Les frappes qui s’abattent quotidiennement sur Kryvyï Rig, Kharkiv ou, dernièrement, Soumy, ne répondent à aucun objectif militaire identifiable.
C’est un fait, vérifiable, cartographiable, mesurable. Des immeubles résidentiels, des aires de jeux, des écoles, des maternités, des infrastructures sans valeur stratégique sont les cibles récurrentes de missiles de croisière, de drones suicides et de bombes planantes. Ce que nous observons est un mode opératoire russe stable, cohérent, revendiqué implicitement, par l’effet de terreur qu’il entend instiller dans les esprits ukrainiens.
Kryvyï Rig est une ville industrielle du centre de l’Ukraine. Elle ne jouxte aucune ligne de front, elle n’est pas davantage un nœud logistique essentiel. Mais c’est la ville natale de Volodymyr Zelensky. C’est à ce titre, et à ce titre seulement, qu’elle est méthodiquement frappée. Les images des cratères dans les écoles maternelles ou des corps d’enfants arrachés à la vie sous les balançoires des cours d’immeubles sont autant de messages adressés à un homme : « On sait d’où tu viens. Et on va détruire tes racines. »
Kharkiv, deuxième ville du pays, incarne une autre logique. Elle est le verrou de l’est ukrainien, l’ultime bastion d’une Ukraine libre à portée de main de la frontière et des rêves de l’ennemi. Résistante depuis 2014, elle a tenu bon en 2022, repoussant un assaut russe précédé d’un bombardement d’artillerie massif sur les quartiers nord. La population n’a pas fui ; les Russes ont reculé de 40 kilomètres. Faute de pouvoir la prendre, la Russie cherche à l’éteindre. Nuit après nuit, la population est ciblée pour ce qu’elle est : pas une armée, mais une simple population, des civils. Des gens. A l’instar de Kyiv, elle est devenue un exemple de résilience collective pour toute l’Ukraine et le monde extérieur. Ici aussi, la finalité est claire : briser la volonté des habitants.
Le refus de se soumettre, de laisser le sort de la ville aux seuls militaires, le choix de résister ensemble, population et armée ukrainienne, Kharkiv le paie au prix fort. L’horreur tourne en boucle au-dessus des têtes pour provoquer la fatigue morale, le désespoir, le renoncement, l’exode. Tel est le prix du refus.
Et puis, il y eut Soumy. Le dimanche des Rameaux, alors que les familles se rendaient à l’église, la Russie a frappé par trois missiles balistiques Iskander. Ils ne visaient pas une base militaire, non. Ils visaient une rue, des maisons, des voitures. Des gens, là encore.
Le bilan des pertes humaines est glaçant : 34 morts, dont deux enfants, plus d’une centaine de blessés, dont plusieurs enfants. Une violence sèche, gratuite, ciblant délibérément les habitants.
Volodymyr Zelensky a résumé la scène en une phrase : « Seul un salaud peut faire ça. »
Ce n’est pas une bavure, comme prétendent certains, de l’autre côté de l’Atlantique.
Ce n’est pas un dommage collatéral. C’est une méthode, une signature.
Et c’est dans ce contexte meurtrier que Vladimir Poutine a proposé, toute honte bue, une « trêve de Pâques » surprise, censée suspendre les hostilités quelques heures. Trente, pas une de plus. Les Ukrainiens avaient quelque temps auparavant accepté un cessez-le-feu, inconditionnel et complet. Refusé par les Russes.
Une initiative aussi cynique que sournoise, à peine croyable pour les habitants des villes et villages ukrainiens martyrisés, qui, ce même jour, ont encore passé leur nuit dans les abris.
Comment interpréter cette trêve ? La réponse est limpide : il ne s’agit pas d’un geste de paix, mais d’un simulacre de bonne volonté destiné à brouiller les repères, à semer le doute, à nourrir une fiction diplomatique et à mieux se préparer pour continuer les massacres des Ukrainiens.
Cette « trêve » dissimule. Elle joue sur un double (triple ?) registre. La guerre psychologique, d’abord. La propagande ensuite. Car pendant que Moscou invoque la paix des cloches orthodoxes, ses propagandistes se préparent à accuser Kyiv d’avoir rompu ce cessez-le-feu, qui n’est qu’une coquille vide. La trêve de Pâques de Poutine n’est pas une main tendue. C’est une arme de plus.
Volodymyr Zelensky, dans une analyse lucide, a résumé la situation : « Il est désormais évident qui est, depuis le début, la véritable source de cette guerre. »
Seul Vladimir Poutine, affirme-t-il, a le pouvoir d’en diminuer l’intensité, de freiner les frappes, de suspendre les meurtres. Et lorsqu’il le décide, temporairement, la violence recule. Ce constat implacable désigne sans ambiguïté le Kremlin comme l’unique instigateur de la guerre et de sa prolongation. Le président ukrainien a par ailleurs indiqué que les actions de l’Ukraine seraient « symétriques ». Un message clair : la paix ne peut pas être unilatérale.
Mais même lorsque Moscou suspend temporairement ses frappes meurtrières, elle poursuit son objectif fondamental : faire souffrir. En feignant la retenue, elle installe une autre forme de violence, plus insidieuse, plus psychologique. L’attente d’un tir, la peur d’un missile, la méfiance constante face à un ennemi qui n’a jamais tenu sa parole. Voilà ce qu’en réalité le Kremlin impose aux Ukrainiens. La menace plane, opaque, traîtresse, toujours possible, toujours imminente. Chaque minute de calme est empoisonnée par l’angoisse du coup mortel, sur le Front et ailleurs, partout en Ukraine.
Mais sa partie-surprise n’est pas gagnée. Poutine pensait avoir « surpassé » tout le monde avec son offre d’une « trêve » de 30 heures. Il espérait faire la une des médias internationaux en tant qu’artisan de la paix, puis, comme d’habitude, accuser la méchante Ukraine de « rompre la paix ».
Tout ce scénario est, bien sûr, destiné à un seul spectateur, le crédule Trump et sa cour d’incompétents.
Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu : l’Ukraine a proposé immédiatement de prolonger le cessez-le-feu de trente jours, si le silence des armes fonctionnait. « Cela montrera les véritables intentions de la Russie, car 30 heures suffisent pour faire les gros titres, mais pas pour de véritables mesures de confiance » déclare Volodymyr Zelensky.
Désormais, ce n’est plus l’Ukraine, mais Poutine, en cas de refus de sa part, qui devrait finalement apparaître aux yeux de Trump comme le seul obstacle à la fin de la guerre.
Les négociations n’ont jamais arrêté un missile. Elles n’ont jamais empêché un massacre. Sans pression, il n’y aura pas de paix. Sans sanctions, sans armes, sans volonté, il n’y aura que des tombes.
Le 21 avril, si ce n’est avant, la Russie reprendra sa routine destructrice.
Il est temps d’assumer pleinement ce que la réalité impose : tant que Moscou continuera à bombarder Kryvyï Rig, Kharkiv ou Soumy, elle restera un danger systémique. Un État criminel dont les crimes, s’ils demeurent impunis, réécriront les règles du monde à venir.
Ce qui se joue en Ukraine n’est pas seulement une guerre. C’est une question de civilisation.
Nous avons le devoir de la sauver.