Voici, tombé du ciel des idées pures, un véritable OLNI, objet littéraire non-identifié, de la plus belle eau.
Son auteur, Sylvain Bourmeau, un ex de Libération, s’est décidé un beau jour devant le défilé de l’actualité et des dépêches d’agence en continu, face à l’inanité de ce chaos de mots toujours recommencé, de régler son compte, à la manière du cut off des poètes de la Beat Generation, à cette « horizontalisation à perte de vue de la sphère publique ». Il a choisi d’y employer, comme une censure à l’envers, la vieille pratique du bâtonnage, cet art domestique qui consiste à fendiller le bois pour alimenter les petits feux ou à tailler des lattes, par le martelage d’une lame. Ainsi est titré ce mince recueil : Bâtonnage (Editions Stock).
Résultat ? Voici quelques extraits de ces articles parus dans Libération et ailleurs, savamment désarticulés, décomposés et recomposés par cet iconoclaste du sens premier des mots et de leur mise ensemble.
les micros
des relations sexuelles
pleuraient
pour
son courage
glamour
encore
C’est tiré d’un long bloc intitulé Redevenir invisibles.
Dans un morceau intitulé Platini dans le piège de Blatter, titre d’un article éponyme sur l’affaire qui défraya la chronique lors des élections à la FIFA pour la direction mondiale du football il y a quelques années, ce passage peut-être sans mystère pour les aficionados d’alors dans le secret des Dieux :
liquider
un scénario
vulnérable
pour surgir
de situations
extravagantes
à ce stade du monothéisme
le français
rappelle
un enfant
pour le pire
pour faire évoluer
le drame blanc-bleu
Un peu plus loin, une deuxième pièce – le mot poème ne serait pas approprié – sur le même sujet s’intitule Comment Michel Platini a été empapaouté :
au détriment
des apparences
derrière le rideau
sa perte
à l’abattoir du timing
moindre centime
dans leur pot de confiture
Quant au court haïku qui suit :
Adieux
Tee-shirts « Juppé »
Dans leur vie
Exemplaire
il est intitulé précisément La machine à remonter le Juppé.
Dernier exemple, intitulé A la même enseigne :
le temps se voulait
« agitateur »
dans
les centres cathédrales
des escadrons
en gilet giron
l’enseigne expresso
sèche-cheveux
dans le cadre
valorisant
de livres
anglo-saxons
Nous sommes chez Sylvain Bourmeau en pleine déconstruction du sens, entre Cadavres exquis surréalistes, facétie oulipienne, exténuation mallarméenne des bibelots abolis sonores que sont les mots impurs de la tribu, non-sens à la Lewis Caroll, bizutage à la Queneau et sa pince monseigneur, nouveau lettrisme ou plutôt motàmotisme.
Vengeance du journaliste sur les siens et, partant, sur la gente écrivaine ? Subversion anarchiste du français et sa supposée clarté ? La langue est-elle fasciste, ainsi que l’énonçait Roland Barthes ? « Le besoin d’être mal armé », comme s’intitule un morceau où il est question de Jérôme Lindon et de son auteur S.B. et de ses Nouvelles pour rien ?
Arrachée à la pesanteur du sens par l’évasion, comme il le dit, de tout contour, cette novlangue bourmeaulienne produit des effets de rupture et de rature, d’absurde, des flashs violents d’inconscient, de panique, de rébellion salutaires, dans une charge contre un ordre du discours qui fait signe au meilleur Slam des banlieues d’aujourd’hui, la rime en moins.
Mais il y a soudain ce dernier texte, A nos enfants, dont, par exception, la lecture est limpide, et qui fait poème, c’est-à-dire chant, désespoir et dégoût du monde. Plus de masque. Nos grands sommeils mis à nu :
la photographie
de l’enfant retrouvé
sur une plage
diffusée sobrement
a agi
la mort les bras
ballants
de sommeilsoudain
une image
magique
comme tétanisée
de guerres
le monde
passé à autre chose
regarder
son compte Twitter
Nous voici bâtonnés.