Le monde médusé, tétanisé, presque mutique : voilà le premier effet des premières mesures de la seconde mandature Trump. Et pourtant… Quoi que l’on pense du wokisme, du défi migratoire ou de la menace islamiste, comment ne pas être frappé par le vent de folie destructrice qui souffle, ces jours-ci, sur le pays de George Washington, de John Kennedy et de Ronald Reagan ?

Destruction de quelques-uns des piliers qui tiennent l’économie mondiale. Ou menace, plus exactement, pour quelques-uns des principes (libre-échange, doux commerce cher à Montesquieu…) qui ont fait l’esprit et l’éthique du capitalisme américain. Une Amérique hérissant le monde de tariffs serait-elle toujours l’Amérique ? Le douanier sera-t-il la figure ultime de cette grande aventure humaine qui a, quoi qu’on en dise, puissamment contribué à la prospérité du monde ? Et depuis quand la richesse des nations serait-elle ce stock fini de biens qu’a décrit, une fois, Donald Trump et qu’il faudrait se disputer, tel un trésor, dans une guerre de tous contre tous où il n’y aurait, par définition, qu’un gagnant ? Je ne suis pas un inconditionnel de la « main invisible » d’Adam Smith. Mais j’aime encore moins le coup de poing américain des Proud Boys soutenus par Donald Trump. L’économie mondiale est un équilibre fragile, terriblement instable, où tout ne tient que « par magie », disait un théoricien, Milton Friedman, que les conseillers du nouveau président auraient été bien inspirés de relire avant d’agir. C’est cette magie que la vulgarité trumpiste met, aujourd’hui, en péril.

Destruction, ensuite, de l’alliance occidentale. Les États-Unis ont de vrais ennemis qui sont, aussi, ceux de l’Occident et qui, comme la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie d’Erdogan ou les puissances islamo-fascistes, ont déclaré une guerre implacable aux partisans, partout, de la liberté et du droit. Pourquoi, dans cette guerre qui est, pour le coup, une vraie guerre, s’en prendre d’abord au Mexique allié ? Au sage Canada qui parle, dans sa majorité, la même langue et semble, sous tant d’aspects, le petit frère des États-Unis ? Et fallait-il, dans l’affaire du Groenland, parler au fidèle ami danois comme on parle à ses ennemis ? Distinguer entre l’ami et l’ennemi, tel est le principe du politique selon un autre théoricien, Carl Schmitt, dont ne savent visiblement rien les commentateurs de Fox News propulsés à la tête du Pentagone. Arrive, en Ukraine, l’heure de vérité. C’est-à-dire le moment où il faudra choisir entre deux hommes qui portent, à quelques lettres près, le même prénom mais dont l’un, Zelensky, défend l’Europe tandis que l’autre, Poutine, entend la détruire. Donald Trump prendra-t-il fraternellement parti pour le premier ? Ou lancera-t-il au second ce qu’il disait, lors de son premier mandat, de Kim Jong-un : « We fell in love », nous sommes tombés amoureux ?

Car il y a, enfin, la question de cet humanisme qui est l’âme de l’Occident et dont Voltaire disait qu’il a vocation à s’étendre « depuis Siam jusqu’à la Californie ». Il y avait de la noblesse dans ce projet. Il y a de la grandeur à rêver d’une politique morale, capable de transcender les frontières, de dépasser les égoïsmes nationaux et de se souvenir que les États-Unis doivent à la France de La Fayette et de Marivaux un peu de leur indépendance. Pour M. Trump, seuls comptent la brutalité, la force et les rapports de forces du moment. Pour M. Trump, les hommes sont des grands nombres dont on peut programmer le déplacement ou le nettoyage. Pour M. Trump, le tissu d’organisations qui portent sous toutes les latitudes et, parfois, sous la botte des tyrans le projet philanthropique américain né avec Benjamin Franklin et les autres pères fondateurs doit être moqué (« humanitaire »), diffamé (tous des « fous extrémistes »), voire déchiré d’un trait de plume rageur et fou (le gel, ce 3 février, des 42 milliards de programmes de l’Usaid dont dépend la survie de millions d’êtres humains) : que certaines de ces ONG aient honteusement détourné leur vocation, c’est possible ; mais les mettre toutes dans le même sac, les confondre dans le même opprobre, est une honte plus grande encore.

Peut-être restera-t-il à l’actif du nouveau président un soutien résolu à Israël. Et je serais, si tel était le cas, le premier à m’en réjouir. Mais qui peut jurer d’une conception du monde plaçant l’« art du deal » plus haut que tout ? Qui dit que la grande alliance promise résisterait à un accord pétrolier géant, profitable à l’America First et négocié avec telle ou telle dictature hostile au « sionisme » ? Et est-on bien certain que Jérusalem n’ait pas été déjà forcé de s’entendre avec un Hamas qui, dans la nuit indistincte qu’est l’humanité selon Trump, ne vaut pas tellement moins qu’un interlocuteur civilisé à venir ? Israël est une terre. Mais c’est aussi une idée. Et l’on ne défend bien la première que si l’on connaît et partage un peu de la seconde. Je ne suis pas sûr que cela soit possible quand on a fait de la destruction sa Béatrice. Ni que l’Ahavat Israël, l’amour d’Israël, ait sa place dans une politique qui se veut le stade suprême du nihilisme.

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