Il y eut, plus d’un demi-siècle auparavant, par une froide journée d’octobre où le vent balayait la place, la voix sépulcrale de Malraux, les mots venus d’outre-tombe pour évoquer Jean Moulin, cette ombre, ce fantôme parmi les hommes, son destin posthume de disparu éternel. Il y eut son «entrée», ce tutoiement fraternel d’un compagnon des ténèbres, d’un colonel Berger thaumaturge à celui que ses fidèles en résistance nommaient, faute de savoir son nom, Caracala.
Là, avec Simone Veil magnifiée comme une héroïne du vivant, loin des fantômes du passé et d’un homme martyrisé au combat, ce fut différent. D’un vieux Connétable gaulliste qui sculptait sa légende en parlant d’un autre qu’il n’avait pas connu, on découvrait qu’un jeune Président de génération 2.0 tourné vers l’avenir avait, aux portes du Panthéon bien plus qu’au Louvre un an plus tôt, le sens de l’Histoire comme récit, comme tragédie et comme rédemption. Il se nouait là, entre ce jeune prince qui vainquit presque sans combat, et l’une des grandes combattantes de ce siècle passé, combat contre la mort, la sienne, combat pour le souvenir, combat pour la justice, combat pour les femmes, un étrange et beau contrat de générations : à travers la juste évocation, pleine de respect et d’admiration, d’une femme qui incarne désormais le demi-siècle dernier, Emmanuel Macron s’appropriait, au nom de la République, une part de l’Histoire moderne de la France qu’il n’avait pas vécue. Ce cérémonial sous le soleil de juillet d’un homme hissé au premier rang qui sent, non sans l’envie d’en découdre, les vents mauvais souffler de nouveau sur l’Europe, ces applaudissements d’une foule où l’on découvrait comme appartenant à une même famille reconnaissante des figures bien connues mêlées à des milliers d’admirateurs et admiratrices anonymes, composaient le tableau symbolique d’une France réconciliée autour d’une grande figure républicaine qui fait aujourd’hui enfin l’unanimité.
Mais cet arbre du bien cache mal la forêt des dangers et des miasmes qu’aura combattu toute sa vie Simone Veil et qui font retour à foison. Simone Veil alors ? Non plus seulement cette figure d’un hier grâce à elle dépassé, grâce à elle libéré, grâce à elle augmenté, mais Simone Veil, cette femme, cette juive, cette Française, de nouveau en vigie. Une vigie française.