Pour ouvrir ce numéro spécial de La Règle du jeu consacré à la culture ukrainienne, nous avons choisi un article de l’universitaire américain Timothy Snyder, considéré comme l’un des plus grands historiens de l’Europe Orientale. L’auteur y livre une analyse de grande finesse de la révolution ukrainienne, des aspirations de la société ukrainienne et de la perception de l’Ukraine par le régime de Vladimir Poutine. Galia Ackerman.

Comment l’étude de l’histoire[1] peut-elle nous aider à comprendre l’actualité ? Comment l’interprétation de la révolution ukrainienne et de l’intervention russe peut-elle nous aider à apprendre quelque chose du passé de l’Europe orientale ? Plus généralement parlant, dans quelle mesure est-il utile d’avoir une sensibilité historique, de sentir que les événements actuels ont un lien précis et définissable avec ceux du passé ? Au cours des dernières semaines de 2013, les manifestations sur la place Maïdan ont coïncidé avec une réorientation importante de la politique étrangère russe et donc de la propagande russe. Il en est résulté que la tentative spontanée de millions de personnes de défendre des droits fondamentaux et leur dignité a été présentée dans les médias russes comme un complot de fascistes, d’homosexuels et d’homosexuels fascistes. 

On demande souvent aux historiens de prédire l’avenir ; d’ordinaire, ils n’en sont pas capables. Ils ne peuvent même pas prédire le passé : sauf recherches précises, un historien spécialisé dans un domaine ne peut dire avec sûreté ce qui s’est passé en un temps et un lieu situés au-delà du champ de ses compétences. Mais ce que les historiens peuvent parfois faire, c’est exclure des possibilités. Le monde du possible est très vaste, mais le monde de l’impossible l’est bien davantage encore. Les historiens vivent dans un monde de contraintes, où rien n’est jamais complètement nouveau et où les possibilités du présent sont toujours, d’une certaine façon, limitées par les faits du passé. Comme Isaiah Berlin l’affirme dans son grand ouvrage sur les penseurs russes, les historiens ne sont pas toujours sûrs de ce qui se passe. Ils n’en sont pas moins capables de dire avec une certaine certitude ce qui ne se passe pas. Il était assez facile, au moins pour les historiens sérieux, de faire la différence entre la propagande russe sur le Maïdan et le Maïdan lui- même. Certes, c’était plus facile si l’on connaissait les langues qui y étaient parlées, si l’on pouvait entrer en contact avec les gens sur le Maïdan et si l’on se trouvait sur place à Kiev. Les sources directes pouvaient donner une idée de ce qui se passait. Mais il était beaucoup plus facile d’acquérir la certitude que la propagande russe ne correspondait pas aux faits que de procéder à une description exhaustive des faits eux-mêmes. Cette distinction entre propagande et faits est au fondement de ce qu’Isaiah Berlin appelait le « sens de la réalité ». Tout élémentaire que cela fût, c’était très important au cours de la première moitié de l’année 2014. 

De par la nature même de leurs responsabilités professionnelles, les historiens doivent être conscients de la différence entre le souci de la vérité historique et l’abus de la mémoire historique. De nos jours comme à l’époque soviétique, les architectes de la mémoire politique du Kremlin pensent que les bons historiens sont soit des naïfs soit des hypocrites, parce qu’ils prétendent que l’histoire, en tant que discipline distincte, en tant que tentative de comprendre l’expérience humaine et non de la manipuler, existe au-delà des exigences de l’actualité politique. 

Mais les historiens qui s’emploient sérieusement à comprendre l’expérience humaine existent bel et bien. Certes, il est très difficile de tracer une limite précise. Quelqu’un qui se montre un historien convenable à un moment de sa vie peut devenir un propagandiste à un autre moment. Des maisons d’édition qui publient de bons ouvrages d’histoire peuvent se lancer dans des campagnes politiques. Mais il y a une différence aussi réelle entre l’histoire savante et la mémoire politique qu’entre l’amour et la pornographie. Les historiens peuvent ne pas savoir parfaitement séparer science et politique, mais ils peuvent dire avec un certain degré de certitude quand des affirmations concernant le passé sont soutenues à des fins politiques. Dans le cas particulier de la Russie, les spécialistes n’ignoreront pas non plus les traditions typiques de la propagande soviétique − où « fascisme » est un terme d’insulte désignant de manière générale les personnes considérées comme hostiles aux intérêts de Moscou, où la seconde guerre mondiale sert à justifier toute politique soviétique (ou, désormais, russe), et où la réalité historique en tant que telle suscite une indifférence absolue. 

