Les artistes ont un univers, ils sont des bâtisseurs de monde: Nelson Goodman l’a montré et, récemment, Daniel Birnbaum, lors de la Biennale de Venise en 2009. “Making Worlds”: les enjeux d’une telle image du créateur comme démiurge est problématique, car elle pose la question du rapport au réel.

“Faire des mondes”: et le monde, celui où nous vivons, souffrons, jouissons, quelle est sa place? Est-il le concurrent de la production des artistes? Sa source? Sa prison? Autant d’interrogations auxquelles les théoriciens tentent d’apporter des réponses plus ou moins formelles -dont les artistes expérimentent en permanence la dialectique.

Or un exemple récent manifeste que les artistes ne sont pas simplement les producteurs d’autres mondes: qu’ils sont les détecteurs sensibles de ce qui peut, va, advenir. A Berlin, le weekend dernier, plus de cent cinquante galeries ont ouvert, présentant le portrait kaléidoscopique d’une brûlante créativité: cet événement, qui a vu défiler dans la capitale allemande tout ce qui compte dans le monde de l’art, c’est le Gallery Weekend.

Et chez Gregor Podnar, une oeuvre d’un jeune artiste israélien de moins de trente ans, Ariel Schlesinger: une voiture, avec à l’intérieur deux bonbonnes de gaz. Une voiture kamikaze. Ouverture de l’exposition: le 30 avril.

Le 2 mai, un attentat à la voiture piégée est déjoué à Times Square, New York. Par sa perception des dangers, par sa sensibilité aux mouvements du réel, l’artiste avait prévu ce qu’il allait pouvoir arriver, il en avait présenté une forme, comme une sublimation du sentiment de morts potentielles. Et il s’était partiellement trompé: non pas de l’essence, mais du gaz. Variation entre les réalités, décalage entre les mondes.

André Breton y aurait vu du hasard objectif. Croyons plutôt au talent de vision des véritables créateurs, détecteurs de l’insolite, de l’esthétique, sous toutes leurs formes.