Dressé à l’extrémité nord-ouest de la longue bande de terre et de sable ponctuée de marais salants qu’on appelle musicalement l’île de Ré, un fier et inquiétant clocher, la base peinte en blanc mais sa moitié haute revêtue de noir comme s’il était le signe du triomphe de la mort et du deuil, se présente depuis des temps immémoriaux aux iliens, aux marins et côtiers, aux voyageurs venus du continent, comme le symbole jaloux d’Ars-en-Ré, fine flèche phallique dressée vers le ciel tel un doigt hérétique et vengeur contre Dieu et ses éternités-mensonges.
Le village d’Ars-en-Ré qui se presse autour de ce clocher hautain et réfractaire, avec ses maisons basses aux jardins de curé vierges de toute piscine et ses ruelles pittoresques mais pas trop, constitue, en réduction, une sorte de Saint-Tropez vendéen des années 60, de par la concentration cadastrale de beautiful people et de riches et célèbres à l’hectare. Mais tous autant qu’ils sont se veulent l’envers militant de la frime tropézienne d’aujourd’hui. Ars et sa population allogène formeraient bien plutôt un mini-Lubéron sur les rives atlantiques, en même temps qu’un pôle par l’esprit, irréductible à la France ruraliste et profonde des provinces oubliées de Paris prédatrice. Parisiens de souche mais rhétais de cœur depuis un siècle (grâce à l’arrivée précoce du chemin de fer à la Rochelle), les gens d’Ars, on l’aura compris, ne sauraient plaisanter avec la Culture. S’adonnant l’août venu à la lecture des best-sellers de l’année, vantant sans se lasser la simplicité maritime de l’île, humant avec des râles de plaisir le vent salé de l’Océan, pratiquant l’herboristerie sauvage le long des sentiers de randonnée, tapissant leurs cours intérieures de roses trémières, faisant de la voile à l’ancienne dans le Pertuis vendéen, se promenant à vélo sans chichi, les dames dans de vieilles Volkswagen coccinelles décapotables, tous rêvant d’une cabane de pêcheur sur pilotis, louant l’onctuosité triploïde des huitres n°5, s’obligeant pour certains à la piquette locale, feuilletant avec nostalgie à l’heure de regagner les populeuses métropoles la Correspondance amoureuse de Georges Sand et, pour finir, après les emplettes quotidiennes au marché couvert, s’autorisant un café-noisette ou un kir vin blanc à la terrasse du Commerce quand une table s’y libère sous l’effet de la pluie revenue : telle est la société d’Ars-en-Ré et son ethos élitiste à l’usage de tous, campeurs compris.
Il s’est trouvé, il y a peu, que l’église des douzième et quelques siècles qui supporte le fier clocher rebelle à la foi qu’il est censé glorifier, témoignait dangereusement d’une fatigue des pierres, d’un relâchement du pavement, d’une usure des ornements et du mobilier rituel. La dévotion religieuse chez les uns, la fidélité au lieu patrimonial chez d’autres, l’habitude chez tous de voir le clocher dressé debout derrière leur fenêtre au lever du matin, la reconnaissance collective, natifs d’Ars, happy few et villégiaturistes mêlés, pour la douceur du vivre ensemble dans ces rues et ruelles si délicatement simples, tout cela entraina la mobilisation des âmes et des consciences. Une bonne fée s’empara de la cause, parisienne comme il se doit mais rhétaise d’adoption et communicante de haut vol. Qui se fit pour l’occasion la Madone oecuménique des ex-voto, peintures, dessins, sculptures, maquettes, photographies, manuscrits, sollicitant sans trêve artistes, écrivains et tous ministres du culturel, qu’ils soient croyants, mécréants, athées ou agnostiques, pour une vente estivale à grand renfort d’amicales mondanités au profit de Saint-Etienne d’Ars-en-Ré. Cette chaisière laïque a réussi, et au-delà, son pari new wave de réunir cent pêlemêles et œuvres de tous bords pour le service divin en sa version patrimoniale, recueillant une manne bienvenue qui est allée enrichir les subventions des Monuments historiques et des institutions locales. Merci donc à la dame bienfaitrice. Pour ceux que cela intéresse, cette belle personne, cette Juste se nomme Valérie Solvit.