Fin 2013 et début 2014, ce sont ces capacités – à savoir : le sens de la réalité et la distinction entre histoire et politique – qui ont donné à quelques historiens un certain avantage sur d’autres commentateurs. Un troisième avantage, en tout cas au début, était lié à la façon dont les sources étaient lues (ou entendues, ou regardées). Aux États-Unis et, dans une certaine mesure, en Europe, la première fonction du journalisme est de trouver un « équilibre » entre deux versions d’une même histoire. Comme tout le monde, les propagandistes russes abusent de cette possibilité et cherchent à faire en sorte que leur version des événements soit décisive, voire exclusive. Le média le plus important, en particulier en Russie et en Ukraine, est la télévision, ce qui signifie que les faits rapportés passent par les images et les émotions, et peuvent changer du jour au lendemain de façon quasi inaperçue. C’est ainsi que la propagande russe a pu affirmer, avec beaucoup de succès, que l’Ukraine n’était pas un État mais que l’État ukrainien opprimait les Russes sur son territoire, que l’ukrainien n’était pas une langue mais qu’en Ukraine les Russes étaient obligés de parler l’ukrainien, que l’Ukraine n’était pas une nation mais que tous les Ukrainiens étaient des nationalistes etc. Non seulement les propagandistes russes ont exagéré des aspects de la réalité, mais ils n’ont pas reculé devant des contradictions flagrantes et énormes, parce qu’ils avaient pour but d’imposer leur version des événements dans le cycle ininterrompu des informations. À la différence de certains commentateurs, les historiens peuvent se payer le luxe de considérer leurs sources dans la durée. C’est ainsi que ces contradictions apparaissent et peuvent elles-mêmes être soumises à l’analyse.

Dans le cas de la Russie de la fin de l’année 2013 et du début de l’année 2014, la principale contradiction résidait entre la critique de l’Ukraine comme fasciste et la politique réelle de la Russie qui, par certains aspects, rappelait les années 1930. 

Ici, une sorte d’empathie entre en jeu. Dans le cas du Maïdan et de la guerre de la Russie contre l’Ukraine tout comme dans d’autres cas, l’histoire, d’ordinaire, tient lieu d’analogie. Certains font des comparaisons avec la destruction de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne nazie en 1938 et 1939. D’autres affirment que les analogies historiques sont de mauvais goût, ou qu’elles sont toujours imprécises. L’empathie peut aider un historien à adopter une autre attitude face à ces analogies. Il est parfaitement clair que Vladimir Poutine lui- même pense aux années 1930. On peut ne pas être d’accord avec ses interprétations, mais il est impossible de ne pas relever les références fréquentes qu’il fait dans ses discours et ses interviews. Il est également notoire que Vladimir Poutine lit certains interprètes de l’histoire. Ce sont d’ordinaire des gens qui louent la grandeur de l’ancien Empire russe ou qui, dans les années 1920 et 1930, ont cherché à en expliquer l’écroulement. On pourrait souhaiter qu’il lise d’autres livres, mais il est clair qu’il lit. Cela signifie que les analogies historiques ne sont pas des choses imposées de l’extérieur. Les analogies historiques sont au cœur de ce qui se passe, parce qu’elles occupent l’esprit d’une personne qui prend des décisions majeures. À mon sens, Poutine comprend cette histoire mieux que ses adversaires occidentaux. 

