Une petite musique se fait entendre depuis quelques jours : une victoire du RN aux législatives serait, pour le parti, le début de la fin. Selon les tenants de cette ligne, ces trois années à Matignon feraient subir au RN l’ô combien terrible « usure du pouvoir ». Le parti perdrait alors progressivement tout attrait pour les électeurs, et sortirait défait en 2027. L’État de droit permettrait par ailleurs de limiter les marges de manœuvre de ce gouvernement RN (et de limiter, donc, le « coût » de cette parenthèse politique).
Rien, hélas, n’est moins certain.
Tout d’abord, nous ne devrions pas sous-estimer les dégâts qu’un gouvernement RN pourrait faire au pays en trois ans. Que ce soit en termes de politiques ou de bascule de l’opinion, beaucoup de choses pourraient être accomplies dans ce laps de temps (nous y reviendrons). Et il ne va pas de soi que les oppositions seraient toutes libres de s’exprimer. De nombreuses associations, et de nombreux journalistes, peuvent en témoigner. Les mairies RN s’en prennent déjà régulièrement aux associations de défense des droits humains et des libertés publiques. La LDH est par exemple menacée, et entravée, dans toutes les municipalités RN. Rappelons aussi que le RN empêche régulièrement des journalistes de venir à ses meetings et conférences de presse. Les cadres du RN n’hésitent pas non plus à menacer des journalistes, ou à les traiter de prostituées.
La liberté de manifester pourrait aussi être menacée par un gouvernement RN – y compris de façon indirecte. Certains groupes d’extrême droite, comme la « bien nommée » Division Aryenne Française, ont par exemple appelé à des « ratonnades » contre les manifestations anti-RN. De nombreuses milices pourraient ainsi profiter d’une victoire du RN pour attaquer des personnes en pleine rue. Certains militants d’extrême droite, dont le fils d’Axel Loustau (un proche de Marine Le Pen), ont d’ores et déjà célébré la victoire du RN aux européennes en agressant un homosexuel dans les rues de Paris.
Et les choses pourraient s’avérer bien pire une fois le RN à Matignon. Jérôme Sainte-Marie, politologue en charge de la formation des cadres du RN, a d’ailleurs vendu la mèche : en cas de gouvernement RN, le parti compterait sur un « état de grâce » et une « prise de confiance de la population » pour soutenir des réformes allant « beaucoup plus loin que ce qui a été voté ».
Venant d’un parti qui conteste régulièrement la légitimité du Conseil constitutionnel et qui a, dans ses tiroirs, plusieurs réformes qui ne respectent pas les droits fondamentaux et l’État de droit, il y a de quoi ressentir quelques frissons.
Plusieurs hauts fonctionnaires craignent par exemple que des dispositions contraires à la Constitution (comme la préférence nationale) puissent être appliquées. Les contre-pouvoirs sont effet parfois plus fragiles qu’on ne le croit. L’histoire, hélas, ne le montre que trop bien. Le Conseil d’État avait par exemple accompagné de façon zélée la politique antisémite de Vichy.
Le risque est aussi réel que certains fonctionnaires soient tétanisés, s’effacent derrière une position de neutralité, ou se taisent pour préserver la suite de leur carrière. Et les fonctionnaires qui ne voudraient pas se conformer aux attentes du RN pourraient bien être chassés. Renaud Labaye, un des bras droits de Marine Le Pen, a déjà annoncé la couleur : un gouvernement RN tenterait d’imposer « des gens totalement loyaux » aux postes-clés de l’administration.
Rappelons, ici, que le RN a un réel savoir-faire en matière de purge et d’oppression des fonctionnaires. Les membres des collectivités locales gérées par le FN témoignent souvent du climat de peur et de la répression au sein de leurs administrations. Les quelques mairies tenues par le RN montrent aussi « l’expertise » du RN en matière de copinage et de népotisme.
Et il n’est pas certain que l’Élysée puisse réellement limiter les ravages d’un éventuel gouvernement RN. Le président de la République, contrairement à ce que certains imaginent, aurait peu de pouvoirs pour empêcher un tel gouvernement de faire voter ses lois. Les fameux « domaines réservés » de la présidence (l’armée, l’Europe…) relèvent eux d’une convention ; à en croire plusieurs constitutionnalistes, un premier ministre RN pourrait très bien les remettre en question.
On ne sait du reste pas pendant combien de temps le RN tolèrerait cette cohabitation. Certes, Marine Le Pen assure désormais être « respectueuse des institutions », et ne pas demander la démission d’Emmanuel Macron, Mais celle-ci (ainsi que d’autres élus du RN) évoquait encore cette possibilité en mai 2024. Jordan Bardella en avait fait de même, par exemple, en 2019.
Soulignons, enfin, que l’idée selon laquelle trois ans de gouvernement RN permettrait de « vacciner » la population contre ce parti pourrait très bien être une vue de l’esprit. Viktor Orbán en Hongrie, Donald Trump aux États-Unis, mais aussi (du moins jusqu’à l’an passé) le PiS en Pologne : tous ont prouvé que la haine et l’autoritarisme peuvent très bien s’installer dans la population – ou à la tête du pays. Le pouvoir tend en effet à attirer le pouvoir, encore plus lorsqu’il est autoritaire. L’accession du RN à Matignon lui permettrait par exemple d’attirer de nouvelles personnalités, ravies de se compromettre pour un plat de lentilles, et qui permettraient au RN d’alimenter son récit. Les obstacles affrontés pourraient aussi être brandis par le RN comme la preuve du système qu’il tente d’affronter. L’excuse serait alors toute trouvée pour demander (ou s’approprier) plus de pouvoirs. On ne peut pas non exclure que le RN tente de réformer le système électoral à son avantage, comme Marine Le Pen l’envisageait en 2017. Et de bons résultats aux législatives permettraient quoi qu’il en soit au RN d’augmenter ses financements, et d’améliorer son implantation.