Cent ans plus tôt, à la veille de la guerre de 14, un certain Maurice Barrès, écrivain nationaliste et Prince de la Jeunesse fort justement oublié aujourd’hui, publiait La grande pitié des églises de France, dénonçant l’abandon matériel et juridique où les laissait la rupture du Concordat napoléonien par la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 qui refusait l’incorporation au domaine public des édifices du culte. Chantre de la continuité historique de la nation bien plus que fervent catholique lui-même, Barrès préconisait le classement en bloc de toutes les églises d’avant 1800…
Cette querelle sur la propriété et l’entretien des édifices du culte est depuis longtemps politiquement réglée. Reste, oui, la grande pitié, pour ne pas dire la grande misère des églises de France. Regardez les églises parisiennes, passées, faute de crédits, les unes après les autres sous d’immenses filets gris pour pallier les chutes de pierres sur les passants. Leur préservation n’est pas une question religieuse ou politique mais une question purement patrimoniale, relevant de l’histoire de l’art et de l’architecture, priorisant le sauvetage du passé, en premier lieu par les villes qui, d’abondance, l’ont reçu en héritage. On en est loin. L’Etat ayant, en matière de patrimoine, hormis les cathédrales et les monuments nationaux, d’autres chats à fouetter, et les collectivités territoriales n’y suffisant guère elles-mêmes, ce sauvetage devient, en témoignage de filiation à la communauté française et son histoire, l’affaire de tous, indépendamment des convictions religieuses ou philosophiques de chacun.
Telle est, parmi cent mobilisations en France dictées par le culte citoyen du beau et la religion laïque du passé, la fragile leçon d’espoir, argent sonnant et trébuchant, d’Ars-en-Ré, été 2020.
Où avais-je la tête ? une busherie en série bouclée en huit saisons ; pas une de plus, mais qui auront marqué une Histoire universelle se foutant royalement de la maîtrise de nos calendriers, quand elle décide de commencer une séquence en septembre 2001, pour l’achever en mai 2011 avec la mort du fondateur d’al-Qaïda, enfin l’achever… façon de parler ! à force de baliser ce pour quoi l’on balise, on en arrive à croire que la menace terroriste ne bénéficie plus d’une organisation depuis que nous avons bouté Daech hors de son fief, région où tout État islamique exerçant une menace endogène ou exogène contre l’ennemi de son ennemi aurait été éradiqué, quelque part sur une planète où nulle nébuleuse islamiste ne continuerait d’englober une succession de califes autoproclamés supplantant leurs illustres mentors.
Quelques heures après l’effet :
« D’après ce que l’on sait, il est très jeune. Vraisemblablement, il n’est pas conscient de ce qu’il a fait… il riait pendant l’interrogatoire ! »
Concitoyenne, concitoyen, pensez-vous sérieusement que la rue rigolarde que nous eûmes la chance, au plan ethnologique du terme, de voir sauter de joie face à l’effondrement des Twin Towers, assistait, en ces temps attardés, à un spectacle de Jean-Michel Jarre ? J’ai comme l’impression que vous avez laissé s’installer chez vous une légère confusion entre le conscient et ce qu’il est de coutume d’appeler la conscience. Le fait qu’un être humain soit dépourvu d’empathie ne signifie pas qu’il agisse depuis le dernier sous-sol de l’appareil psychique sans aucune possibilité de remonter à la surface. De même, lorsqu’on part en repérage sur les lieux d’un crime qui a fait le tour du monde, on a peine à entrer dans la fumeuse catégorie du terrorisme spontané, sinon en tant que fan anti-attique de ces INTIme FADAs dont l’imprévisibilité des agressions qu’ils s’apprêtent à commettre ne l’est que pour leurs proies.