Les historiens spécialistes des années 1930 peuvent également avoir sur d’autres l’avantage de mieux saisir comment Poutine comprend les années 1930 ; ils pourraient aussi avoir une idée de ce vers quoi son interprétation tend. Quand des Occidentaux entendent les mots « Munich » ou «Anschluss», leur esprit les associe aussitôt à des concepts comme « Holocauste » ou « seconde guerre mondiale ». C’est compréhensible, mais c’est stérile. Comme Poutine semble le comprendre, la destruction de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie par l’intimidation à l’automne 1938 et au printemps 1939, tout comme la destruction de la Pologne par la force militaire à l’automne 1939, ont été avant tout un coup porté à l’idée de souveraineté et au système européen d’États souverains. La destruction de la Pologne n’a pas été une entreprise allemande mais une entreprise germano-soviétique. Quand l’Armée rouge est entrée en Pologne en 1939, l’argument essentiel de sa propagande était que l’État polonais avait cessé d’exister et que les minorités devaient être protégées. C’était exactement l’argument essentiel de la propagande russe en Ukraine orientale en 2014. Peut- être cette ressemblance est-elle due à la mémoire institutionnelle. De même, Poutine et son entourage n’ignorent rien, à la différence de la plupart des Occidentaux, de la réussite de la tactique soviétique de destruction des États en 1939 et 1940. 

Bien des éléments diffèrent, certes, mais l’axe principal de la politique russe est, de nos jours, très semblable. L’alliance de Staline avec Hitler en 1939 reposait sur un calcul précis : l’Allemagne aiderait à détruire la Pologne, puis elle mènerait une guerre longue et sanglante contre les Britanniques et les Français. À la fin, l’Union soviétique finirait par triompher quand ses ennemis capitalistes se seraient épuisés. En 2014 comme en 1939, Moscou se cherche des alliés à l’extrême droite. Il n’y a heureusement plus de nazis ou de fascistes au pouvoir dans les grands États européens comme dans les années 1930. Mais les néo-nazis et les fascistes sont devenus les admirateurs, voire les partisans, les plus enthousiastes de Poutine. Après avoir envahi la province ukrainienne qu’est la Crimée, la Russie y a organisé une parodie de référendum pour légitimer le transfert de cette région à la Russie. C’est exactement ce que les forces soviétiques d’occupation avaient fait en Pologne orientale en 1939. En Crimée, les « observateurs » du référendum étaient justement des néo-nazis, fascistes et populistes d’extrême droite venus d’Europe occidentale. Poutine voit en ces gens des alliés parce qu’ils s’opposent à l’Union européenne. En d’autres termes, tout comme Staline attendait d’Hitler qu’il l’aidât à détruire des États et donc tout le système interétatique, de même Poutine s’allie avec l’extrême droite européenne dans l’espoir de détruire l’État ukrainien et l’Union européenne. Ce n’est pas une analogie que les observateurs occidentaux relèvent ou imposent, c’est une analogie qui semble bel et bien fonctionner dans l’esprit de Poutine. Il voit des possibilités historiques que ses adversaires ne voient pas ; c’est ce qui fait sa force. Mais il surestime le pouvoir des idées et de la propagande ; c’est ce qui fait sa faiblesse. Aussi bien l’Union européenne que l’Ukraine sont plus solides qu’il ne croit. 

Les historiens sont peut-être aussi mieux placés que d’autres pour qualifier des idées de fausses.Tout comme les théoriciens du droit en Allemagne nazie, Poutine annonce, et semble croire, que la souveraineté est une question de fait plutôt que de droit, et que c’est plus la force que le consentement qui est à l’origine des faits. C’est ainsi qu’une création comme l’Union européenne, où les États ont volontairement mis en commun leurs souverainetés, ne peut pas exister réellement, ou qu’elle est forcément condamnée à la « décadence », pour prendre le terme d’insulte le plus répandu. À coup sûr, Poutine a très bien su flatter l’ego des hommes placés à la tête des États européens. Par son charisme et son argent, il a su attirer à lui des hommes politiques européens qui sont favorables à son projet de retour à une Europe des grandes puissances. D’autres tenants du modèle autoritaire, comme le Hongrois Orban, imitent Poutine et contribuent à étendre l’influence russe à l’intérieur de l’Union européenne. Le fait que les relations économiques entre l’Europe et la Russie sont à ce point dominées par le commerce du gaz et du pétrole signifie que Poutine peut exploiter de puissants lobbies. Cela étant, il y a aussi du monde de l’autre côté. Les échanges commerciaux de l’Allemagne sont plus importants avec la Pologne qu’avec la Russie et, avec le temps, les voix des petits producteurs pourront se faire entendre. Les dirigeants polonais comprennent la politique historique russe, et la Pologne est désormais un acteur-clé au sein de l’Union européenne. Les électeurs européens ne se soucient guère de l’Ukraine, mais ils peuvent se mobiliser quand des soldats russes abattent un avion civil transportant des Européens. 