On aurait donc tort de croire que le « moment est venu » pour laisser le RN se fracasser contre l’exercice du pouvoir. Le risque est tout simplement trop élevé, et ne mérite pas d’être couru.
Nous devons donc nous réveiller. Le pire est toujours possible, et pourrait très bien arriver demain. Les élections législatives du 30 juin et 7 juillet seront cruciales.
Il est normal que ceux qui n’ont jamais cessé d’espérer transformer l’essai du 21 avril invitent le front ruisselant de la mondialisation à faire le point Godwin, puis à se recentrer dare-dare sur la question, dont nul ne nie au demeurant le caractère cardinal, du financement des inconnues, la comparaison entre les deux chauffards de gouvernement étant de nature à bénéficier au RN, a fortiori dans la perspective d’un droit du sol automatique dont les répercussions civilisationnelles agiraient sur tous les leviers macro-économiques telle une bombe à fragmentation. Ceci étant, la redistribution des cartes consécutive à la possible neutralisation de l’hégémonie américaine au profit d’un désaxement identitaire, illibéral et traditionaliste aurait, elle aussi, un effet dévastateur sur le porte-monnaie des ménages habitués aux mœurs occidentales, et ce, quel que soit leur train de vie.
On s’écharpe autour des notions qui permettraient de discerner le socle idéologique de l’extrême dans la botte en touche de l’union. Est-ce la race, ou plutôt le peuple ? la souveraineté nationale ? non ! ne me dites pas que c’est la patrie en personne, que le bon peuple chérirait, tandis que le parti de l’Étranger la ferait passer au second plan, quand il n’œuvrerait pas radicalement à son extinction pure et simple ?
Mais alors, à quoi faisons-nous allusion lorsque nous déployons cet éventail d’éventualités incriminantes, car entre nous soit dit, celles-ci impliquent un faisceau de divergences trop profondes pour que l’on s’abandonne à les rejeter en bloc dans un seul et même sac de valeurs issues de notre idéal commun, universaliste en tant qu’il sacre notre unité génésique, humaniste au sens où il nous réhumanise, cet idéal que nous pensions éternel tant il nous paraissait indestructible, celui que partageaient nos immortels, qui fonde le pacte démocratique, que ce dernier eût conservé son assise monarchique ou se fût découvert de nouvelles fondations, républicaines entre autres causes d’utilité publique.
Prenons au hasard la préférence nationale ; souvent pointée du doigt, celle-ci n’est pas à proprement parler un marqueur d’extrême droite, dès lors que ses partisans ne hiérarchisent pas nécessairement les citoyens selon des critères ethniques et par là même ne sont pas tous d’accord sur l’étendue de son périmètre. Inversement, les États-Unis d’Europe sont une promesse de paix aussi longtemps que ce sublime projet de civilisation continue de s’adosser à une devise supranationale garantissant au peuple français que jamais un État islamique ne profitera d’un angle mort du droit international pour s’abattre sur l’intégrité du cœur et des reins de Marianne après avoir obtenu d’elle que l’on renégocie le contrat social aux dépens du levain conscientiel.
De façon très paradoxale, le différentialisme que prônent, à l’autre bout de l’arc irrépublicain, les indigénistes et autres innocents-nés que sont les autoracisés et les autogenrés, me semble bien davantage flirter avec l’autothéisme et le suprématisme que ne le fait dans l’absolu un axe souverainiste, dont je m’empresse de dire que je ne m’y retrouve pas, bien que je m’y raccrocherais sans doute un peu si jamais l’opération militaire spéciale de Moscou se mettait bizarrement à vriller vers l’Extrême-Occident.
Rectification : ce n’est évidemment pas à l’automaticité du droit du sol que je m’oppose, mais à l’application d’un droit du sol intégral qui, en ôtant aux pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires toute possibilité d’exercer un contrôle sur le parcours des individus et par conséquent la quasi-totalité de leurs prérogatives de gestion des flux migratoires, loin de faciliter l’assimilation, ne ferait qu’aider la Nébuleuse frériste à mener à son terme son processus d’obscurantisation des esprits par la voie délétère du délettrisme ou, si vous préférez, de l’arabisation inexorable de feue la République des Lettres.
Je comprends que, pour Madame Kolinka, voir des Juifs voter pour l’extrême droite ce soit la fin des haricots, mais voyez-vous, aujourd’hui la plus parfaite incarnation du nazisme surgit en proto-Palestine, or le Hamas est obscènement, irrémédiablement, viscéralement et létalement sur les estrades du NFP, aussi aller expliquer aux Français — pour partie juifs — que, pour faire barrage à l’extrême droite, la seule manière de faire serait d’unir Hitler et les Juifs, est d’une perversité extrême qui peut en pousser certains à franchir une autre ligne rouge.