Interrogé par la presse le mercredi 19 juin, Jordan Bardella a assuré que « si demain je suis à la tête du pays, je n’aurai aucune forme de tolérance à l’égard de ceux qui se livrent à de la violence dans notre pays (…) Donc, les organisations d’ultragauche et d’ultradroite seront dissoutes ».
La lecture de la presse locale et indépendante (et, notamment, de Streetpress) montre pourtant que le RN entretient de nombreux rapports avec les pires groupuscules d’extrême droite. Ces liens ne sont pas résiduels. Nous ne parlons pas, ici, de groupuscules un tantinet radicaux – mais d’authentiques factions skinheads, néonazies, antisémites, ethno-différentialistes, fascistes, identitaires ou paramilitaires (et, parfois, officiellement dissoutes), comme le GUD, l’Académia Christiana, la Bastide Bordelaise, l’Action Française, Vandal Besak, Némésis, Jeune Nation, la Cocarde, Tenesoun, les Zoulous, Des Tours et des Lys, Égalité et Réconciliation, l’Avaricum SkinHead Crew, MesOs, Génération Identitaire, Luminis, Auctorum…
Des dizaines (si ce n’est des centaines) d’enquêtes montrent que les liens ne sont pas rompus entre ces groupuscules et les militants, élus et dirigeants du RN. L’extrême droite radicale continue en effet de produire des cadres et des candidats pour le RN, de participer à des conférences dans ses locaux, d’assurer la sécurité de ses événements, de coller des affiches pour le parti… ou, même, de lui souffler des idées.
Plutôt que décrire les liens du RN avec ces groupuscules, je propose néanmoins, ici, de renverser la perspective – et de nous intéresser plutôt à l’intérêt qu’ont ces groupuscules à une victoire du RN.
De nombreux groupuscules d’extrême droite se sont en effet réjouis des résultats du RN aux européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale, qu’ils perçoivent comme une opportunité « historique ».
Ces groupes radicaux voient une éventuelle victoire du RN aux législatives comme une occasion de « foutre dehors un maximum d’immigrés »… mais aussi de peser dans la rue et dans les débats, d’attirer de nouveaux militants, et d’influer sur la conduite du pays.
Il s’agit, pour beaucoup, d’une opportunité à ne pas manquer – et à ne pas saborder. Au point, par exemple, qu’une figure centrale de l’extrême droite radicale affirme que « ce n’est [plus] le moment de faire des blagues antisémites (…) soyez antisémites dans vos têtes ».
Une partie de l’extrême droite radicale s’efforce ainsi (pour quelques jours) de ne pas « faire de vague ». Une soirée intitulée « Ausländer Raus » (« Les étrangers dehors », en allemand), qui devait se tenir le 28 juin dans un bar identitaire de Rouen, a par exemple été annulée, par ses organisateurs, suite au scandale médiatique.
Tous, néanmoins, ne suivent pas ces appels à la « modération ». Plusieurs militants d’extrême droite sont aujourd’hui galvanisés, et pensent au contraire que le moment est venu de multiplier les « actions de rue » (autrement dit : les tabassages en règle).
Les violences des groupuscules et militants d’extrême droite (ainsi que les agressions racistes et homophobes) se sont en effet décuplées depuis un mois. Ici, quatre nervis d’extrême droite qui frappent un homosexuel en pleine rue, et qui affirment que les choses changeront lorsque « Bardella sera au pouvoir et qu’Hitler reviendra » ; là, des militants d’extrême droite qui débarquent masqués et armés lors d’un concert à Angers ; ici, la Division Aryenne Française qui appelle à des « ratonnades » lors des manifestations contre l’extrême-droite ; là, des agressions effectivement commises, en marge de manifestations, à Lyon, Nancy, Montpellier ou Roanne ; ici, un adolescent maghrébin tabassé à Sotteville-lès-Rouen ; là, un ancien ministre de Mitterrand victime d’injures racistes à Paris ; ici, des agressions xénophobes à Cessy, Mudaison ou Thiais ; là, des candidats et militants de gauche victimes de violences à Saint-Maur, Paris, Bordeaux et Maisons-Alfort ; ici, une boulangerie d’Avignon incendiée, et taguée de slogans odieux (« Nègre », « PD »…) ; là, les vitrines brisées des locaux d’une association à Lille et d’une librairie de quartier à Marseille ; ici, les menaces racistes proférées contre un militant de gauche à Belfort (« dégage ou je te défonce la tronche, sale bougnoule ! ») ; là, les courriers de haine reçus par les journalistes Karim Rissouli et Mohamed Bouhafsi…
Ces violences, et ce racisme, sont banalisés par le RN. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir les réactions des élus du parti (à commencer par Marine Le Pen elle-même) au reportage d’Envoyé spécial sur cette aide-soignante, noire, traitée par ses voisins de « bonobo ».
Le RN a d’ailleurs lui-même une intimité avec la violence. Il faut dire que l’un de ses députés a été condamné pour violence avec arme, et qu’une de ses candidates qualifiée pour le second tour des législatives a été condamnée pour prise d’otage.
La violence d’extrême droite en France reste malgré tout très sous-estimée. Les agressions abondent pourtant depuis des mois, sous les radars des médias. Une cinquantaine d’exactions d’extrême droite ont par exemple été recensées, entre janvier 2023 et mai 2024, dans les seules régions de Bretagne et de Loire-Atlantique.
Et ces violences, déjà de plus en plus présentes, pourraient encore se démultiplier en cas de gouvernement d’extrême droite.
Voter pour le RN, c’est aussi voter pour ce fascisme qui ne se déguise pas (ou à peine), et qui attend, aujourd’hui, de moins en moins tapi dans l’ombre, une victoire électorale pour encore plus s’exprimer.