Depuis la nuit de jeudi à vendredi, Bernard-Henri Lévy est roi à Paris. Abonné à une présence permanente dans tous les médias, il avait l’habitude d’être attaqué pour son éternelle façon de vouloir tout savoir mieux que tout le monde. Aujourd’hui ,les choses ont changé. Quel intellectuel peut dire de son action qu’elle a eu pour effet direct une décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies ? Et quel pays peut se vanter d’avoir un tel intellectuel ?
On est vendredi midi dans un restaurant parisien. Un couple de retraités s’approche de sa table et l’aborde en cherchant ses mots : » Monsieur, nous tenons à vous dire merci pour avoir sauvé ces gens à Benghazi. C’est bien aussi pour la France. On aurait tellement eu honte si vous n’aviez pas été là. »
La France découvre aujourd’hui en BHL, pourtant si connu depuis si longtemps, l’incarnation de ses meilleures traditions et des valeurs nationales du pays des droits de l’homme, gardien d’un humanisme à vocation universaliste.
Un juif qui cherche à tout prix à sauver une ville peuplée d’Arabes, qui met tout en œuvre pour arracher les habitants de la ville côtière de Benghazi à la tyrannie du régime et de son chef – il n’y a qu’à Paris que l’on voit cela.
Début mars, BHL avait pris l’initiative d’aller en Libye, il avait rencontré les membres du Conseil National de Transition, sorte de gouvernement provisoire de la résistance et il avait téléphoné ensuite à Sarkozy. Celui-ci accepta aussitôt d’inviter les Libyens à Paris et reçut à l’Elysée leur délégation qu’accompagnait BHL. Ce fut le début d’une intense campagne anti-Kadhafi animée par deux hommes, BHL et Sarkozy, et qui trouva un dénouement heureux avec le vote du Conseil de Sécurité de l’ONU, du moins pour le moment.
Mais, ce vendredi matin, comme c’est souvent le cas chez BHL, le comique vient se mêler curieusement au sublime. Il lit des mails dans sa voiture. On lui apprend que quelqu’un a piraté sa notice biographique dans Wikipédia. Il s’y retrouve en « sexologue sioniste ». Il demande à un ami de s’en occuper. Tout cela l’énerve passablement. Les attaques le touchent, même s’il affirme le contraire. Perdu dans le paysage d’une presse unanimement positive, il y a un article modérément critique dans le magazine culturel branché « Les Inrocks »: il ne peut s’empêcher de le citer, encore et encore.
Il n’a guère dormi ces dernières nuits, et pourtant il n’a rien perdu de sa photogénie habituelle. On voit sur l’écran de télévision qu’il est heureux, et on le voit plus nettement que lorsqu’on est à côté de lui . Dans le studio du magazine « Édition Spéciale » de Canal-Plus, il apparaît en bras de chemise et garde le sourire même après les questions les plus stupides. C’est une émission de variétés avec une partie très légère consacrée aux actualités, mais BHL y est préparé : Il a rapporté des photos fortes de son voyage en Libye, la régie n’a qu’à les insérer pendant qu’il donne les explications, ainsi cela ne sera pas ennuyeux. Il connaît son temps d’intervention mieux que la régie. Il n’ignore rien des parts de marché et de la structure d’âge (très jeune…) des téléspectateurs. Et il semble éprouver un réel plaisir à s’expliquer à la télévision. La nouvelle d’un cessez-le-feu annoncée par Kadhafi arrive juste après qu’il a quitté le plateau. On lui remet un micro à toute vitesse, il revient sur le plateau et appelle les autres invités présents à la plus extrême prudence face au « bluff » de Kadhafi. Mais sa joie, encore une fois, est visible.
Il était grand temps. Jusqu’au milieu de la semaine dernière, la cause de la Libye semblait tourner au désastre pour BHL et Sarkozy, et à plus forte raison pour les insurgés.Le monde avait les yeux fixés sur le Japon. Le colonel fou, qui avait rassemblé ses troupes, était aux portes de Benghazi et annonçait un bain de sang. Dans les médias français, on se moquait du « Ministre des Affaires Étrangères- bis » qui aidait son adversaire politique Sarko à affaiblir le ministre des Affaires Étrangères Alain Juppé. C’était le 10 mars. Tandis que BHL, donnant les premières interviews à sa sortie de l’Élysée, rendait publique la reconnaissance du gouvernement provisoire libyen et réclamait des frappes aériennes, le ministre des Affaires Étrangères Alain Juppé, à sa descente de train à Bruxelles, était prié, lui, de donner son avis sur des événements qu’il ignorait totalement.
Juppé est aimé, son humiliation fut mal perçue. Et puis il semblait que rien, ni dans les sphères diplomatiques ni sur le terrain, ne pouvait arrêter Kadhafi.Le tsunami et la catastrophe nucléaire ont fourni à Kadhafi une couverture médiatique pour ses crimes. Mardi dernier encore, l’espoir pour Benghazi, pour une Libye libre et pour le printemps arabe, était sur le point de mourir. Alors, le fils de Kadhafi commit l’erreur d’évoquer des secrets que sa famille connaissait sur Sarkozy, et des dons libyens pour sa campagne électorale.
