A Brest, le film est présenté en avant-première le 27 octobre, aux Studios de Sébastien Le Goffe. Dès le matin, ce dimanche, avis de tempête sur la Bretagne. Faut-il y voir le signe d’un désastre ? Habitants calfeutrés chez eux ou spectateurs fuyant le débat dans leur empressement à retrouver leurs pénates ? Avec Christophe, nous arrivons sous une pluie atlantique. Entre les gouttes, nous voyons pour la première fois l’affiche du film sur le fronton d’un cinéma et, plus loin, au bout du superbe hall tapissé d’un rouge théâtral, nous entrons dans une salle où 150 personnes s’apprêtent à découvrir Doutes. Si mes jambes ne tremblent plus, elles restent sans cesse en mouvement lorsque je prends la parole pour saluer les spectateurs et les remercier de leur présence. Christophe essaye discrètement de bloquer ce déplacement un peu frénétique. Mais à ce moment-là, l’intranquillité s’est déjà évanouie. Mes pas erratiques n’en sont plus qu’un vestige qui disparaîtra d’ailleurs après quelques projections suivies de débats.
Nous assistons au générique de début depuis le seuil de la porte de sortie, puis attendons la fin de la séance avec Sébastien et Bertille, en dégustant des langoustines dans leur appartement qui surplombe Les Studios. Nos questions, nos discussions mettent au jour leur sacerdoce, celui de tous les exploitants que nous rencontrerons dans le mois à venir : Christian Vanadia à Cavaillon, Claire Leluc-Derouin des Vrais Instants de l’Image, François Lesuisse aux Sables-d’Olonne et tous les autres… Leur métier, c’est une totale dévotion au cinéma, à ceux qui fidèlement retrouvent, semaine après semaine, le chemin de leurs écrans. A Brest, ils sont deux, un couple, pour animer ce lieu, ne s’absentent que trois petits jours par an et s’attachent à proposer à leurs clients une programmation personnelle et ambitieuse, dont ils sont les prosélytes. Voilà des missionnaires du cinéma comme certains libraires peuvent l’être de la littérature.
De retour dans la salle, ma première grande surprise : personne n’est parti au cours du film. L’une des raisons qui m’a toujours fait préférer le cinéma au théâtre, c’est cette liberté qu’il donne au spectateur de pouvoir quitter son siège à n’importe quel moment pour ne pas revenir. Face aux comédiens en chair et en os, je suis incapable de ce geste : je peine pour eux quand ils sont mauvais, quand la mise en scène est inexistante ou que le texte qu’ils ont à prononcer est faible (« Dans abandon, il y a don », se raconte Albertine, devant le miroir de sa loge, pour justifier son refus d’un rôle). A la limite, je profite d’un entracte pour m’esquiver. Au cinéma, je peux filer et me défiler sans honte et sans scrupules.
Dans la salle des Studios, personne n’a fui devant Doutes, alors que j’ai toujours évalué cette hypothèse que le film puisse en irriter, voire en insupporter certains : untel de droite qui étoufferait d’entendre parler de la gauche pendant une heure et vingt-quatre minutes ; untel de gauche qui concevrait pareille interrogation sur les désillusions de son camp comme forcément commanditée par un sentiment de droite ; tel ou telle autre qui se dirait qu’on ne parle pas de toute la gauche, mais seulement d’une certaine gauche morale ; tous ceux, surtout en province, qui pourraient avoir l’impression que ce ne sont là que réflexions confites et recuites de Parisiens ; des spectateurs, aussi, déconcertés par la caméra, sa proximité avec les visages, et la parole, comme quasi sujet, comme musicalité en tous cas. Cette présence donc, jusqu’à la fin du générique… Politesse ? Je ne crois pas. Et si oui, envers qui ? Et Pourquoi ?
