Le 7 rue de Lille est une adresse qu’un halo de mystère et de poésie, de glamour aussi, enveloppe. Là réside 7L. 7 pour la numérotation… L pour Lagerfeld. Le couturier mythique y avait installé son studio de photographie, ainsi qu’une grande partie de sa bibliothèque dédiée aux arts. Les ouvrages s’y frottent et offrent les plus singulières rencontres : Rubens dialogue avec Helmut Newton, l’art du roman avec Pierre Chareau, la tapisserie de Bayeux avec John Heartfield, Leyendecker est en grande conversation avec Ed Ruscha… Le studio en question est resté intact. Le fantôme de l’homme au col droit et à l’éventail hante les lieux. Ils sont à son image, d’une élégance et d’un raffinement rares. On raconte qu’il s’y rendait le plus souvent la nuit…

C’est dans ce studio-bibliothèque, parmi trente-trois mille livres, classés – non, disposés – dans un ordre secret, là où les ouvrages reliés prennent la pose à l’horizontale, que s’est tenu le premier salon de lecture de la librairie 7L pour la saison 2025-2026. L’invitée d’honneur était l’actrice, chanteuse et cinéaste Arielle Dombasle.

Dans ce décor feutré, où l’élitisme voisine avec l’éclectisme (je n’arrive pas à choisir), on s’apprête à écouter la conversation entre Arielle Dombasle et Laurence Delamare, directrice des lieux avec Coralie Gaultier. Il y a là Philippe Katerine et Julie Depardieu, Jean-Paul Enthoven et sa compagne, Arthur Dreyfus, Vanessa Seward et Bertrand Burgalat, Frank Riester, Paul Delmas, Elie Top, Philippe Eveno, Stanislas Mehrar, Anna Cabana, Marie Beltrami, Patrick Mimouni, Eric Dahan, Danièle Thompson, Virginie Thevenet, Ariel Wizman, Jacques Martinez, Oscar Coop-Phane, Christine et Olivier Orban, Roselyne Bachelot, Vincent Darré et, bien sûr, Bernard Henri Lévy…

La plongée dans la bibliothèque de la muse de Rohmer démarre. Qu’est-ce qu’une bibliothèque ? C’est une autre forme de biographie, un autoportrait fragmenté, en creux. Dites-moi ce que vous lisez, je vous dirai qui vous êtes. La chose fait du libraire un pharmacien… et un voyant. Lire est un geste intime, pénétrer dans la bibliothèque d’autrui relève parfois de l’indiscrétion la plus nue. Ce pourrait être d’une grande impudeur. Arielle Dombasle a accepté ce risque, avec finesse et élégance, érudition aussi. Suivons-la.

Laurence Delamare et Arielle Dombasle devant le mur de livres du studio-bibliothèque de Karl Lagerfeld.
Salon de lecture Arielle Dombasle au 7L : Laurence Delamare et Arielle Dombasle.

Une ancêtre. Il y a d’abord la figure tutélaire de Man’ha Garreau-Dombasle, l’« adorable » grand-mère d’Arielle Dombasle. Femme de lettres, dont l’œuvre a été saluée par les Surréalistes, elle était l’amie des artistes, de Carlos Fuentes à Octavio Paz en passant par Tamara de Lampicka et Ray Bradbury. La littérature comme la biographie est une affaire de généalogie. À l’aise dans les courbes et les rêveries surréalistes, amie des artistes ? Je me dis : telle grand-mère, telle petite-fille.

Un prénom. Pourquoi Arielle s’appelle Arielle ? Elle cite Shakespeare, Romeo et Juliette, parmi ses lectures. Éternelle amoureuse de l’amour – nous y reviendrons. Elle cite également La Tempête. Son prénom est une féminisation du personnage d’Ariel, semblable au Tuck du Songe d’une nuit d’été. Ariel(le ?) réenchante le monde. Il est un esprit vaporeux, aérien, emprisonné dans un arbre par le sorcière Sycorax, puis libéré par Prospero. Quand la légèreté littéraire rencontre celle d’une femme…

L’enfance. Le fil biographique continue d’être déroulé. Arielle Dombasle cite les contes, ceux d’Andersen notamment, de La petite fille aux allumettes à La petite sirène, comme des éléments fondateurs de sa personnalité, de son goût, de son tempérament. Les adultes, parfois, devraient revenir à ces lectures. Ils ne le font pas. Arielle Dombasle l’assume.

