Près d’un mois après avoir été condamné par la Justice iranienne à six ans et demi de prison et à 20 ans d’interdiction d’exercer son métier, le cinéaste iranien Jafar Panahi a obtenu ce matin un soutien de poids. Et celui-ci est d’autant plus inattendu qu’il provient du cabinet du président iranien Mahmoud Ahmadinejad.

« Je l’ai déjà dit par le passé, le jugement contre lui (Jafar Panahi) a été prononcé par la justice, et le gouvernement et le président ne partagent pas cet avis », a déclaré ce matin Esfandiar Rahim Mashaei, chef du cabinet du président iranien, cité par le quotidien réformateur Shargh. « Nous n’approuvons pas le fait que Jafar Panahi ne puisse pas travailler pour une longue période » en Iran, a-t-il ajouté.

Ainsi, cette prise de position constitue-t-elle l’heureux dénouement d’une affaire qui aura secoué le monde du cinéma?

« Cette déclaration fait partie du jeu iranien visant à mettre fin à la mobilisation internationale », explique à la Règle du Jeu Abbas Bakhtiari, directeur du Centre culturel Pouya à Paris et proche de Jafar Panahi. « On ne peut lui accorder de crédit ».

Esfandiar Rahim Mashaie est considéré comme la personnalité la plus proche du président Ahmadinejad, dont le fils a épousé sa fille. Ses prises de position jugées trop libérales déclenchent régulièrement l’ire des ayatollahs les plus conservateurs. En juillet 2008, Mashaei avait défié la chronique en annonçant que l’Iran était l’ami du “peuple américain et du peuple israélien”. C’est ce qui avait amené en juillet 2009, le Guide suprême iranien, l’Ayatollah Khamenei, à critiquer fermement sa nomination par Mahmoud Ahmadinejad au poste de vice-président, précipitant sa démission.

Mais Esfandiar Rahim Mashaie ne s’est pas tu pour autant. Nommé malgré tout par Ahmadinejad Premier conseiller et Chef du cabinet du président, l’homme a de nouveau provoqué en août dernier la colère du Clergé, en annonçant qu’il fallait présenter au monde « l’école iranienne », par opposition à « l’école islamique ».

Symbole des dissensions grandissantes au sein du pouvoir iranien, d’autres polémiques ont éclaté ces derniers mois en Iran, cette fois entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire.

En septembre dernier, la libération de la randonneuse américaine Sarah Shourd, accusée d’espionnage en compagnie de deux de ses compagnons, a donné lieu à un intense bras de fer entre le gouvernement iranien et le pouvoir judiciaire. Après de multiples rebondissements témoignant de profonds désaccords sur le sort à réserver à l’Américaine, celle-ci a été finalement relâchée le 13 septembre après le versement d’une caution de près de 500 000 dollars.

Fin décembre, le pouvoir judiciaire iranien, dirigé par l’Ayatollah Sadegh Larijani, a annoncé à la surprise générale que le Premier vice-président iranien, Mohammad Reza Rahimi, était accusé de corruption à un « haut niveau » et qu’il allait être jugé.

« Le pouvoir iranien agit comme une chaîne de magasins, révèle Abbas Bakhtiari. Chaque établissement peut avoir sa propre politique, mais la marque possède un seul mot d’ordre: le profit. Ici, il s’agit de la survie du Régime. Et de toute façon, la décision finale concernant Jafar Panahi revient au juge PirAbassi, qui tient ses ordres directement du bureau du Guide suprême, l’Ayatollah Khamenei ».

Ce matin, le quotidien ultraconservateur Kayhan, sous le contrôle direct du cabinet du guide suprême, a vivement critiqué les propos de M. Mashaie sur Jafar Panahi, l’accusant d’avoir « remis en cause la sentence contre un accusé actif dans le mouvement de sédition » (terme utilisé par le pouvoir pour qualifier les opposants à la réélection du président Ahmadinejad).

« M. Mashaie doit dire quel jugement à son avis aurait dû être prononcé contre Panahi. Aurait-on dû lui donner de l’argent en cadeau (…) ou un certificat de mérite? », écrit le quotidien.

Farideh Gheirat, l’avocate de Jafar Panahi, a déposé le 8 janvier dernier une lettre d’appel en faveur de son client, qui est actuellement en cours d’examen par le tribunal d’appel de Téhéran. Le verdict final peut être prononcé à n’importe quel moment.

Pendant ce temps, la mobilisation internationale en faveur de Jafar Panahi prend de l’ampleur. Tandis qu’en Iran, un Comité de cinéastes iraniens en soutien à Jafar Panahi et à Mohammad Rassoulof a annoncé qu’il boycotterait le festival du film international de Fajr à Téhéran, le festival international du film de Berlin, qui se tient le mois prochain, et qui a invité Jafar Panahi à faire partie de son jury, a annoncé qu’il ferait de son mieux pour contester sa « punition radicale » et qu’il lui rendrait hommage avec des projections de ses films. Enfin, selon Abbas Bakhtiari, le Comité de défense de Jafar Panahi et de Mohammad Rassoulof, dont font partie le Festival de Cannes, la cinémathèque française, le Festival du film de Venise et le Centre culturel Pouya, a prévu d’afficher pendant une semaine les portraits des deux cinéastes iraniens, accompagnés d’une demande d’annulation de leur peine, devant les cinémas du monde entier.