Surtout, pour quelle raison prolonger la séance lors d’un débat ? Il y a toujours une torpeur quand la lumière se rallume et que vient le temps de la libre expression ou des questions. Les exploitants le savent, ils en ont l’habitude. Ils se lancent donc, les premiers, pour créer le mouvement. A Brest, comme dans toutes les autres salles de France où nous sommes allés à la rencontre du public, la timidité se dissipe très vite. Ce 27 octobre, les spectateurs balayent déjà sans réserve le champ de tous les territoires sur lesquels nous serons interrogés dans le mois qui vient. Une idée de leurs interventions et de mes réactions :
Cette période très précisément, 2006-2012, comment a-t-elle été circonscrite lors de l’écriture du scénario ? Je peux revenir sur mes marottes, essentiellement le principe de la persistance, depuis 1984, des trahisons et des déceptions, sanctionnées dans les urnes, mais qui n’entraînent aucune remise en cause, aucun aggiornamento à gauche, aucune réinvention de la pensée : 86, 93, 95 puis 21 avril 2002, le moment tragique. Le grotesque est venu après. Pour moi, avec cette victoire claironnée par la gauche, par François Hollande, aux régionales de 2004, qui efface le passé, comme chaque fois, et ne permet pas de l’interroger. 2006-2012, c’est la période tragi-comique. C’est donc sur ce mode qu’il m’a semblé naturel de la traiter.
Quand l’écriture a-t-elle commencé, quand s’est-elle achevée ? J’explique que les premières scènes ont été écrites à l’été 2010. Que j’ai repris la rédaction à l’été 2011, pour la compléter à la fin de novembre, le scénario n’ayant pas été retouché par la suite. Enfin, tout ce que j’ai raconté très en amont pour les lecteurs de ces Carnets, qui attestent que je ne me livre ici et maintenant, face à certains articles de presse écrite, à aucune post-rationalisation sur mes intentions, que ce soit sur la conception, le propos ou la forme du film.
Le titre : Doutes. Quand vous est-il apparu comme évident ? Parce qu’il colle à ce que nous vivons maintenant. Doutes était là depuis le début de l’écriture. Il s’agissait des doutes intimes, des doutes inscrits dans un couple, dans une amitié, des doutes sur soi-même, sur le chemin qu’on a emprunté, des doutes sur la possibilité pour un individu de changer face au cours des événements, même tard dans l’existence. Il s’agissait aussi de la question de la croyance, particulièrement en politique, particulièrement pour ma génération et celles qui l’ont précédée, du doute méthodique qui est peut-être celui qu’il faut appliquer dans un monde sans idéologie et dans un pays rationaliste, forme de relation à la politique qui pourrait être en tout cas, celle des nouvelles générations, des doutes sur la capacité de transmission d’une histoire, d’une mythologie. Enfin – et c’est quasiment ce qu’exprime la dernière phrase de Judith (« Est-ce que c’est Hollande qui va passer ? On va encore y croire et puis déchanter ? ») –, j’avais envie d’interroger un mode de relation cynique à la prise du pouvoir et une fidélité d’avance reniée à la promesse électorale. Quand j’ai déposé le texte à la SACD, en décembre 2011, c’était donc avec ce titre, mais un autre sous-titre : Une comédie française. Et si je l’avais conservé, ce sous-titre, il en aurait peut-être mis certains sur la voie de cette autodérision que j’avais voulu manier, le doute sur un univers confiné, le nôtre, celui de Parisiens relativement au fait de la pratique politique et tellement concentrés sur elle, ses codes et ses règles, qu’ils en arrivent à perdre de vue les réalités d’un pays, le leur. Satire réflexive, dans l’effet de miroir, et jeu avec le genre lassant et vain, pour moi, de l’autofiction. Ce sous-titre aurait ainsi signifié que je voulais faire rire, que si les personnages étaient arrogants, pontifiants, ridicules, c’était un effet combiné de l’écriture, de la mise-en-scène, et de l’interprétation des acteurs.
Pourquoi trouve-t-on justement ces personnages si désagréables au début de votre film, au point qu’on se dise qu’on va lâcher, et comment se fait-il que progressivement on s’y attache, si bien que l’émotion prend le pas sur la politique ? Les premières séquences sont écrites pour dérouter, pour laisser ce goût et ces images des premières rencontres, à la fois précis et flous, quand la sensation avec des gens est inconfortable. Et puis parfois, on va y regarder de plus près et on commence à voir des choses intrigantes, des failles, une histoire trouble ou complexe, en tous cas une réalité moins simple que celle qu’on a perçue au premier regard. Il fallait qu’il puisse y avoir cet effet de bascule, parce qu’on ne peut pas toujours observer les autres de façon cynique. Je souhaitais qu’on puisse entrer dans leurs raisons et leurs déraisons, développer une forme d’empathie, en tous cas une curiosité pour leur histoire, leur façon de se débattre avec elle. Là réside aussi l’équilibre du tragique et du comique. D’une part, on trouve la comédie humaine, lors des scènes collectives où tous se « marquent à la culotte », rivalisent de forfanterie, d’habileté, d’autre part, les monologues qui révèlent des fragilités et un retour sur soi tenté par chaque personnage.
