Yann Moix a été le premier et le seul à avoir écrit, ici à La Règle du jeu, que l’homme sur la photo n’était pas Rimbaud. Le temps lui a donné raison…
La dépêche AFP, le 24 janvier 2011
PARIS — La querelle d’experts continue autour de la photo de Rimbaud à Aden : un spécialiste affirme que l’identification sur le cliché d’un médecin belge exclut la présence de « l’homme aux semelles de vent » au Yémen à la date présumée de la prise de vue, ce que conteste son biographe.
Ce cliché, qui n’est pas précisément daté, dévoile, selon les deux libraires qui l’ont découvert en 2008 dans une brocante, un portrait inconnu de l’auteur du « Bateau ivre » et des « Illuminations », assis au milieu d’un groupe de sept personnes sur la terrasse de l’hôtel Univers à Aden au Yémen.
Selon Jacques Bienvenu, qui prépare un dictionnaire Rimbaud, un homme barbu, à gauche de la photo, serait en fait un voyageur et médecin belge, Pierre Joseph Dutrieux, né le 19 juillet 1848, qui avait fait partie d’une expédition en Afrique centrale avant de faire escale à Aden.
« Sa présence est attestée à Aden en compagnie de l’explorateur Henri Lucereau en novembre 1879 », assure-t-il dans « La revue des ressources », accessible en ligne.
L’identification de Lucereau et Dutrieux « permet de dater cette photo de novembre 1879 et exclut la présence de Rimbaud puisque celui-ci n’est arrivé à Aden qu’au mois d’août 1880 », explique M. Bienvenu.
« Qu’il s’agisse ou non de ce Dutrieux sur la photographie, cela n’exclut en rien la présence de Rimbaud. Car ce Dutrieux, comme on l?a appris pour Lucereau, a tout à fait pu séjourner à Aden en août 1880 », rétorque Jean-Jacques Lefrère, biographe d’Arthur Rimbaud.
Selon d’autres hypothèses, ce barbu aux tempes dégarnies aurait pu être Alfred Bardey, le patron de Rimbaud à Aden, ou l’explorateur Georges Révoil.
« Malgré tout, à ce jour, alors que le barbu de gauche, décidément très demandé, ne cesse de changer de nom, nul n’a réussi à trouver une autre identité au personnage de Rimbaud. N’est-ce pas tout ce qu’il y a à retenir de ce faux rebondissement ? », relève M. Lefrère sur le site Bibliobs.com.
« Tout barbu endimanché désireux de figurer sur la photographie d’Aden et ayant un alibi solide pour l’année 1880 est prié de contacter le rimbaldien de service ! », ironise-t-il.
La fameuse photographie de l’hôtel de l’Univers, acquise par un collectionneur français, a été présentée au public en avril 2010.
En septembre, une enquête menée en collaboration avec Jean-Jacques Lefrère, de nombreux chercheurs, institutions et particuliers, avait conclu qu’il s’agissait bien d’Arthur Rimbaud.
Ce document de plus de 100 pages consultable sur le site de La Revue des Deux mondes « confirme que le cliché a été réalisé en août 1880 par l’explorateur Georges Révoil sur le perron de l’hôtel Univers. Rimbaud, âgé de 26 ans, venait alors d’y arriver », selon Jacques Desse, l’un des deux libraires qui a mis au jour ce cliché.