L’actrice, la réalisatrice. Muse de Rohmer disais-je. On pense à Perceval le Gallois, bien sûr. Ce soir-là, il était surtout question de La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist, mise en scène par Éric Rohmer à la Maison de la culture de Nanterre, en 1979. Il fut aussi question d’Alain Robbe-Grillet, écrivain et cinéaste, dont le dernier film C’est Gradiva qui vous appelle (2007), tourné au Maroc, suivait l’apparition d’Arielle Dombasle, vêtue de blanc, dans les rues de la ville. Elle raconte les tournages, les rencontres. Évoque sa collaboration avec Raoul Ruiz, avec qui elle tourne à trois reprises, notamment dans le proustien Le Temps retrouvé (1999), et une adaptation de Jean Giono, Les Âmes fortes (2001). Si la biographie d’Arielle Dombasle, depuis sa plus tendre enfance, est baignée de littérature, l’exercice de son art ne s’en éloigne jamais : si elle ne joue pas dans une adaptation, elle tourne pour un écrivain. Et lorsqu’elle passe derrière la caméra ? Elle réalise Chassé-croisé en 1982, où elle filme Sollers, Françoise Sagan, Pierre Clémenti, Roman Polanski, Alexandra Stewart, Pascal Greggory, François-Marie Banier – et plus récemment une adaptation d’Honoré de Balzac, Les Secrets de la princesse de Cadignan (2023). Pour faire honneur à cette cohérence, celle d’une carrière au croisement du cinéma et de la littérature, le salon de lecture s’est poursuivi par une projection du film Opium – Nathan Devers a lu, ce soir-là, un extrait des Confessions d’un mangeur d’opium de Thomas De Quincey, on reste dans le thème, tout fait sens –, tantôt fantaisie surréaliste, tantôt comédie musicale, film d’époque et d’amour, qu’elle réalise dans le décor de la villa de Tanger sortie de l’esprit audacieux et visionnaire d’Andrée Putman. L’occasion pour la réalisatrice de rendre hommage à toute la veine surréaliste qui l’inspire, avec la complicité de Vincent Darré. Racontant l’histoire de désir, de mots et d’art baignés des sentiments parfois destructeurs qui unissaient Jean Cocteau et Raymond Radiguet, Arielle Dombasle a réalisé une œuvre profondément singulière, « quand Le Sang d’un poète rencontre Le Diable au corps».

Laurence Delamare et Arielle Dombasle devant le mur de livres du studio-bibliothèque de Karl Lagerfeld.
Salon de lecture Arielle Dombasle au 7L : Laurence Delamare et Arielle Dombasle.

L’amoureuse. Le dernier trait de caractère qui est apparu lors de cette rencontre littéraire avec l’actrice, le temps d’un Salon – elle confie admirer les grandes salonnières du XVIIe siècle, Madame du Deffand, Madame de Scudéry – c’est son côté grande amoureuse. L’amour des livres a été surimprimé par l’amour réel. Au cœur de sa vie il y a un homme-livre, l’écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy. Elle raconte être tombée amoureuse d’un visage… sur la couverture d’un livre dans la vitrine de la librairie Lamartine. Leur première rencontre ? Une séance de dédicace. Elle se présente. Il la voit. Ils se reconnaissent. Il signe : « En attendant… ». Le livre, dans la vie de cette femme, fait office de centre de gravité. Arielle Dombasle est la première lectrice de son mari. On ne peut imaginer combien de livres ils ont dû échanger. La lecture de Belle du Seigneur d’Albert Cohen, elle la lui doit. Elle aime cette histoire « où l’amour prend feu comme une étoupe », explique-t-elle. C’est la passion, le passage du temps, la jalousie, le manque. En écho, l’écrivain Arthur Dreyfus lit un passage du Fragment d’un discours amoureux de Roland Barthes, à propos de l’attente, ce « tumulte d’angoisses ». Il décrit la scénographie des retards et les impatiences, les impuissances qui en découlent, la colère, la perte de raison, le délire, la reconnaissance, l’enchantement, le petit deuil du manque.

Salon de lecture Arielle Dombasle au 7L, les invités conversent entre eux.
Salon de lecture Arielle Dombasle au 7L : le studio-bibliothèque de Karl Lagerfeld.

De nombreuses autres lectures ont été évoquées dans cette déambulation biographo-psychologico-littéraire, presque une mise à nue. Les noms de Gabriel Garcia Marquez, Baudelaire, Rimbaud, Borges, Sor Juana Ines de la Cruz, André Breton (L’Amour fou et Nadja, l’amour, encore), Vivant Denon et Crébillon fils découverts par l’entremise de Jean-Paul Enthoven, Emily Brontë, Bergson, Nerval, Lord Byron, me reviennent…

La littérature, ce soir-là, a unifié tout un être.

Un commentaire

  1. Toute la jet-set parisienne avait fait le déplacement au 7L
    Dommage que l’article ne parle pas de certains ouvrages écrits par Chat GPT.