Mercredi 4 novembre 2015, au siège de l’UNESCO, a eu lieu la commémoration du vingtième anniversaire de l’assassinat d’Yitzhak Rabin. La cérémonie s’est déroulée sans hasard au Square de la Tolérance dont l’inauguration-même, en 1996, était un hommage rendu au défunt Premier ministre d’Israël. Les images de son dernier discours (prononcé quelques minutes avant qu’il soit assassiné par un fanatique d’extrême droite, le 4 novembre 1995, lors d’une manifestation pour la paix sur la grande place de Tel Aviv qui porte aujourd’hui son nom) ont été projetées et ont précédé les discours solennels, celui de la directrice générale de l’UNESCO Irina Bokova et celui de l’Ambassadeur d’Israël auprès de l’organisation Carmel Shama Hacohen. La manifestation s’est achevée sur un air de violon joué par Ivry Gitlis, le virtuose israélien aujourd’hui âgé de quatre-vingt treize ans et nommé Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO : ses quelques notes aux accents mélancoliques des musiques traditionnelles ashkénazes ont laissé dans l’air un parfum de nostalgie d’un moment historique qui, comme plusieurs de ceux qui l’ont vécu l’affirment, aurait pu aboutir à un accord de paix durable entre Israéliens et Palestiniens.

Est-ce au seul enivrement nostalgique qu’à chaque anniversaire la mémoire d’Yitzhak Rabin nous invite ? Son parcours exceptionnel et sa vision politique ne devraient-ils pas nous inspirer un peu plus que la réminiscence douce-amère d’un espoir déçu ?

Evidemment qu’à l’appel du nom Yitzhak Rabin il nous incombe en premier lieu de rappeler l’espoir qu’il insufflait et de raviver sa conviction profonde : un accord de paix avec les Palestiniens peut être atteint, une coexistence pacifique entre deux populations hier ennemies est possible. Nous sommes tous imprégnés – même nous qui étions trop jeunes pour avoir vécu en direct ce moment – des photographies d’Yitzhak Rabin serrant la main de Yasser Arafat entouré de Bill Clinton. On nous a, à juste titre, transmis ce souvenir fort d’un Premier ministre qui, par sa sincérité, sa détermination et son intelligence politique avait su gagner la confiance des dirigeants et conquérir le cœur des gens, celui des Israéliens et de leurs voisins Palestiniens mais aussi celui du monde qui avait alors les yeux braqués sur Israël. Nous vivons avec l’idée que nos aînés politiques ont connu une époque où la paix était à portée de mains, un instant de grâce sans précédent mais aussi sans équivalent puisque l’assassinat d’Yitzhak Rabin l’avait définitivement enterré. Avec pour seul enseignement une mémoire nostalgique, presque angélique, la mémoire d’Yitzhak Rabin nous condamne à cultiver cette prémonition fataliste : avec sa disparition se sont évanouis pour de bon nos meilleurs espoirs de paix.

Pourtant, à y regarder de plus près, il semble que les conditions politiques de l’époque n’étaient pas beaucoup plus propices à la paix qu’elles ne le sont aujourd’hui : le leadership palestinien et les institutions de l’Autorité palestinienne étaient bien moins solides tandis que le gouvernement Rabin perdait en popularité à mesure que les difficultés des négociations s’accumulaient. Il faut aussi rappeler que les qualités d’homme de paix d’Yitzhak Rabin n’ont eu d’égal que le brio avec lequel il avait su faire la guerre : chef d’Etat major de 1964 à 1968, Yitzhak Rabin avait mené Tsahal à une victoire fulgurante pendant la guerre des Six-Jours ; au moment de l’éclatement de la Première Intifada, la colombe des accords d’Oslo alors ministre de la Défense était réputée « faucon » en matière de sécurité. Le titre du récent documentaire retraçant le parcours de l’ancien Premier ministre « Yitzhak Rabin, 1922-1995 : le guerrier de la paix » nous convoque à ce plus juste souvenir.

Et si la mémoire d’Yitzhak Rabin nous enseignait donc bien plus que le souvenir d’une paix manquée ? Si elle devait chaque année nous rappeler qu’il n’y a pas de bon moment pour conclure un accord entre deux ennemis et que ce dont il est surtout besoin pour mettre fin à un interminable conflit n’est pas l’angélisme mais le courage politique dont Yitzhak Rabin a su faire preuve, c’est-à-dire un savant mélange de fermeté, de convictions, d’empathie – et d’espérance.

Paradoxalement, n’est-ce pas l’audace d’un Ariel Sharon ordonnant le retrait de Gaza dix ans plus tard qui a, d’une certaine façon, aussi poursuivi le projet politique de Rabin ? Si vis pacem, para bellum certes, mais peut-être est-il temps aujourd’hui d’assumer également la difficile responsabilité que Rabin nous a laissée en héritage : avancer vers la paix de manière inlassable, ni avec naïveté ni avec mauvaise foi ; s’y employer avec fermeté, en dépit de tous ceux qui s’y opposent tant en Israël que, hélas, surtout du côté palestinien.

3 Commentaires

  1. Merci pour le message que vous passez. Un commentaire sur l’étoffe d’un Netanyahou aurait été bienvenu. Un avis ?

  2. Bravo pour ce texte courageux. Loin d’un regard nostalgique et passif, vous nous rappelez que l’espoir de paix ne doit pas être enterré, malgré les heures sombres que la population, des deux côtés, est en train de vivre actuellement.