Ceci barrait à Sarkozy toute possibilité de retrait , transformant le conflit diplomatique en affaire d’honneur personnelle. Cela d’autant plus qu’il y avait les images de 2007, de cette visite interminable de Kadhafi á Paris.
BHL, pour sa part, est parvenu a faire basculer l’opinion publique française en une seule interview, jeudi matin, sur France Inter, l’émission matinale la plus écoutée. Il choisit pour cela un pathos puissant, rarement employé, rarement aussi justifié : « Le sang des insurgés de Benghazi coulera sur le drapeaux français, car c’est lui, le drapeau tricolore, qui est suspendu à la façade du bâtiment qui abrite le Conseil National de Transition, sur la Corniche de Bengahzi. »
BHL a trouvé là l’image symbolique forte, capable d’émouvoir les Français de toute orientation politique, et même les apolitiques d’ailleurs, et même ceux qui ne le sont pas (Français).
Il faut rappeler que cet engagement s’inscrit dans une longue histoire personnelle de combats, concernant le Bangladesh, l’Afghanistan, le Darfour, la Bosnie – BHL a défendu maintes causes humanitaires et morales. Mais l’Afrique du Nord, c’est encore autre chose, puisque il y est né, à Beni-Saf, en Algérie. Il a une résidence au Maroc, c’est une région qui lui tient à cœur. Et son père, André Lévy, fut un grand Français Libre, gaulliste, et a donc connu l’importance vitale d’une aide militaire et de la reconnaissance diplomatique quand on veut sauver et faire triompher l’honneur national. Voilà un argument propre à convaincre un Président de la République française : « Que serait devenue la Résistance, si personne n’avait reconnu de Gaulle ? »
Sarkozy et BHL ont certaines similarités biographiques : Ils ont grandi dans la même banlieue, à Neuilly. Tout les deux sont les fils d’immigrés d’origine juive. La France profonde, les longues dynasties de bourgeoisie catholique de province, l’amour de la chasse, le culte du « terroir », tout cela leur est étranger. On ne les trouvera guère dans les vendanges, faisant du fromage, cherchant des champignons ou faisant le marché.
Mais en politique, ils sont rivaux : BHL croît plus au PS que les socialistes eux-mêmes. Cette fois-ci, pour la Libye libre, ils se sont retrouvés : Ils eurent maintes conversations téléphoniques pour discuter stratégie, faire le point.
Tandis que BHL s’efforça de démontrer aux Français que les chars de Kadhafi menaçaient les valeurs de la République et universelles, Sarko appela personnellement les chefs d’État des nations représentées au Conseil de Sécurité, tel Zuma, d’Afrique du Sud, ou le Président russe, Medwedew.
Et l’abstention allemande ? BHL n’arrive pas bien à se l’expliquer. Serait-ce à cause des fantômes du passé, de l’Afrika Korps ? Comment lui faire comprendre que ce gouvernement-là ne pense pas bien loin, à peine jusqu’à la semaine prochaine, s’il y a une élection régionale, mais jamais vers les profondeurs de l’histoire.
Il ne peux s’imaginer, d’ailleurs, la torpeur des intellectuels allemands. L’hésitation, l’indécision dans de telles situations, il connaît cela depuis le Rwanda et Sarajevo. Tous ces diplomates qui ont laissé passer les chances de l’intervention. Ça ne le met même pas en colère – il sait, tout simplement, que d’attendre que se décident les prétendus « experts » ou « professionnels » est une perte de temps et laisse les mains libres aux assassins.
La France, Sarkozy et lui-même ont risqués gros. Aujourd’hui, les voilà des héros, pas seulement à Benghazi. BHL veut en parler. Deux émissions l’invitent, des direct de deux chaînes différentes, malheureusement à la même heure. « Avec une moto, je pourrais faire les deux ? » Joëlle Habert, son assistante depuis de nombreuses années, lui fait remarquer que c’est « encore une fois » une de ses idées absolument impossibles. Elle est, d’ailleurs, la gardienne de son journal intime, de ses secrets, car il les lui dicte chaque soir. Malgré sa vie tellement publique, ses engagements moraux et médiatiques, on imagine facilement BHL en homme pudique et secret. Tout Paris aimerait le lire, ce journal.
A Benghazi, ce n’est pas le problème. Le sort de la ville, de la révolution libyenne et du printemps arabe sont, à l’heure qu’il est, indécis. Sans ces deux Parisiens nerveux, il serait réglé depuis des jours – pour le pire.
Il est bien tôt pour se réjouir de cette intervention qui comme toutes les autres ne résoudra rien. Pire elle laissera des morts civiles et un pays meutrie toujours instable. J’éspère que vous parviendrez à faire le même article dans quelques années quand le recul sera là, permettez d’en touter.
Mr Minkmar, merci pour cet article, ou devrais-je dire ce bel hommage.