Sommes-nous en capacité de prouver l’inexistence d’un réseau organisé, ou plutôt dans l’incapacité d’en démontrer l’existence ? Nulle trace de réseau sur le réseau ? OK. Y en avait-il au bon vieux temps des Hashshâshîn ? ou au moment où Andreas Baader éjaculait dans les consciences éclairées de nos continents-phares ?
Les dix saisons de W nous aurons vaccinés contre la zone grise, et c’est heureux, du moins pour le confort de nos consciences.
Il n’en reste pas moins que notre République irréprochable s’est ôté toute latitude pour arracher des aveux à un fanatique dont la réalité lui clignote au visage.
Attention, nous ne prônons pas un rétablissement de la torture légale.
Nous nous appelons, en revanche, à bien mesurer l’avantage considérable que notre humanité donne à une grégarisation totalitaire d’autant moins saisissable qu’elle n’est plus disposée à se dématérialiser à l’aveuglette.
Émule tardive des sociologues fin de siècle, la bourgeoisie néohippie persiste à dégommer sa République à la papa, soutenant qu’elle fabriquerait, ou aurait laissé se fabriquer, des ghettos américanisants là où celle-ci n’eut de cesse que de vouloir convaincre une partie de la nation issue de l’immigration d’adhérer à son propre modèle de civilisation, lequel modèle, étant basé sur l’universalité des droits de l’homme, n’est plus même capable de concevoir la possibilité que les défenseurs d’un autre mode d’organisation sociale s’opposent au sien en usant de toutes les armes que sa Constitution met à leur disposition pour atteindre leurs objectifs.
Il n’y a pas de volonté, en République, d’exclure de la communauté nationale une catégorie de Français qui n’auraient pas vocation à jouir de l’égalité des droits.
De même que l’impuissance à se faire aimer et la haine sont deux choses différentes, de même, l’incapacité à inclure au sein d’une société universaliste des individus hostiles aux principes qui la fondent, n’induit pas nécessairement un rejet envers ceux-là mêmes auxquels il répugne de faire peuple avec ne serait-ce qu’une once d’altérité.
Il n’eût servi à rien de courir après les copycats des Reufrés héroïques — « Pardon ? » — dans l’espoir de les informer à temps que les anciens locaux hantés de Charlie Hebdo n’étaient pas habités par la nouvelle équipe de cette incarnation d’une liberté de conscience et d’expression non seulement incurable mais inexterminable, sauf à vouloir les réorienter vers la bonne cible.
Je Nous rappelle que, depuis 2015, c’est Nous qui sommes Charlie.
Si nombre d’entre nous ne le sont plus et, par voie d’inconséquence, ne l’ont jamais été, la France, à travers le procès qu’elle instruit contre les complices du Jihâd, mais aussi à travers la médiatisation de ce dernier, sans compter sur le soutien unanime, fût-il pour (parti)e une posture, qu’apporta une représentation nationale masquée à la DRH du journal satirique exfiltrée en urgence d’un domicile pourtant placé sous protection policière, la France, aussi déboussolée qu’elle soit face aux inhumanités qui la travaillent, n’en est pas moins la France pour ces enfants du siècle des Ténèbres épris d’un désir de revanche collective — on a les ambitions qu’on peut — sur tout ce qui est de nature à confirmer la victoire sans appel de la Raison sur des systèmes à bout de souffle condamnés à rêver qu’ils la font vaciller.
La Révolution islamique mondiale a encore frappé.
La Révolution négationniste a tué Charlie une seconde fois.
Et si les principaux bénéficiaires de la convergence des luttes semblent être équipés d’un système de reconnaissance faciale intégré destiné à identifier leurs cibles d’un simple coup d’œil jeté sur un trottoir qu’ils arpentent, l’air de rien, lors d’une pause cigarette, il faut bien avoir à l’esprit que cet implant cérébral leur offre aussi la faculté de se reconnaître entre eux.
C’est du côté des chasseurs de têtes qu’il faut concentrer Nos efforts.
La logique de la Résistance est inversée sous la France préoccupée.