Mais le véritable point faible de la politique étrangère de Poutine, c’est l’idée que l’Ukraine n’est pas un vrai pays. Il y a là quelque chose qui va au-delà de la politique ou de la propagande ; c’est un exemple d’émotion obscurcissant la raison. Quelle qu’en soit la cause, Poutine s’est toujours montré prêt à prendre une position passionnée et outrée dès qu’il s’agissait de l’Ukraine. L’Ukraine est le lieu qu’il a choisi, sans manquer une occasion, pour se montrer vulnérable. Son intervention lors de la « révolution orange » de 2004-2005 a été un échec total, tout comme l’a été sa tentative, à la fin de l’année 2013, d’empêcher l’Ukraine de signer un accord d’association avec l’Union européenne. L’invasion et l’annexion de la Crimée, puis l’intervention militaire dans les régions de Louhansk[2] et de Donetsk, même si elles ont été présentées comme des triomphes par les médias russes, ont aussi été des échecs. L’objectif de la prise de la Crimée était de montrer que l’Ukraine n’existait pas ; elle a débouché au contraire sur des élections présidentielles et sur un nouveau régime. L’objectif de l’intervention à Louhansk et Donetsk était de déstabiliser le système ; en fait, elle a entraîné une réforme très rapide de l’armée et des services de sécurité ukrainiens, et donc un renforcement de l’État ukrainien. Comme je le soutiens depuis la fin 2013, c’est cette erreur fondamentale – à savoir : l’idée que l’Ukraine n’existe pas réellement – qui constitue la plus grande menace pour la Russie elle- même. Elle signifie que chaque intervention russe échoue parce que la force contraire est plus grande qu’on ne le croyait et semble donc exiger une nouvelle intervention russe. L’escalade russe accroît le risque qui pèse sur le régime de Poutine, qui se trouve désormais obligé de vaincre dans une guerre à laquelle il ne s’attendait pas. C’est aussi un risque pour la population, car elle isole les Russes du reste du monde. 

Entre autres choses, le Maïdan a montré la vitalité de la nation ukrainienne. Combien de sociétés, à l’est ou à l’ouest de l’Ukraine, se seraient montrées capables, en 2014, d’organiser des manifestations d’une ampleur si massive, où les participants risquaient leur vie pour des concepts aussi fondamentaux que les droits civils et la dignité humaine ? Le Maïdan a représenté l’idée de société civile lancée par les dissidents est-européens dans les années 1970 et 1980, celle d’une force représentant la société qui n’était pas le gouvernement mais dont les objectifs ne se limitaient pas à s’emparer du gouvernement. La société civile fait de la politique un triangle plutôt qu’une ligne droite : la politique n’est pas seulement une affaire de relation entre l’individu et un régime, elle doit aussi inclure un troisième point, à savoir, les relations entre les hommes, qui donnent un sens à des idées comme celles des droits et de la dignité. La politique n’est alors pas seulement une question de pouvoir mais aussi de retenue et de prévisibilité ; c’est une question d’état de droit qui rend possibles les rapports sociaux sans chercher à en définir le caractère. Pour la propagande russe, il n’y a pas de société civile ukrainienne mais seulement un réseau de conspirations. Puisque l’Ukraine n’existe pas, tout ce qui s’y passe doit être le résultat de sinistres plans ourdis dans une capitale étrangère. Bien qu’elle concerne l’Ukraine, cette propagande parle essentiellement de la Russie. Le Maïdan a été une révolution organisée en grande partie en langue russe dans une ville russophone et par les habitants d’un pays post-soviétique. Il faut que pareille chose soit impensable en Russie pour que le système actuel puisse survivre. 