Pourquoi un film aussi fortement ancré dans la politique ? J’ai rappelé cette impression que la passion politique se mêlait à la vie privée sur un mode paroxystique en France. Que nos amitiés pouvaient se déliter, nos familles se diviser (ainsi l’un de mes oncles vient de disparaître sans avoir revu son frère aîné pendant 40 ans et jusqu’à sa mort, au nom d’une prétendue divergence idéologique). Les spectateurs opinent, prennent la parole pour faire part de leurs expériences. J’ajoute aussi que cet ancrage dans la politique me vient d’un manque dans le cinéma français, qui jamais jusqu’à La Conquête ne rendait compte de l’Histoire immédiate, ou n’évoquait le contexte politique dans lequel des personnages se mouvaient. Forme d’occultation, de déni, dans mon esprit, qui fait écho aux autres dénis de notre passé, de notre psyché. Au contraire de l’Italie, qui n’hésite pas à évoquer la toile de fond des années Berlusconi, par exemple. Cette envie donc de faire un film, dans mon pays, où il soit question des gouvernants, des opposants, des sujets de société, et ce, nommément, sans métaphore, sans masques. Envie et logique de mêler politique et intimité poussée volontairement à l’extrême dans Doutes.
Comment s’est effectué ce choix de casting, pourquoi des personnalités qui ne sont pas connues principalement pour leur carrière dans le cinéma ? A Brest, le film n’a pas encore fait sa sortie nationale, et les critiques écrites ne sont pas encore parues. Je ne suis pas sur la défensive, ne le serai pas plus tard non plus, mais forcerai un peu plus le trait pour décrire la réalité avant et pendant le tournage. Christophe donc. Mon intrigue s’était nouée autour de ce prétexte, petit point de départ commun au couple de Judith et de Chris et à ma propre vie : je ne sais pas et ne saurai jamais comment vote mon compagnon. En écrivant, je me suis amusée à donner à Chris Bailey (ce sont nos trois filles qui ont choisi ce nom absurde dont j’espérais qu’il souligne le comique assumé) deux ou trois caractéristiques notoires de Christophe Barbier. Une écharpe rouge, une distanciation revendiquée et une présence dans l’audiovisuel qui tendrait à accréditer qu’il possède le don d’ubiquité. Avec la volonté, justement, de poser cette question de la médiatisation. J’ai longtemps hésité avant de lui proposer d’interpréter le personnage, tant je concevais que j’avais écrit des choses désagréables ou peu flatteuses pour lui (« Tu ne trouves pas que je ressemble à un Canton suisse, profil d’une neutralité absolue, front légèrement fuyant, regard clair et franc … », pour ne citer que cette réplique de Chris), que cela puisse l’exposer, qu’il soit tentant de ne pas faire la part des choses pour foncer sur lui, droit devant. Et en même temps, il me semblait impossible de confondre l’acteur et le rôle, tant j’ai fait de Chris un personnage sombre, duplice, irritable, imbu de lui-même, misanthrope, misogyne, imperméable au doute, toutes choses que Christophe n’est pas. Mon étonnement et ma joie, c’était qu’il accepte d’incarner un politologue dont il dit lui-même à quel point il est antipathique, sans scrupules, préoccupé de ses seuls clients et de sa seule réputation. Et qu’il accepte, pour une fois, de se laisser diriger, que je le maltraite comme il pouvait le prévoir, pour le faire passer du jeu théâtral de sa troupe trentenaire de l’Archicube, au jeu de cinéma. En ce qui concerne Benjamin Biolay, personne ne peut le soupçonner d’avoir été Strauss-Kahnien, même si son engagement de gauche est assumé. Pas de confusion possible. C’est par ailleurs un comédien qui a déjà participé à seize productions de cinéma, connaît tous ses rouages. Voilà donc deux acteurs prêts à jouer avec moi des codes, des apparences, et à s’amuser du tragi-comique de la situation entre 2006 et 2012, dans le cadre d’une fiction, avec une trame narrative serrée et des dialogues particulièrement longs et ardus. Les choix de Lara Guirao et de Suliane Brahim s’étaient imposés quand je les avais vues et entendues. Personne n’a d’ailleurs encore songé à me demander si Suliane avait couché avec Strauss-Kahn et si Lara était vraiment juive ! Les spectateurs des différentes salles, à la rencontre desquels nous sommes allés, perçoivent et disent bien que ce rebondissement de l’aveu par le personnage d’Albertine de son incartade avec le directeur du FMI de ces années est à la fois à la mesure de la bouffonnerie de l’époque et d’une certaine vraisemblance ironique : les révélations les plus inouïes et les plus salaces nous ont été servies depuis. Nul, d’ailleurs, à la mise en lumière de la liaison avec DSK de telle ou telle, célèbre ou inconnue, ne s’est étonné ou ne s’étonnerait encore. Le vrai sujet, c’est que pour certains, nous n’avons peut-être pas encore le droit d’en rire, que l’aveuglement était aussi probablement le leur, assez semblable au fond à celui de Paul, fanatique décillé à la toute fin.