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Cet homme n’est pas Rimbaud, par Yann Moix, le 18 avril 2010
Je suis désolé mais prouvez-le. Nous n’avons aucune preuve que cette photo de Rimbaud, qu’on nous impose depuis une semaine, soit une photo du véritable, du vrai Rimbaud. Des « libraires », des « spécialistes » ont regardé de près. Les dates concordent ? Rimbaud est venu à l’hôtel l’Univers entre 1870 et 1880. Donc, c’est lui. Mais c’est un « donc » qui n’est pas suffisant, strictement non suffisant. Sur la photo de Rimbaud, Rimbaud ne se ressemble pas ; tous les journaux ont publié cette photo, à grand renfort de spectacle, faisant confiance aux « recoupements », aux « nombreux recoupements » des spécialistes, mais les spécialistes en question n’avaient, bande de pauvres moutons que vous êtes, pas grand-chose à recouper : huit autres photos. Huit autres clichés qui, justement, quand on les regarde tranquillement, gentiment, chez soi, à tête très bien reposée, n’ont rien à voir, n’ont rien à faire avec le Rimbaud de cette photo de Rimbaud qui représente quelqu’un qui, à mon avis, n’est pas Rimbaud. Ces paupières tombantes, ce n’est pas Rimbaud. Cette implantation de cheveux, qu’on nous vend spectaculairement comme la preuve ultime, tellement absolue, vraiment définitive, elle n’est pas rimbaldienne : nous voyons, sur la photo inédite, un pauvre bougre un peu idiot, bouche un peu bée, au regard sans intelligence, et je veux bien croire que Rimbaud était tout ce que vous voudrez qu’il fût (tout le monde lui vole sa vie depuis cent ans), mais il n’était pas celui qu’on voit sur la photo. Ses yeux bleus deviennent ici foncés, et surtout, contrairement à ce qu’on nous clame partout, je ne reconnais pas, moi, du tout, sa lèvre inférieure, habituellement épaisse et charnue et ici totalement mesquine, tellement pas rimbaldienne. Je ne reconnais pas, je suis désolé, son nez en trompette : on essaie de nous convaincre avec des attributs connus de Rimbaud, et quand nous prenons dix-sept secondes, puis trente secondes, puis trois minutes, pour vérifier : rien ne concorde.
Nous sommes dans la mascarade, alors : prouvez-le. Il est certain, il est très évident que la découverte de photos nouvelles, inédites, neuves, toute neuves d’un écrivain mythique, dont nous connaissons peu de clichés, ne peut aboutir que sur une rectification de son image éternelle, de l’image éternelle que provisoirement nous avions de lui ; cette éternité est vouée à la révision, c’est souvent dommage car les photos inédites viennent empêcher la beauté de se perpétuer dans la beauté, et c’est la déception qui jaillit, car l’auteur ne ressemble pas à l’idéal construit de cet auteur à partir de deux, trois documents rarissimes. Mais il y a des clichés de Rimbaud qui sont acceptables et des clichés de Rimbaud qui ne le sont pas, parce qu’il y a des clichés de Rimbaud où ce n’est pas Rimbaud qui figure sur le cliché de Rimbaud.
Peu importe que « notre » Rimbaud nous soit volé, qu’il puisse, c’est le risque à prendre, posséder une tête d’abruti, avoir finalement les traits d’un demeuré, d’un simplet, seulement là, aujourd’hui, je dis autre chose : je ne marche pas ; je dis que je n’acquiesce pas, que je ne tombe pas dans le panneau, que je n’entérine pas sous prétexte qu’on m’a juré que, qu’on a vérifié pour moi : je n’ai strictement aucune confiance en les gens, en les spécialistes, en les libraires, en les rimbaldiens qui ont vérifié : qu’ils viennent chez moi, me faire la démonstration, qu’ils viennent à la télévision, dans une librairie, ou ailleurs, qu’ils louent une salle à la Sorbonne ou qu’ils louent le Stade de France, car Rimbaud n’entre pas dans l’homme de la photo, qui est assis, les cheveux courts comme Rimbaud, avec une petite moustache et un air vide, qui ne prouvent pas, qui ne prouvent rien. Ce ne sont pas ses sourcils, ce n’est pas son regard, ce n’est pas la couleur de ses yeux : j’ai autant le droit d’affirmer qu’il ne s’agit pas là de Rimbaud que eux de proclamer partout, à grand renfort de marketing, appuyés sur une légitimité qui sort de nulle part, que c’est bien lui. En attendant, ce ne sera pas Rimbaud pour moi.
un axiome, les gros nez: Yann Moix n’a jamais raison.
Cette fois-ci, c’est « La Rédaction » qui s’engage et pas seulement Yann Moix. Pourquoi pas ?
Le débat est-il clos pour autant ? Au nom de quoi ? Par quelle science ? Il faut se faire « voyant », soit, mais qui voit ?
Jean-Jacques Lefrère persiste et signe : [Rimbaud à Aden] «Un faux rebondissement» http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20110124.OBS6809/rimbaud-a-aden-un-faux-rebondissement.html
Captivant ! Yes ! Absolutly !
Que dis-je: « CAPITAL » avec l’accent d’un (feu) secrétaire général du PCF.