Ici, l’histoire nous enseigne trois leçons. La première est que la société civile peut exister et existe effectivement. La deuxième est que la société civile peut être opprimée et l’est effectivement. La troisième est que la lutte entre ceux qui veulent opprimer la société civile et ceux qui veulent l’incarner a été, et reste, un élément essentiel de l’histoire, et qu’elle dépasse l’histoire des nations. Ce qui est en jeu, ce sont deux conceptions distinctes et incompatibles de la politique et de la société. En ce sens, les manifestants de la place Maïdan avaientraison de s’identifier à l’Europe. Ils entendaient par là un monde de prévisibilité, de légalité, de droits. En ce sens, les dirigeants russes ont raison de rejeter l’Europe, puisque leur propre régime ne pourrait survivre à une rencontre sérieuse avec ces idées ou à leur approbation par un grand nombre de gens. Au milieu, on trouve les Européens eux-mêmes, les citoyens des États membres de l’Union européenne, qui devraient apprendre de l’histoire de la Russie et de l’Ukraine combien est vulnérable un mode de vie que beaucoup d’entre eux semblent considérer comme allant de soi. L’Union européenne a été une réponse intelligente et efficace à l’histoire, mais elle n’a pas été une fuite hors de l’histoire, parce que c’est une chose impossible. Il n’est pas dit que l’Union européenne doive s’écrouler du fait de l’échec actuel, mais elle le pourrait. Ce n’est pas une possibilité à exclure ; les événements dépendent encore des Européens eux-mêmes. L’Union européenne, tout comme l’Ukraine, est une des cibles de la politique russe parce que les idées qu’elle représente signifient la destruction du régime russe. Mais bien sûr il n’y a rien d’exclusivement européen, ou d’ukrainien, dans l’idée que le droit vaut mieux que le pouvoir arbitraire et que la libre association vaut mieux que la solitude apeurée. Définir la Russie comme ennemie de la société civile est un acte politique, mais ce n’est en rien un acte historiquement irrévocable. 

Traduit de l’anglais par Bernard Marchadier. 


[1] Ce texte a été publié, en russe et en ukrainien, en tant que préface au recueil d’articles de l’auteur, Histoire Ukrainienne, Politique Russe, Avenir Européen, Kiev, Duh i Litera, 2014. 

[2] Nous utilisons systématiquement des transcriptions des noms propres selon leur phonétique ukrainienne. 

3 Commentaires

  1. Pour Poutine, Zelensky fut, est, sera un clown : un Juif dont la collusion née avec le monde impur de la finance l’identifie comme suppôt de Satan, et je ne parle pas ici arsenal nucléaire. Ce social-traître et spoliateur de république socialiste soviétique, est enfin le vassal culturellement corrompu d’un truqueur d’élection présidentielle dont les QAnon de MC Trump ne sont pas les derniers à relayer la campagne de désinformation russe à l’encontre de l’Ukraine. De là à penser que cet héroïque chef d’État-martyr mérite d’être cloué au pilori comme le chef d’un réseau pédophile international, il n’y a qu’un pas de l’oie.
    Aussi encouragé-je mes camarades postcommunistes à se méfier comme de la peste rouge brun de l’opprobre que l’on jette sur l’Ukraine libre à travers son David. Toute biographie est manipulable ; tout élément biographique peut être interprété sous un angle assassin. Or rien n’oblige le juste à se laisser coincer par un maître chanteur ; à moins, bien entendu, que ce dernier n’ait de juste que le nom et que, sautant sur l’occasion d’un procès de Moscou comme sur un prétexte providentiel, il n’en profite pour se délester d’une mission trop lourde pour ses entorses de l’épaule, voire assouvir l’envie salope de siroter jusqu’à la lie l’auréole de moqueries dont on nimbe un coupable idéal.

