« Comme l’espérance est violente » – ces mots de Guillaume Apollinaire, extraits de son recueil Alcools et choisis par Haïm Korsia pour intituler son nouveau livre, nous invitent à réfléchir sur la nature profonde de l’espérance, sur ses vertus mais aussi sur ses exigences. Le nouvel ouvrage du grand rabbin de France, un texte sensible, érudit et porté par des accents lyriques, résonne comme une invitation à nous rassembler « pour désirer faire ensemble société, sans renoncer à rien de ce qui fonde notre identité ». Retrouver le sens du « bien commun » par la discussion, l’échange, le dialogue afin de réinventer notre république. Haïm Korsia souligne qu’en ces temps troublés : « la parole ne peut être qu’aux poètes, qui sont les vrais traducteurs du destin, car ils sont les prophètes d’un autre jour possible ». Il développe tout au long de ces pages, un sens profond de l’altérité, qui est le reflet de sa lecture des textes de la sagesse juive. Il affirme ainsi : « Il n’y a de coexistence envisageable que dans la mise en abyme dans le regard de l’autre », ou encore « il n’y a de bonne société que celle qui parvient à combiner le respect des identités individuelles et de leur histoire parfois tragique, et le désir d’une identité commune, qu’elle soit présente à la naissance ou superposée, ajoutée au fil des migrations et de l’intégration à une nouvelle culture. » Cependant, cette espérance, bien que porteuse de renouveau, n’est pas exempte de défis. Elle peut parfois s’accompagner de tensions ou de violence, mais c’est la seule qui « vaille la peine d’être considérée », nous rappelle le grand rabbin de France, insistant sur l’importance d’unir nos différences pour bâtir un avenir commun. 

Cette vision résonne particulièrement dans l’œuvre d’Apollinaire, où l’espérance poétique devient, elle aussi, une force qui élève. Il se trouve que j’ai découvert, tout récemment, un poème de ce recueil publié en 1913, intitulé « la synagogue » qui se conclut par une phrase en hébreu : « Hanoten ne Kamoth bagoyim tholahoth baleoumim ». La retranscription est fidèle à celle du poète, qui n’a pas souhaité traduire la phrase, laissant planer un mystère en guise de conclusion ; or, on relève deux erreurs : nekamot, un mot qui désigne la vengeance au pluriel, retranscrit en français en deux termes distincts et tholahoth au lieu de thokhehoth qui signifie réprimandes. La traduction que l’on pourrait proposer de cette citation en hébreu serait : « Celui qui procure les vengeances des peuples, les réprimandes aux nations. » Apollinaire utilise le lexique du psalmiste, mais, étonnamment, cette phrase retranscrite en hébreu est sa propre construction, résultant de l’ingénieuse combinaison de deux passages des Psaumes. Le premier du Psaume 18,48 : « HaEl Hanoten nekamoth li – Ce Dieu (El) qui me procure mes vengeances » et le second du Psaume 149,7 : « Laassoth nekama bagoyim ; thokhehoth baleoumim – Tirer vengeance des peuples et réprimandes aux nations ». Si Apollinaire supprime la référence explicite au divin, Haïm Korsia, quant à lui explique que ce terme peut être perçu comme une déclinaison du rapport au divin mais aussi comme un horizon laïque. Apollinaire élabore une forme d’énigme dans sa composition hébraïque, laquelle peut être interprétée à la lumière des tensions politiques de son époque, en particulier celles qui précèdent la Première Guerre mondiale. L’Europe est en proie à des rivalités croissantes, et ses écrits peuvent être perçus comme une prémonition des conflits à venir, où la vengeance semble inévitable. De plus, l’affaire Dreyfus a profondément marqué la société française à cette période, laissant un sentiment d’injustice palpable. La référence hébraïque pourrait alors symboliser la quête de justice et la voix des opprimés, ceux qui luttent pour faire entendre leur vérité face à des autorités perçues comme corrompues. Cette métaphore souligne non seulement le désir de rectifier les injustices historiques, mais aussi la résilience des peuples face à l’oppression. Dans cette perspective interprétative, on peut également percevoir l’idée d’une espérance renouvelée, celle d’une vérité qui finit toujours par triompher. 

La poésie se dresse comme un pont entre l’espérance et la capacité à affronter les difficultés de l’époque – c’est l’idée qui se déploie de ce beau texte de Haïm Korsia, leçon d’humanité et de résilience face aux défis de notre temps. Comment ne pas penser, en le lisant, à Edmond Fleg, auquel, il consacre un prochain livre à paraître chez Gallimard en octobre 2024 et qui écrivait dans Pourquoi je suis juif, publié en 1927 : « Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le juif espère. » 


Comme l’espérance est violente, Haïm Korsia, 203 pages.

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