C’est la première fois que je revois Petro Porochenko depuis son élection.
Il me reçoit dans un grand salon lambrissé, aux dorures étrangement rosées, où les caméras de la télévision ukrainienne filmeront les premières minutes de l’entretien.
Il évoque notre rencontre, sur le Maïdan, aux heures incertaines de la révolution, un dimanche de février où le hasard des temps de parole nous avait fait nous succéder à la tribune.
Puis le jour, quelques semaines plus tard, où je l’avais fait venir à Paris, avec Vitaly Klitschko et les dirigeants de la communauté juive de Kiev, pour faire connaissance, à l’Elysée, avec le président François Hollande.
Puis, pendant la campagne, cette série de meetings, à Kryvyï Rih, Dnipropetrovsk, Dniprodzerjynsk, autant de villes de l’est russophone où je l’avais accompagné et où il m’avait offert le privilège d’adresser à la foule, en ouverture, et en français, le salut de l’Europe.
Puis ma visite d’aujourd’hui, en route vers Odessa, où je dois lire, dans le cadre magnifique de l’Opéra national, le texte de la pièce que j’ai écrite pour Jacques Weber, qu’il a créée à Sarajevo et qu’il jouera, à la rentrée, à Paris. Pourquoi Odessa, me demande-t-il ? A cause d’Isaac Babel, Monsieur le Président, et de sa « cavalerie rouge » ; à cause d’Eisenstein et des grands escaliers du « Potemkine » ; mais surtout, surtout, parce que cette pièce est, aussi, un hommage à la nouvelle Ukraine et qu’Odessa est une ville où l’on parle russe mais où l’on est, d’abord, patriote ukrainien…
Et puis, très vite, les caméras parties, nous en venons à l’essentiel : la guerre ; sa guerre ; celle, plus exactement, que lui ont imposée les soudards séparatistes stipendiés par le Kremlin et qu’il est en train de gagner.
Et puis l’essentiel de l’essentiel : ces fameux Mistral (il y en a, non pas deux, mais quatre) que la France a vendus à la Russie et dont la livraison, outre qu’elle compromettrait stupidement ces relations privilégiées qui se sont nouées entre nos deux nations, serait interprétée par Poutine comme un signe d’encouragement plus que jamais inopportun.
Je lui dis que nous sommes nombreux en France – à commencer, me semble-t-il, par le président de la République lui-même – à penser comme lui et à espérer que l’on trouvera une façon de sortir dans l’honneur de ce piège.
Et je l’informe qu’il y a deux issues possibles, très concrètes, et dont je crois savoir qu’elles sont déjà à l’étude : l’une, d’origine allemande et soufflée à François Hollande, à Paris, le jour du centième anniversaire de l’assassinat de Jaurès, qui verrait l’Union européenne racheter les quatre contrats pour le compte d’un de ses membres ou, mieux, de l’Union elle-même dont l’introuvable « Défense commune » verrait là son acte de baptême ; et l’autre, que j’ai suggérée et qui verrait la même Union procéder au même rachat, mais au bénéfice, cette fois, de l’Ukraine qui, moyennant un crédit de longue durée et à des conditions privilégiées, verrait enfin la couleur de cette « solidarité européenne » promise depuis des mois.
Petro Porochenko écoute.
Valeriy Chaly, son plus proche collaborateur, note.
Il me répond que l’idée est symboliquement forte et qu’elle est, bien sûr, la bienvenue.
Mais il ajoute que l’urgence serait de s’équiper en armes de haute précision que la France est l’un des rares pays à pouvoir fournir et qui permettraient : 1. de dissuader Poutine de s’engager plus avant dans cette guerre criminelle ; 2. d’arraisonner une bonne fois, et sans trop de dommage pour les civils, les miliciens terroristes de Donetsk ; et 3. de créer sans délai les conditions d’une paix que demande, en réalité, l’immense majorité des Ukrainiens.
Petro Porochenko, à cet instant, n’a plus grand-chose de commun avec le roi du chocolat que j’ai rencontré il y a six mois.
Ni, d’ailleurs, avec l’homme pieux que j’ai surpris, un matin, à quelques minutes d’un meeting, allant se recueillir dans une petite église orthodoxe de quartier.
Avec ses épaules massives, son visage gothique et son air de fauve aux aguets, il ressemble à Tito jeune, dans les rares photos de son époque parisienne, quand il recrutait pour les Brigades internationales en Espagne.
Avec sa logique simple mais implacable, avec cette façon nouvelle de donner à ses choix l’évidence de la vérité et de la justice, il a quelque chose de ces résistants dont Georges Canguilhem nous disait qu’ils se battent par logique – pas par goût, non ; pas par tempérament ; juste par logique et parce qu’il n’y a pas de parti plus sage.