  3. C’est une erreur encore trop répandue que celle qui consiste à faire porter aux adversaires politiques de Yitzhak Rabin l’assassinat du grand homme (novembre 1995). La violence de la campagne électorale qui avait abouti à sa réélection (juillet 1992) s’explique par la détermination que le Likoud se devait d’aligner sur celle des négociateurs de la conférence de Madrid (octobre 1991).
    Survint alors un névropathe cyclique, Œdipe carabiné, Bar Kochba de seconde classe à la mère délettrée qui lui faisait, chaque soir en le bordant, l’encodage sémantique de la Gematria pour les nuls, et il opta pour la soustraction pure et simple de ce Premier ministre numérologique dont le matricule divin correspondait, selon sa règle à calcul, à celui de Yasser Arafat. La majorité de droite qui, vingt ans plus tard, confiera les destinées d’Israël à un quatrième gouvernement Netanyahou, ne se fera pas la complice du taré. De fait, honorer la mémoire de Rabin ne peut et ne doit pas équivaloir à donner ses blancs-seings au Parti travailliste jusqu’à la fin des temps. L’homme fort de Moshe Dayan ne souhaitait pas qu’Israël rejetât la démocratie pluraliste. En outre, il est à noter que c’est Peres qui succéda à Rabin suite à la tragédie qui nous heurta de plein fouet à travers son martyre. Il y resterait — je veux dire aux commandes — jusqu’en juin 1996, un peu plus d’un semestre, assez longtemps pour s’être vu aspiré par une spirale anti-Oslo qui n’avait rien, mais vraiment rien de juif. Et, bien qu’assis au centre-gauche de la Knesset, Shimon le Grand n’eut pas d’autre choix que d’y répondre de manière adéquate, aux intérêts vitaux de son peuple s’entend. L’opération Raisins de la colère se sédimentera dans les mémoires palestiniennes sous son nom de rebaptême : «Massacre de Cana». Bien joué, les gars!
    C’est donc Oslo qui avait succédé à Oslo, et c’est Oslo qui aura recouru à la force légitime contre la délégitimation armée de tout ce qu’il représentait. Quelque temps plus tard, Peres se dira maudit. Maudit par la droite ou maudit par la gauche? maudit par les Arabes ou maudit par les Juifs? J’ignore si Dieu a pris la peine de maudire le dernier des Nobels juifs d’Oslo. Et s’Il l’a fait, je ne me hasarderai pas à m’arrêter sur une seule explication pouvant justifier Son arrêt. Je me bornerai à observer les événements terribles d’un début de troisième millénaire chrétien dont la densité ténébreuse fut l’occasion d’obtenir quelques éclaircissements sur la nature des djihadistes autorevendiqués du Fatah, ces monstres de perversité qui avaient feint d’avoir la paix au cœur — écœurant! — alors qu’ils empoignaient la dague des Hashashin de l’autre main, tel un tuteur attaché à leur épine tortueuse. Dans son malheur, la trahison d’Arafat aura été épargnée à Rabin. Amen.
    Les héritiers de Rabin savent tous ce qu’Israël voit mieux que personne. Il n’existe pas d’alternative pacifique à la solution des deux États. La guerre n’est pas la solution, c’est pourquoi Israël la conçoit sous l’angle défensif et ne déclare jamais lui-même les hostilités auxquelles il se prépare à mettre un terme, dans les délais qu’il prévoit aussi brefs que possibles. Ceci étant su, s’il est incontestable que Tsahal ou le Mossad figurent parmi les atouts maîtres du monde libre en ce qui concerne la Première Hypoguerre mondiale contre l’hyperterrorisme, force est de constater que le rayon d’action de la diplomatie israélienne est réduit à une peau de chagrin dans le périmètre géostratégique où les nations le tiennent pour principal responsable de l’échec d’une solution politique au conflit israélo-palestinien. À qui la faute? Comment voulez-vous qu’un État puisse déployer ses armes diplomatiques auprès d’un géographe négationniste qui n’a pas hésité à l’effacer de sa contremappemonde?
    En fait de conflit israélo-palestinien, nous n’aurons enduré que l’inlassable guerre israélo-arabe ou, plus largement, israélo-antisioniste, chose qui inclut les marionnettes marionnettistes du méta-empire. Chercher à établir la paix entre Israël et la Palestine, ce sera, pour commencer, aller convaincre, l’un après l’autre, les dirigeants de ce méta-État antisioniste de la nature irradiant de justice que revêtirait la justesse de ladite solution des deux États, soit 2 États pour 2 peuples, soit 2 États car 2 peuples. Mission désespérée? Peut-être pas lorsque l’on suit, avec autant d’émotion que d’attention, les percées de l’inestimable Allié kurde contre l’ennemi public n°1 de l’humanité. On se surprend alors à entrevoir l’acte d’indépendance du Kurdistan. Un État pour un peuple, et non des moindres! Un peuple dont l’indépendance d’esprit dont témoigne, entre autres éclaireurs exemplaires, son général Zaim Ali laisse présager que le principe lévysien de solidarité des opprimés le préservera toujours d’égarer, au nombre de ses principes fondateurs, la délégitimation des Juifs en tant que peuple et, à toutes fins volatiles, le droit de détruire leur État souverain.