Paris, le 13 février 2012
Pour la quatrième fois, on a entendu hurler des slogans antisémites dans la Tunisie nouvelle. Pour la quatrième fois, des appels meurtriers ont été proférés en place publique sans que cela ne suscite de réaction immédiate des autorités.
On avait entendu en février 2011 des dizaines de manifestants crier des slogans antisémites et déployer des banderoles du djihad en passant devant la grande synagogue de Tunis. Nous étions alors au lendemain de la fuite de Ben Ali, et il était possible de mettre cela sur le compte du sentiment d’impunité qui régnait alors dans cette Tunisie enfiévrée par la transition démocratique.
En août dernier, à Zarzis, des témoins avaient assuré avoir entendu les mêmes slogans proférés pendant plusieurs minutes dans l’indifférence des passants et dans le silence des dirigeants politiques tunisiens. Pas de condamnation, ni même d’enquête. Juste la dénonciation timide d’un acte isolé.
Le 5 janvier 2012, le chef du Hamas Ismaïl Haniyeh était reçu en grandes pompes par le gouvernement tunisien. L’homme a été filmé par des dizaines d’anonymes à sa sortie de l’aéroport. Sur ces vidéos, on voit des dizaines de manifestants dans le hall de l’aéroport scander «Tuez les juifs, c’est un devoir » en présence de dignitaires tunisiens et de la police tunisienne, sans que cela ne suscite la moindre réaction. Il a fallu attendre plusieurs jours pour qu’un membre du gouvernement ne dénonce timidement ces agissements, et plusieurs jours encore pour que Rached Gahnouchi, le fondateur d’Enahda n’assure Roger Bismuth, le président de la communauté juive tunisienne de son… amitié ! L’amitié au lieu d’un rappel à la loi et d’une condamnation sans ambages.
Ce dimanche 12 février, c’est encore un pallier supplémentaire a été franchi. C’est peut être le dernier avant un acte antisémite.
Dimanche matin au cœur de la capitale tunisienne, ils étaient plusieurs milliers à scander leur haine antisémite. Ils étaient venus pour écouter un prédicateur égyptien connu pour ses prises de positions en faveur de l’excision. Sur cette vidéo, on voit ces milliers de personnes scander comme un seul homme : «Khaybar Khaybar ya yahud, jaysh Muhammad sawfa ya‘ud » « Ô Juifs souvenez-vous de Khaybar, l’armée de Mahomet reviendra ». Au-delà de la réalité historique de la bataille de Khaybar, cet épisode symbolise aujourd’hui l’asservissement d’une tribu juive par Mahomet à l’issue d’une bataille sanglante. Rappeler Khaybar, c’est promettre aux derniers Juifs tunisiens la mort puis l’oppression.
Contrairement à février dernier, la classe politique tunisienne n’a cette fois-ci plus l’excuse du désordre inhérent à toute révolution. Ils ne peuvent non plus arguer de l’acte isolé, comme en août 2011. Ni se retrancher derrière la difficulté pour faire condamner les partisans d’un mouvement spontané dans un lieu public comme le mois dernier.
Dimanche matin au cœur de Tunis, ils étaient plusieurs milliers, à scander leur haine antisémite. Claude Nataf, le Président de la Société d’histoire des Juifs de Tunisie me le rappelait justement aujourd’hui : dans leur histoire, les Juifs ont payé suffisamment cher pour se souvenir que lorsque l’on entend crier impunément mort aux Juifs, c’est toujours suivi de la mort de Juifs.
Si la Tunisie est bien un état de droit, si la force publique a une signification, alors c’est l’heure de vérité. Là où les Juifs sont menacés, une ère sombre s’ouvre pour tous. Message aux dirigeants politiques, syndicaux, associatifs tunisiens ; l’avenir des derniers Juifs de Tunisie et celui de votre jeune démocratie se joue ces prochains jours, dans votre capacité à ne pas laisser ces appels antisémites sans réaction.