Chef de guerre malgré lui, sentinelle d’une Europe à laquelle il croit presque autant qu’à l’Ukraine, tenant tête à Poutine quand nombre de ses homologues préfèrent se coucher et trouver des accommodements avec lui, il entre à cet instant dans la galerie de hautes figures qui m’ont toujours fasciné et dont le point commun est, à un moment donné de leur vie, d’être saisis par le destin et de savoir trouver en soi la voix secrète, et la passe, qui mène à la grandeur.
Courage et dignité.
Noblesse de la politique quand elle prend la forme de l’Histoire.
La force au service de la raison, et non l’inverse.
Il faut soutenir le président Porochenko – il faut le suivre dans la voie qu’il a choisie et qui est celle du refus de l’impérialisme venu de l’est.
Avec Petro Porochenko
par Bernard-Henri Lévy
13 août 2014
Bernard-Henri Lévy raconte son entretien avec le président ukrainien.
Merci pour faire le lien entre la France et l’Ukraine, et encore davantage entre Petro Porochenko et François Hollande.
Le monde a les yeux tournés vers la France, et notamment vers François Hollande. Il faut trouver la solution pour ne pas vendre son âme au diable, ne pas vendre 4 Mistrals à un dictateur, qui est près à tout… même à tuer.
Il en va de l’honneur de la France et des français à travers le monde. Nous sommes LE pays des libertés. François Hollande se doit de maintenir une image saine de la France. Osons dire NON à Poutine… je n’imagine pas le contraire.
Hollande va se faire comprendre le plus tôt possible s’il souhaite empêcher Poutinette de monter sur le podium de France. Il ne saurait être question, dans les trois ans qui nous restent à vivre sous nous-mêmes avant que nous ne virions à la caricature, de nous synchrétiser une Trinité celtique ou une triade chrétienne.
Le sol du droit sent la poudrière; on ne le foule plus de crainte qu’il n’explose. Le droit du sol pue le poulailler; on s’y tient comme un œuf sur des œufs, de peur que tout n’éclose. On oublie juste que l’esprit de finesse ne s’aplatit pas devant une brute épaisse, que sa nature lui donne la faculté de traverser les murs et les masses, et qu’ainsi, le citoyen des mondes pourrait bien être le héros de la rentrée démocratique. Tout dépendra du regard que nous porterons sur le regard qu’il portera sur lui-même.
Hors de son vide civilisationnel, nous ne pouvons pas empêcher la centrifugeuse néostalinienne de repousser les aspirations individuelles de l’autohistorien. En revanche, rien ne nous interdit de ramasser celles-ci à la petite cuiller.
Il y a de la résistance au cœur de la rébellion contre-révolutionnaire. Elle débloque dans son propre bloc. Elle mérite qu’on la sorte de l’asile assassin. Je déteste que l’on oublie qu’on la déteste.
Quid des crimes criméens?
Paumés par nous, pauvres paumés!
Et la démocratie dans le Tout et dans le ça?
Eh bien, je vous prends aux mors, mon cher attelage, moi, qui me trouve ligoté dans votre diligence. La majorité ukrainienne aura le dernier mot si la majorité intraminoritaire demeure une minorité. L’Ukraine peut permettre à l’Europe de recouvrer sa liberté d’action au sein de la communauté internationale de même que le rôle d’Israël c’est d’aider les États-Unis à conserver leur rang de leader des régimes antitotalitaires.
Nous ne gagnerions rien à trafiquer l’Histoire au point d’en oublier que Dragoon fut une opération placée sous le haut-commandement du général Alexander Patch. Sans l’opération Torch, la France coloniale aurait poursuivi sa descente aux enfers collaborationnistes. C’est donc aux Anglo-Américains et à leur stratégie globale que les Français Libres, les indigènes et les Pieds-Noirs doivent d’avoir, le temps d’un été meurtrier, sauvé l’honneur de la France, et pour certains, leur propre peau.
Une hyperpuissance se reconnaît à son autorité naturelle. Il faut toujours s’en remettre aux forces intelligibles.
Diamond Dome couronnera tout le processus. Opacité extralucide contre mythe de la transparence.
Quoi qu’il advienne, le bras de la justice frappera toujours la brute avant qu’elle ne vous bute. Mais l’avantage avec le politique, c’est qu’avec la primauté que les hommes lui ont conférée, rien n’a été négligé dans la perspective de son épanouissement.
Si j’étais moi-même, je donnerais au peuple ukrainien l’opportunité de faire la démonstration de son sens de la dette en remboursant quatre navires de guerre qui ne doivent pas quitter des yeux le boulevard qu’a aujourd’hui devant lui le pirate de Sébastopol.