Avec l’écharpe rouge, ne craigniez-vous pas de créer le trouble ? Je souhaitais créer ce trouble, car Doutes n’est pétri que de questionnements. Mais s’il existe un postulat dans le film, – en-dehors de celui qui consiste à combattre les cloisonnements bien français qui voudraient qu’on ne puisse mélanger les genres, les gens, qu’on refuse le droit de passer d’une vie à une autre comme cela se fait partout ailleurs, et le droit d’avoir plusieurs passions ou talents, ces cloisonnements qui obligent à toujours rechercher la pureté maximale, et à parquer les moutons avec les moutons, comme ça, ils seront bien gardés –, s’il existe un autre postulat donc, c’est que nous fonctionnons dans un monde de communication et d’apparences. L’ai-je trop souligné, pas assez ? Tous les jours, des inconnus m’expliquent le personnage avec lequel je vis. C’est l’effet de réalité et de proximité de la télé. Dès lors, j’ai eu envie de créer une distance (elle me semblait évidente), de poser des écrans multiples et variés, de faire des tours et des détours, des pas de côté. Mais je me suis finalement laissée prendre à mon jeu, puisqu’il suffisait à ceux qui ne voulaient pas rendre-compte de ce tour de passe-passe et comprendre ses implications, de tout simplement faire mine de l’ignorer, et de donner à croire que j’avais mis en scène Christophe Barbier pour assouvir son besoin égotique de surexposition. Ou donner à penser que Christophe Barbier avait « préposé sa femme » à la réalisation d’un film imaginé et écrit par lui, à sa propre gloire, sur le mode du biopic, entraînant à sa suite producteurs, techniciens, acteurs de talent, distributeurs. Ou encore laisser entendre que la réalisatrice ne savait pas bien ce qu’elle faisait, ou l’avait fait « à l’insu de son plein gré ». Oie blanche de 44 ans, perdrix de l’année. En somme : dinde absolue, ignorante de politique, de cinéma (je rajoute de communication) qui a voulu s’offrir un statut de réalisatrice à bon compte, en se réveillant un beau matin. On a donc prétendu plus tard : comique involontaire, masturbation intellectuelle, nombrilisme jusqu’à la scoliose. Entretemps, l’écharpe rouge qui me sort personnellement par les yeux, je m’en suis débarrassée, au moins de manière symbolique, dans les dernières images de Doutes, où elle s’enfonce dans la lagune vénitienne, avant que, de manière tellement prévisible, elle ne me revienne à la figure par la voie d’une critique de presse écrite, avide de règlements de comptes, avec ce sommet sous la plume d’un Monsieur de Cabarrus, chroniqueur politique de son état, qui déverse sa haine nauséabonde sur un autre chroniqueur politique, pour conclure qu’il n’ira pas voir le film. Il y a donc un écran que je n’avais pas élevé moi-même, celui de la détestation aveugle, que même l’exercice honnête de son métier par un prétendu journaliste, ne parvient pas à faire tomber. Plus de temps passé à cracher par écrit sur un film au travers de l’un de ses acteurs, que de temps passé à le voir et à en rendre compte pour éventuellement détailler ses résistances et son déplaisir face à l’objet de cinéma.
