Au festival de Cannes, on peut parfois s’étonner des hasards de la sélection, des points communs entre scénarii, du croisement des comédiens, et des clins d’œil, volontaires ou non, au passé…

Avec Valley of love de Guillaume Nicloux, est révélé tout un enchevêtrement festivalier. Les deux personnages principaux portent les prénoms de leurs interprètes, Isabelle (Huppert) et Gérard (Depardieu), et sont des comédiens à la renommée internationale. Ils se sont quittés trente ans auparavant, presque comme leur duo à l’écran, vu il y a trente-cinq ans dans Loulou. Ils se retrouvent durant une semaine dans la Vallée de la mort, aux Etats-Unis, pour un rendez-vous d’outre-tombe avec leur fils qui s’est suicidé six mois auparavant.

Pour Gérard Depardieu, on ne peut s’empêcher de tracer un parallèle autobiographique. Pour Isabelle Huppert, elle incarnait, à mi-festival dans Louder than bombs du Norvégien Joachim Trier, une photographe décédée (peut-être par suicide), dont le mari et les enfants se rendaient compte qu’ils ne la connaissaient pas si bien que ça. Dans le film de Guillaume Nicloux, elle est une mère en proie à la culpabilité après le suicide de son fils (photographe) qu’elle avait envoyé en pension dès l’âge de sept ans, et qui lui était devenu étranger après avoir passé des années sans le voir.

Au carrefour de tous ces éléments qui se répondent, Valley of love, présenté en sélection officielle, est un film sans prétention réunissant deux monuments du cinéma dans le décor dépouillé et inondé de lumière qu’est le désert américain.

Dans un registre quasi fantastique, le film oppose une mère qui veut croire à tout prix en la possibilité de recevoir un signe de son fils, et un père, plus lucide, qui se laisse guider presque malgré lui dans ce road-trip morbide. Isabelle met à profit ces retrouvailles pour tenter de percer le mystère du suicide, ou y apposer des mots pour apaiser sa douleur : « C’est notre faute ? » L’excellent Depardieu (prouvant ici qu’il en a encore sous le capot) répond spontanément : « Evidemment que c’est notre faute ! »

Ces deux personnages, l’un monstre bovin tout en sueur et pragmatique, l’autre silhouette diaphane qui se laisse aller à des élans mystiques, incarnent le désespoir qui touche les parents ayant connu le suicide de leur enfant, et qui se réfugient parfois dans des croyances ésotériques pour supporter l’immense douleur.

Après La forêt des songes de Gus Van Sant, dans lequel une forêt aux airs de purgatoire était habitée d’esprits communiquant avec le protagoniste au bord du suicide, pour le mener vers la rédemption, Guillaume Nicloux aborde lui aussi la perception des signes d’un proche décédé. Mais, contrairement à Gus Van Sant, le réalisateur français manie avec plus de simplicité les messages de l’au-delà. Tandis que le premier aurait certainement mieux fait d’amputer son film de sa dernière demi-heure, le second aurait pu facilement allonger son film afin d’approfondir son sujet, un peu survolé, surtout vers la fin.

Le film de Nicloux, tout en retenue, prend le parti d’un jeu et d’une réalisation naturels. Certains ont pu critiquer cet assemblage paradoxal d’aspects documentaires et de péripéties fantastiques. Or, la fin suspendue, malgré un léger goût d’inachevé, se révèle bien plus digeste que les explications pesantes d’un Gus Van Sant…

En laissant incertaine l’issue de ce rendez-vous avec la mort, Valley of love demeure un film onirique refusant d’imposer une vision du deuil : peu importe au fond si l’esprit de leur fils se manifeste réellement ou s’il ne s’agit que d’hallucinations liées à la chaleur écrasante du désert. Tout ce qui compte, c’est qu’ils aient été ensemble, jusqu’au bout : « Etre là, tout simplement », dit Gérard Depardieu.


Valley-of-Love-affiche

Valley of love
Réalisé par Guillaume Nicloux
Avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu
Date de sortie : 17 juin 2015