Sept ans après sa mort, l’écrivain israélien Amos Oz, qui fut l’un des inspirateurs des accords d’Oslo puis de Genève entre Israéliens et Palestiniens de 1995 et 2003, ne s’éteint pas. Gallimard a eu l’heureuse idée de publier trois conférences d’Amos Oz de janvier 2002 en Allemagne, réunies sous le titre de Comment guérir un fanatique.

Après la déroute du Hamas à Gaza, revient plus que jamais sur le devant de la scène la question de la reconnaissance mutuelle de deux États souverains. Loin de tout irénisme, Amos Oz avait fait sien le concept de paix froide entre les belligérants que leur destin commun de peuples sans terre n’avait pas rapproché – l’un rescapé de la Shoah, le second victime d’une dépossession sans retour, mais tous deux plus que légitimes au regard de l’Histoire d’un droit égal à l’existence.

Il convenait, à la différence du passé, de ne plus mettre la charrue avant les bœufs chez les partisans de La paix maintenant. Celle-ci serait acquise non plus au terme d’une hypothétique fraternisation des cœurs et des esprits entre Israéliens et Palestiniens, mais au prix, hic et nunc, de douloureux renoncements de part et d’autre. Ce Comment guérir un fanatique posthume remet à l’honneur la quête, aujourd’hui comme hier, d’un compromis.

Où en est l’espoir de paix, qui fut le grand motto d’Amos Oz, son beau combat, alors que les conditions politiques semblent moins réunies que jamais ? Le traumatisme du 7 octobre chez les Israéliens l’emporte sur tout. La cause palestinienne soutenue par les rares partisans de la paix en Israël est, pour l’heure, quasiment-inaudible. L’opinion israélienne ne saurait accepter la perspective qu’un État palestinien recycle les débris du Hamas repliés en Cisjordanie, qu’ils s’imposent, comme jadis à Gaza, à une OLP corrompue et tenue par les Palestiniens pour vassale d’Israël. Les partis religieux à la Knesset redoublent dans leur rejet d’un État palestinien. Les colons israéliens en Cisjordanie rêvent plus que jamais d’une Judée-Samarie biblique. Au « Le Hamas à Ramallah, jamais ! » des Israéliens, répond en écho « Israël génocidaire ! » des Palestiniens et de leurs soutiens à l’étranger, où l’antisémitisme repart de plus belle. Telle est la situation : la paix, d’un côté comme de l’autre, semble une cause perdue. Excepté pour avoir libéré Israël d’un danger existentiel et affranchi les Gazaouis d’un parrain qui les mena en enfer, la défaite du Hamas n’a rien réglé.

Pendant ce temps, la situation en Cisjordanie se dégrade chaque jour un peu plus ; plus d’un millier de morts palestiniens en deux ans, plus d’une cinquantaine chez les colons des implantations, illégales au regard des lois internationales. L’huile est partout sur le feu.

Alors Amos Oz aujourd’hui, tandis qu’Israéliens et Palestiniens se renvoient dos à dos le pogrom du 7 octobre et le « génocide » à Gaza : un doux rêveur ? une belle âme dépassée ? Pas du tout.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un fanatique, aux yeux d’Amos Oz ? C’est paradoxalement quelqu’un d’altruiste qui pense plus à vous qu’à lui-même, qui vous veut du bien, entend vous changer, vous ouvrir, vous faire partager ses révélations eschatologiques, vous racheter, sauver nos âmes. Quitte à vous occire si vous vous montrez rebelle à ses vues. Bref, « Ben Laden vous aime. » Amos Oz pousse le paradoxe assez loin.

Politiquement, Amos Oz dénie tout caractère religieux au conflit israélo-palestinien, qualifié de différend territorial, de « simple conflit immobilier » quant au « véritable propriétaire de la maison », mais conflit d’autant plus tragique qu’il oppose le bien au bien, qu’il nourrit deux revendications puissantes, profondes, humaines, aussi justes l’une que l’autre. 

Comment lutter, en même temps que s’immuniser soi-même contre le fanatisme, ce virus revanchard des mal-aimés, souvent contracté dès l’enfance, en famille ? Le remède, là, est d’abord à usage individuel : se prémunir par l’humour, la dérision, l’auto-dérision, la lecture de Shakespeare, Gogol, Kafka, Faulkner, l’aptitude à se mettre à la place de l’autre, et même, si nécessaire, trahir ceux qu’on aime. En politique, Amos Oz se fait l’avocat passionné du compromis, même si, dit-il, il n’en est jamais de bons. N’aurait-il pas bonne presse, le compromis est le contraire de l’idéalisme comme du fanatisme, ces deux ennemis quelque peu cousins. Car le contraire du compromis, c’est la mort.

Amos Oz, s’il revenait parmi nous, serait-il désespéré par la situation au Proche-Orient ? Aurait-il le sentiment d’avoir labouré la mer sa vie durant ? On ne saurait le dire. Mais ce petit écrit d’outre-tombe fait figure, pour nous les vivants, de lueur dans la nuit.

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