Cette fin semble terriblement pessimiste. Vous la vouliez vraiment comme cela ? Et pourquoi Venise ? Venise comme un faux happy-end pour moi, mais qui laisse au spectateur la possibilité de se faire son idée, de voir ce qu’il veut y projeter. Reportage de vacances, images fragiles et idylliques d’une possible rédemption sur un sol qui, en réalité, se dérobe sous vos pas. Venise comme cette république qui en quelques décennies s’est effondrée sous le poids de son confort et de son incapacité à voir le monde changer. Cette fin filmée m’a d’ailleurs paru beaucoup plus sombre que la fin écrite. Il suffit pour cela de s’arrêter sur le dernier regard de Judith qu’elle ne porte pas loin devant, vers la Giudecca, mais sur le côté, presque sur ses pieds et les pavés instables qui les soutiennent.
Ce sont tous des personnages publics, dans la parole. C’était un choix ? Je ne m’étais pas fait cette remarque des personnages publics. En revanche, il existait un enjeu de vraisemblance pour soutenir des dialogues aussi nourris sur la politique. Pourquoi l’intello parisien n’aurait-il d’ailleurs pas droit de cité comme l’intello new-yorkais, le cultureux de L.A. ? Encore quelque chose de bien français qui ne s’assumerait pas chez nous ? « Intello », c’est d’ailleurs devenu une insulte dans les cours d’école. Mettre en scène des intellectuels, ce serait donc méprisable et méprisant ? Il n’y a qu’une seule personne parmi celles que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous avons dialogué, – c’était à Vaucresson –, qui à la fois ne supporte pas qu’on décrive les ridicules de ce milieu parisien dans le film puis les souligne lors de nos discussions avec le public (je venais de rappeler comment je les avais voulus « puants » au début du film), et qui en même temps estime qu’ils s’écoutent trop parler. La salle lui rappelle que l’un des personnages, Albertine, tel Candide, le leur signifie justement. Que les trois caractères de Judith, Paul et Chris, s’écoutent parler, comme leur jeune amie le leur assène. Oui, ces personnages ne sont pas sympathiques d’emblée, ils sont rugueux, aigres. Ecrits et interprétés comme cela. Et la question, c’est d’essayer d’entrer dans cette altérité, de lever un rideau, de fouiller leur histoire quand elle veut bien se livrer. Naviguer entre le sentiment qu’ils donnent et une plongée dans leurs conflits intérieurs avec la lecture de leurs visages, gestes, regards, en plans serrés, et avec cet instrument de l’écoute. Parce que le langage est au cœur de Doutes, oui. La parole. Celle qui se dit, se contredit, celle qui se tient également, mais aussi celle qui cohabite avec les images au cinéma. Le discours politique s’est laissé envahir par les EDL (les fameux éléments de langage) au cours des 20 dernières années au point de se réduire à ces précis mis au point par des communicants. Plus un énoncé qui ne passe par leur moulinette, si bien que dans une même journée on peut entendre rigoureusement la même phrase prononcée par une trentaine de personnalités à qui elle a été transmise pour servir une « stratégie ». La parole, au sens de la promesse politique, se renie désormais d’un jour sur l’autre, offrant une bien pauvre exemplarité à nos engagements les plus quotidiens. Les circonstances ont toujours bon dos pour justifier les renoncements ou pire, ne pas les admettre comme tels. La parole me semble si désinvestie, qu’elle tend à se raréfier dans les films aussi. Avec Doutes, j’avais envie de poser cette question du langage devenu accessoire dans le cinéma, en prenant une nouvelle fois le contrepied, et en me souvenant de tous ces films dans notre tradition française, qui étaient des films de dialogues, qui appelaient leurs spectateurs au dialogue justement.
De ville en ville, de salle en salle, ces questions, ces réponses et bien d’autres : Avez-vous tourné en temps réel, entre 2006 et 2012 ? On pourrait faire le même film sur la droite. En avez-vous le projet ? Ferez-vous une suite ? Le désenchantement vous semble-t-il plus grand aujourd’hui ? Et puis toutes les questions proprement politiques posées à Christophe qui s’ajoutent à celles concernant son accord pour participer à ce projet.
Au fil des échanges, donc, une intranquillité dissipée et une parole enfin libérée. Je peux dire (sans trembler, sans bafouiller, sans trébucher sur les mots et les idées) ce que j’ai voulu faire et non plus seulement l’écrire dans ces Carnets de Doutes.
Un autre temps est advenu : celui où le film prend toute sa forme dans sa rencontre avec un public, celui où ce journal de bord, qui au fond ne parle que de rencontres, se termine.
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