Bien que cette date soit oubliée, il est crucial d’en rappeler l’importance et les faits qui s’y rattachent. Même le CRIF semble avoir manqué l’occasion de revenir sur ce drame, se contentant d’un post. C’est pourquoi je souhaite pallier cette omission regrettable.

Dans ce texte, je retracerai le supplice d’Ilan Halimi. Cette affaire, qui a profondément marqué notre pays, sera présentée dans toute son horreur et sa complexité. Je m’attacherai ensuite à décrire le parcours judiciaire tortueux qui a suivi ce crime odieux. Ce processus, jalonné de procès retentissants et de controverses, a mis en lumière les défis auxquels notre système judiciaire peut être confronté face à des actes d’une telle barbarie. En relatant ces événements, mon objectif est non seulement de rendre hommage à la mémoire d’Ilan Halimi, mais aussi de rappeler les dangers de l’antisémitisme car le meurtre tragique d’Ilan Halimi est le fruit, le résultat de la survivance d’un antisémitisme structurel qui s’appuie sur de vieux clichés nauséeux, les mêmes qui perdurent depuis des siècles.

L’enlèvement d’Ilan Halimi : le piège tendu

Le 20 janvier 2006, Ilan Halimi, qui réside dans l’Est parisien avec sa mère et sa sœur, a rendez-vous le soir avec Emma, une jeune femme qui l’a abordé trois jours plus tôt dans le magasin de téléphonie du boulevard Voltaire, où il effectuait un remplacement. La mineure s’avère être un appât stratégiquement utilisé par le dénommé Youssouf Fofana, qui souhaite enlever un juif « parce qu’ils sont bourrés de thunes », selon la déclaration d’un de ses complices à la police.

Le calvaire de la séquestration

Emma attire Ilan dans le sous-sol d’un immeuble à Sceaux, où ses complices le neutralisent brutalement à l’éther, puis le transportent dans le coffre d’une voiture volée jusqu’à un appartement vide d’une cité de Bagneux (Hauts-de-Seine). Ilan Halimi sera ensuite torturé pendant les trois semaines suivantes dans cette cité HLM de Bagneux.

Dès le samedi 21 au matin, d’un cybercafé, le jeune d’origine ivoirienne, Youssouf Fofana, né en France, envoie une photo d’Ilan à sa famille. Il est menacé par un pistolet. Il exige une rançon de 450.000 euros pour le lundi 23 janvier 2006. Mais, il part pour la Côte d’Ivoire, laissant l’otage à des complices, qui s’impatientent au bout de quelques jours, mais acceptent d’envoyer une nouvelle photo d’Ilan. Les jours passent, les échanges téléphoniques avec la famille d’Ilan se multiplient, le montant de la rançon ne cesse de changer. De retour en France le samedi 28 janvier 2006, Youssouf Fofana avertit un rabbin « qu’un juif a été kidnappé » et le guide jusqu’à une boîte à lettre parisienne, où l’homme découvre une cassette audio sur laquelle il entend l’otage « en sanglot, à bout de force, parlant des sévices subis ». Mais Fofana doit rendre l’appartement : dans la nuit du 29 au 30, il transporte sur son dos Ilan jusqu’à un local technique dans les caves d’un immeuble voisin.

Mardi 31 janvier : un cousin d’Ilan est dirigé jusqu’à un pressing où il trouve une cassette vidéo de l’otage, suppliant qu’on paie la rançon, ainsi qu’une photo de lui, en peignoir, menotté. La situation s’enlise terriblement. Ilan s’affaiblit, il est dénudé, toujours ligoté, à peine nourri, son visage est entouré de scotch. Des gardiens craquent, mais d’autres sont prêts à les relever.

Le 4 février, Youssouf Fofana repart pour la Côte d’Ivoire, d’où il appelle le 6 février et organise une remise de rançon Place Clichy, par le père d’Ilan, qui est séparé de sa mère. Malgré ses contacts, le ravisseur n’a pas trouvé de détecteur de faux billets à Paris et demande que l’opération se fasse à… Bruxelles. Le père d’Ilan refuse. D’Afrique, Youssouf Fofana appelle alors ses complices le 8 février, et leur demande une photo de l’otage, une photo où Ilan serait « en sang ». Ilan est trop affaibli pour supporter des coups, alors ils lui entaillent la joue au cutter. Cette photo ne sera jamais transmise.

Dimanche 12 février 2006, Youssouf Fofana rentre à Paris. Ses complices en ont assez, visiblement. Il leur assure qu’il va laisser partir Ilan, qu’il roue quand même de coups (une nouvelle fois) pour obtenir d’autres coordonnées de la famille. Pour effacer les indices, Ilan est lavé, ses cheveux sont rasés. Le 13, à 5h00, les anciens geôliers voient Fofana partir au volant d’une voiture volée, son otage se trouve dans le coffre. Trois heures et demie plus tard, une conductrice repère Ilan le long d’une voie de chemin de fer, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il est nu, il est menotté et bâillonné. Le corps est recouvert de brûlures. Il meurt en route vers l’hôpital.