    • Voudriez-vous cesser, camarade Poutine, de nous considérer comme les exosujets d’un empire tentaculaire que vous n’exercerez jamais sur l’archéologie de nos consciences. Nous ne sommes pas lobotomisables et, croyez-le bien, nous ne le serons pas de sitôt. Alors ne vous épuisez pas à inculper le président Zelensky en qualité de Parricide de la nation.
      Volodymyr n’est pas Bachar ; si tel était le cas, vous seriez son allié.
      Il ne bombarde pas son propre peuple, car le chef d’un État de droit n’a aucune raison d’exterminer les mêmes populations qui l’ont démocratiquement élu.
      Ces premières et déjà innombrables victimes des bombardements répétés qui, depuis quelques semaines, dévastent une belle et jeune démocratie européenne, ne sont pas le bouclier humain d’une insurrection terroriste. Ah oui, on avait pu ressentir des scissions assez virulentes au sein de l’échiquier politique ukrainien, mais quand un Effaceur ouvre le feu sur un dèmos pluriel et pluraliste, qu’en outre il exécute son plan machiavélique à l’échelle inhumaine, il n’y a pas d’autre alternative que l’union sacrée.
      Voilà pourquoi au-delà des territoires violés, la guerre n’est pas civile, — vous ne ferez croire à personne ici-bas que, là-haut, la Résistance a pris les armes, entassé des sacs de sable en guise de barricades à travers villes et villages, miné plages et champs sur lesquels votre Étau se resserre, du seul fait qu’un peuple opprimé aurait décidé d’en finir avec le même régime cryptofasciste que nous l’avons tous vu, il y a huit ans, glorieusement renverser.
      L’Ukraine de Zelensky n’est plus celle de Ianoukovitch. Elle a même condamné votre toutou par contumace pour crime de haute trahison après qu’il avait fait appel à vous, mon cher Poutine, en sorte que votre armée réprimât la révolution pro-européenne qui, semble-t-il, vous est restée sur l’estomac… Ah ! ça y est ? ça vous revient ?

  2. Des Lumières aux anti-Lumières, le Mur fantôme sut maintenir les esprits germanistiques dans une forme d’intranquillité que l’on qualifiera de supergarde-fou.
    Ce faisant, le président du meilleur de l’Europe est tout à fait fondé à incriminer tout en la désignant l’incurie d’un régime s’accrochant comme au pic d’une montagne fissurée au très cruel parallélisme des paradigmes entre les totalitarismes obscènement intriqués de Staline et Poutine.
    Et l’on comprend qu’il invite Olaf Scholz à broyer un symbole que Vlad le Pire cherche par tous les moyens à raviver entre les oripeaux du cadavre d’empire matérialo-orthodoxe et ce avec autant d’acharnement et de colère que peut en manifester l’enfant déjà trop grand pour renoncer à obtenir ce qu’il veut, mais encore trop petit pour avoir développé les facultés requises afin d’y parvenir.
    Lorsqu’il remonte au Bundestag et rebat le rappel du 18 juin quarante après une longue Nuit de Cristal transfigurée, Volodymyr le Grand connaît trop son histoire pour ignorer que ce Mur qui reproduisait à la perfection, dans ce chœur éclairé de notre continent, la frontière mythologique entre les vivants et les morts, ne fut pas abattu par les Occidentaux mais par des aspirants à la liberté de devenir ce que l’on est, lesquels surnageurs est-allemands, bien qu’ils fussent foudroyés par l’intuitive certitude qu’ils ne seraient bientôt plus seuls au monde, constituaient toutefois la seule personne, au sens profane et entitaire, à pouvoir se doter de la force de recouvrer ses libertés refondatrices.
    C’est donc bien à la populace BRUTaliséE par une Propagandastaffel RDAdaïste qu’il demande d’abattre cet arbre qui cache la vénéneuse forêt des préjugés mondialophobes et d’utiliser chacune des fourberies intellectueuses qui l’ont infestée comme autant de béliers libératoires possédant la puissance rythmique et dynamique nécessaire au forcement des hautes murailles mentales derrière lesquelles la Poutinie persiste à défier le réel via le mythe désindividualiste, antilibéral, nationaliste et pan-nationaliste de la désoccidentalisation du monde.
    Rien d’étonnant à ce que la peste brune assimile à un virus mortel ce pour quoi elle représente une menace existentielle. On est tous la peste d’un autre, et quand cet autre nous appréhende comme tel, il est normal qu’on le fuie comme cela même qu’il pourchasse. Un dissident soviétique ou cryptosoviétique représentera toujours une souche de peste bleue pour un cavalier de l’Apocalypse aux yeux duquel les droits de la personne empestent le péché capital. À nous maintenant de décider jusqu’où nous sommes prêts à nous battre pour réactiver les instances internationales, renouveler nos vœux de mariage avec les droits y afférents, ces valeurs et biens universels dont l’inventivité irremplaçable et la puissance insigne de l’enveloppe décachetée sont à l’égal de la fragilité. Nous disposons pour ce faire d’un atout qui nous sauvera toujours, à court ou moyen terme : ce n’est jamais par l’extermination de ses proies que nous mettons le mal hors d’état de nuire.