desbois, découvreur de la « Shoah par balle », Marcello Peseti, l’historien du camp d’Auschwitz ou encore Schlomo Venezzia, l’un des seuls témoins oculaires des fours crématoires pour ne citer que ceux-là.
La suite est mieux connue puisque Richard Prasquier a été élu président du CRIF au mois de mai 2007. C’est peu dire qu’il a gouverné une institution sensible dans une période charnière, puisqu’il a su gérer avec habileté, entre autres, les procès des meurtriers d’Ilan Halimi, le combat pour la libération de Guilad Shalit et plus près de nous, l’affaire Merah.
Evidemment, nos désaccords furent et restent nombreux et personne ne peut soupçonner sérieusement l’intéressé de figurer au rang de mes «camarades». Il n’a jamais admis, par exemple, que l’on puisse critiquer publiquement le gouvernement israélien au nom de l’intérêt que l’on porte à Israël et, pour ma part, je n’ai jamais considéré l’affaire al-Dura, sans rien mésestimer de ce qu’elle nous enseigne de la partialité des journalistes, comme la mère de toutes les batailles.
Je lui suis gré de n’avoir jamais cédé sur le pluralisme à l’intérieur du CRIF dont il fut le gardien intransigeant ou sur la condamnation mainte fois réitérée du Front National et de ses ersatz, même quand celui-ci offrit un nouveau visage à défaut d’idées nouvelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas très fier d’avoir signé trop rapidement un texte collectif dont la lecture pourrait laisser penser l’inverse, à tort.
Richard a toujours fait prévaloir les combats qui lui importent sur les personnes qui les animent. Paradoxalement, un regard porté sur son action à la tête du Crif pourrait mener à un constat plus nuancé : c’est par son intégrité et sa stature plus encore que par ses idées qu’il a gagné, si ce n’est l’adhésion, du moins l’estime de ses adversaires les plus farouches. Lui qui est si peu «politique» nous laisse cet enseignement en partage valant pour la communauté juive comme pour le reste de la société: la rectitude n’est pas une ligne qui sépare la droite de la gauche mais qui les traverse toutes deux. Merci donc Richard Prasquier, pour cette belle leçon de vie et d’engagement.