Ce blog, mon tout premier, était destiné à gentiment préparer la parution de mon « Après Badiou ». En lieu et place de « Après A.B. », ce sera évidemment : Après B.A. Eh oui ! Il m’a été impossible de m’empêcher de jouer de l’allitération Alain B./Ben Ali. Il est évidemment hors de question de comparer un dictateur policier et cupide et un (très) grand philosophe dévoyé – le premier à ce point depuis Heidegger. Par contre, la coïncidence aveuglante de la microscopique révolte métaphysique, et du fait que le premier événement politique positif du 21ème siècle provienne de mon pays d’origine, mérite pleinement d’être interrogée.

Tous ceux qui me connaissent, connaissent mon travail, ont eu vent de la « mutinerie spirituelle », comme me l’a dit un ami ex-badiousiste, que j’ai activée contre le plus grand, hélas, des métaphysiciens vivants, savent que les coïncidences sont plus que nombreuses, et tout sauf fortuites. Quant à ceux qui ont déjà lu le livre, ils mesurent l’ampleur de la page qui se tourne. A tous les niveaux. Le réel par lequel le 21ème siècle commence nous est venu de Tunisie. Il est de l’autre de la providence, et de la logique pure à la fois, que pour une philosophie de l’histoire et une philosophie de l’événement, la mienne, le premier événement historique positif du vingt-et-unième siècle provienne de Tunisie et pas d’ailleurs. « L’événement tunisien », tel sera le livre dont ce blog-notes jettera les bases.

Ce blog commencera donc le jour même où je serai sur le sol tunisien. J’entremêlerai les enquêtes que je ferai là-bas, mes considérations, et le réel de ma propre crise, de ma propre paranoïa et peur, enfin de ma propre révolte philosophique de l’année dernière. Mais enfin, il suffit de lire le noyau de mon entreprise philosophique, Algèbre de la Tragédie (« L’esprit du nihilisme », Paris, Fayard, 2009), pour comprendre comment j’en suis venu là. L’événement tunisien, prodigieux, héroïque, totalement imprévisible quoi qu’on en dise après coup, agit sur ma pensée comme une véritable psychanalyse. C’est cet événement qui interprète ma philosophie et pas le contraire. C’est la révolte tunisienne qui éclaire la mienne et pas le contraire. J’ai une dette désormais infinie envers le peuple tunisien, et n’aurai de toute ma vie de m’en acquitter. Il suffit, même inculte en philosophie, même très peu lettré, d’égrener mon lexique pour savoir quel inconscient forclos travaillait cette philosophie. « Torture ». « Surveillance ». « Persécution ». « Mal ». « Droit ». « Mort ». Et quel « même » inconscient m’a poussé, fatalement, à la brouille subjective avec Alain B. La révolte philosophique, elle, couvait depuis longtemps ; seuls ceux qui ne lisent que du quatrième de couverture ne s’en doutaient pas.

Une grave dépression, de février en juin 2010, fut salutaire, de me pousser à m’avouer ce que je ne supportais plus. L’anti-démocratisme de comptoir gauchiste. Le mépris, très poseur gauchiste aussi, pour la question du Droit. L’anti-féminisme. L’égalitarisme abstrait, c’est-à-dire concrètement tyrannique. L’absence absolue de la question de la liberté, au cœur de ma dialectique propre qui a renversé la manière dont la métaphysique abordait communément le lien unissant transgression et législation. Du scandale obscène que constitue l’héroïsme grand bourgeois abstrait de qui n’a jamais fait la guerre, mais se livre à une agonistique permanente, et administre, à soixante-quinze ans, que la mort n’est rien, qu’il faut y être indifférent, et qu’on doit être prêt à verser autant de sang qu’il faudra pour la bonne cause. Les événements récents, l’héroïsme effectif du peuple tunisien, les sueurs froides que moi et ma compagne tunisienne avons endurées vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant des semaines en songeant à nos familles et à nos amis, ont achevé de ce que cet « héroïsme » universitaire m’apparaisse dans toute son obscénité.

L’immense après B.A. clarifie de manière radieuse mon minuscule après A.B. Comme elle clarifie la vie de chacun des dix millions de tunisiens, et à vrai dire très au-delà : le séisme historique et géopolitique de la Révolution tunisienne mettra des décennies à faire sentir ses conséquence.


10 Commentaires

  1. Le choix tunisien du mot « DÉGAGE » est providentiel de pertinence !

    Cet impératif est clair, net et puissant. Il n’a pas de synonyme poli aussi brusque et explicite. Il n’appelle aucune discussion ni transaction. Il n’accepte même aucun repentir.