Les médecins recenseront quatre plaies au cou, dont une à la veine jugulaire, une à la hanche, faites par un « instrument tranchant et piquant ». Un complice assure à la police que Youssouf Fofana lui a dit avoir tué l’otage, promettant qu’ils se rattraperont « sur le prochain plan, en enlevant (cette fois) un dealer ».

Le procès du « gang des barbares » : tensions et provocations

Le 15 février 2006 : Audrey L. dénonce les faits à la police. Youssouf Fofana s’enfuit précipitamment en Côte-d’Ivoire. Le 22 février, il est arrêté dans ce pays. Le 4 mars 2006, Youssouf Fofana est mis en examen et écroué.

Le 29 avril 2009 s’ouvre le procès des membres du « gang des barbares » devant la Cour d’assises des mineurs de Paris. Ce procès majeur se tient selon les règles de publicité restreinte, certains accusés étant mineurs au moment des faits. Dès la première audience, Youssouf Fofana multiplie les provocations. Il arrive souriant et lance, le doigt levé, « Allah vaincra ». Interrogé sur son identité et sa date de naissance, il répond « arabe africain islamiste salafiste » et donne le 13 février 2006 à Sainte-Geneviève-des-Bois, date et lieu du décès d’Ilan Halimi. En mai 2009, Fofana avoue pour la première fois devant la cour être l’auteur de l’assassinat. « Vous savez bien que je l’ai fait et vous savez que j’ai agi seul », déclare-t-il alors que deux médecins légistes témoignent. Il reconnaît avoir versé un liquide inflammable sur le corps d’Ilan et l’avoir allumé. L’autopsie avait révélé des brûlures sur presque tout le corps, probablement causées par de l’alcool à brûler, ainsi que quatre plaies au cou, dont une à la jugulaire, et une « plaie pénétrante » à la hanche gauche, causées par un « instrument tranchant et piquant ».

Finalement le 11 juillet 2009, Youssouf Fofana est condamné à la peine maximale en droit français pour ce crime, soit la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans. Il décide de faire appel de cette condamnation, mais il se rétracte peu après. Cette condamnation à perpétuité devient donc définitive. Les autres verdicts vont de 18 ans de prison ferme à l’acquittement.

Les réactions après le verdict : polémiques et appel

Plusieurs associations juives ont exprimé leur mécontentement face au verdict du procès du « gang des barbares » les 11 et 12 juillet 2009. Bien que la condamnation de Youssouf Fofana à la perpétuité ne soit pas remise en cause, les peines infligées aux autres accusés sont jugées trop clémentes. Le 13 juillet 2009, des centaines de personnes manifestent devant le ministère de la Justice pour demander un nouveau procès. Répondant à ces préoccupations, la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie demande au parquet de faire appel pour 14 des 25 complices de Fofana. Elle justifie cette décision devant le Sénat le 16 juillet, évoquant « l’intérêt de la société et de la paix publique » et exprimant son inquiétude quant à la libération prochaine de certains participants à l’assassinat.

L’annonce d’Alliot-Marie est accueillie avec soulagement dans la communauté juive. SOS Racisme exprime sa satisfaction, espérant que ce nouveau procès aura une dimension pédagogique.

Un second procès et des peines alourdies

Cependant, Christophe Régnard, Président de l’USM, s’interroge sur la pertinence d’un second procès sans Youssouf Fofana, craignant un procès tronqué. Il soulève des questions sur la place des victimes dans le procès pénal et met en garde contre une potentielle « vengeance privée ». Le Ministre de la Défense Hervé Morin défend la décision d’Alliot-Marie, rappelant qu’elle est conforme à la loi. Me Romain Boulet, avocat de la défense, dénonce une immixtion de l’exécutif dans le judiciaire. En revanche, Christian Estrosi, Ministre chargé de l’Industrie, soutient la décision.

Le 17 décembre 2010, la cour d’assises d’appel du Val-de-Marne aggrave les peines de sept des dix-sept accusés. Me Gilles Antonowicz critique un appel « inutile et politiquement scandaleux », tandis que Me Szpiner se félicite de l’aggravation des peines pour les geôliers, tout en regrettant en revanche une nouvelle fois « l’indulgence » des jurés envers la jeune fille-appât. Me Szpiner indique par ailleurs qu’il poursuivra son « combat » en faveur de l’allègement de la règle du huis clos systématique dans les juridictions pour mineurs.

Ruth Halimi : Le courage d’une mère face à l’indicible

Au-delà des débats juridiques et des controverses politiques qui ont entouré cette affaire, il est essentiel de ne pas perdre de vue la tragédie humaine au cœur de ce drame. Ruth Halimi, la mère d’Ilan, incarne la douleur insondable d’une perte irréparable.

Dans les années qui ont suivi, Ruth Halimi a fait preuve d’un courage remarquable en choisissant de partager publiquement son expérience. Elle a écrit un livre, « 24 jours : la vérité sur la mort d’Ilan Halimi », publié en 2009 avec Emilie Frèche (Seuil), dans lequel elle raconte le supplice de son fils et l’épreuve endurée par sa famille. Ce témoignage poignant va au-delà d’un simple récit des faits. La voix de Ruth Halimi s’est élevée non seulement pour honorer la mémoire de son fils, mais aussi pour alerter la société sur les dangers persistants de l’antisémitisme. 


Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, L’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.

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