    « DÉGAGE.. » c’est un ordre pacifique, une sentence forte qui implique l’exécution immédiate, la fuite instantanée et silencieuse.
    Son prononcé vaut contre une personne ou un groupe mais aussi contre un système et une idéologie.

    Une fois la sentence exécutée, la personne qui l’a proclamée est soulagée, DÉLIVRÉE : elle peut enfin, sereine et tranquille, respirer.. vivre.

    C’est pourquoi ce mot d’ordre juste et pacifique n’a pas fini son office de DÉLIVRANCE : il va faire le tour de la Méditerranée, le tour du monde…

    Chez nous, Patriotes de France, c’est désormais : « PS+UMP DÉGAGE » !

    Chez vous, Patriotes de Tunisie, allez au bout de votre DÉLIVRANCE !!!

  2. Héros de l’Humanité.. 
    .. le glorieux tunisien Bouazizi !

    Le sacrifice sublime de cet homme.. seul.. librement immolé dans sa dignité.. a mis le feu à la dictature libéral-socialiste mondialisée.. 
    Bravo !

    Bouazizi bienheureux, vous avez enclenché, seul et vaillamment, la délivrance des peuples du monde opprimés et réprimés par la bourgeoisie apatride et putride.. 
    Gloire à vous !

    Vous avez affronté seul le “made in FMI+OMC” et la racaille de leurs suppôts. Vous avez défié les dictatures et démocratures en place inféodées au libéral-socialisme criminel. 
    Vous avez, par votre immolation généreuse, donné le courage aux peuples opprimés de se délivrer de leurs dirigeants tueurs. Reposez en paix glorieuse.

    Bienheureux Bouazizi votre sacrifice suprême aura délivré l’Humanité !

    Patriotes de Tunisie, uni(e)s par votre frére glorieux Bouazizi, allez au bout de votre délivrance !

    Patriotes de France, de Corse et d’Outre-Mer.. allons-y aussi.. chez nous :
    “ DÉGAGE.. PS+UMP … DÉGAGE. ”

  3. Enfin, Badiou remis à sa juste place: un philosophe stalinien et Pol Potien du 20ème siècle égaré au 21ème siècle. De quoi A.Badiou est-il le nom? Du totalitarisme stalinien et plus généralement du communisme réel qui a disparu d’une grande partie de la planète mais reste vivant dans beaucoup d’esprits. Le livre de Mehdi Belhaj Kacem est bienvenu: il apparaît comme le témoignage d’une cure de désintoxication intellectuelle qui, espérons-le, aura de nombreux émules.

  4. Je ne suis pas sur de goûter cette manière de s’agenouiller devant la lumière qui semble transparaître à la fin de votre article. Ça ressemble à une logique de mouches. (lol)
    Clarifier la vie, et puis quoi, entrez dans la lumière aussi? (ptdr)
    Bref je ne suis pas encore sur de comprendre le déboulonnage d’Alain Badiou.
    Enfin ravi de savoir que votre dépression se soit stoppée pour apprécier le mondial. (xpdr)

    • ah le petit commentaire ironique avec tout plein de blagounettes so hype et distanciés. ça nous manquait! c’est quoi votre prochain vernissage cher Loïc?

  5. Enfin un texte critique sur Badiou, le grand académicien dont la pensée actuelle vise à une sorte d’oeucuménisme communiste qui n’a plus grand chose à faire dire au réel.
    Encore des idéaux de la parole qu’il est bon de rogner pour redonner du souffle.

  6. Ah, mais tout ne va pas si mal, dites-moi ! Enfin, il se passe des choses réjouissantes. Les pays arabes entrent en démocratie (l’Afrique « entre dans l’histoire », enfin) et Mehdi Belhaj Kacem abandonne le maoïsme. Je me sens comme Kant face à la Révolution française et pensant : la preuve en est faite, l’homme a une vocation morale.

  7. Un blog mais pourquoi ici? Après badiou avec BHL, la conséquence est-elle bonne?

  8. On a beaucoup glosé sur le fait que Heidegger « adaptait » ses spéculation aux évènements, que ce soit la motorisation de la Wehrmacht, ou la rencontre de Hitler et Mussolini à Venise (dans le Schelling, en 1936), jusqu’à la débâcle, où la guerre bien entendu n’est devient plus du tout décisive (que l’on songe à la piteuse conclusion de La dévastation et l’attente).
    Plus que jamais avec MBK, la philosophie est en prise directe sur le réel, et les évènements les plus authentiques ont leur répercussion dans la pensée…