On songe à Dante précipitant ses damnés dans un enfer brûlant.
Au volcan d’Empédocle qui est, chez Hölderlin, l’image d’un monde en éruption et allant vers sa fin.
À James Joyce faisant errer son héros dans un dédale de flammes, de fumées toxiques, d’âmes perdues.
On songe, puisqu’il s’agit du lieu du monde où tout commence en images et s’achève en réalité, aux films catastrophe qu’a produits Hollywood et qui ont scénarisé, par avance, la tragédie en cours.
On songe à Pompéi ensevelie par un déluge de lave.
À Jéricho, Hazor ou Sodome réduites à des étangs de feu.
À la bibliothèque d’Alexandrie dont les flammes gigantesques, incontrôlables, dévorantes, marquaient, selon Diderot, l’entrée dans les âges sombres.
On songe, près de nous, à l’incendie de Notre-Dame où c’est le cœur battant de la France qui, à un gradient près de l’engrenage du destin, manqua s’écrouler entièrement avec son empilement de siècles et de beautés.
En réalité, c’est tout cela en pire.
La ville embrasée est la capitale, Los Angeles, de cet État dans les États-Unis qu’est la Californie.
C’est le point où, à la faveur de l’ultime bascule occidentale qui a recentré le pays autour de la Silicon Valley et des campus du Pacifique, un rêve d’été perpétuel a magnétisé l’aventure nationale des États-Unis.
Ce qui est carbonisé ce sont, non seulement des milliers d’hectares de terre et de bitume, des centaines de milliers d’existences dont les humbles trésors sont réduits à l’état de cendres, des milliards de dollars de richesse et de puissance, des vies chimériques de stars, tycoons et autres icônes, mais aussi les hauts lieux de la pastorale américaine, donc mondiale.
Sans parler du musée Getty, ce temple de l’art et de son universelle mémoire, qui est assiégé dans Pacific Palisades et qui pourrait, à son tour, se voir immolé par le feu.
Alors les esprits religieux – et ils sont légion au royaume du néo-évangélisme ! – voient dans ce désastre un signe et une punition.
Quand ils sont radicalement écolos, ils incriminent le big business, responsable du dérèglement climatique, de la végétation devenue folle et semblable à une étoupe, de la croissance urbaine sans limite, du manque d’eau.
Quand ils sont trumpistes, ils s’en prennent aux méchants wokistes et à la symétrique démesure qui les a conduits, pour sauver les éperlans des rivières, à vider les réserves stratégiques des pompiers.
Dans les deux cas, il y a un diable qui tient les fils qui remuent cette géhenne.
Et la tempête de feu est structurée comme une parole qui, pour assourdissante qu’elle soit, laisse passer quelques mots à l’adresse de cette double et symétrique hubris : « souvenez-vous, ô fanatiques d’un rêve américain dont le principe demeure, à gauche autant qu’à droite, la destruction créatrice, c’est-à-dire, à la fin des fins, l’apocalypse joyeuse, chères à Joseph Schumpeter, votre oracle – souvenez-vous que la terre est fragile, que la présence des hommes y tient à un fil et que le monde leur est alloué à condition de ne pas oublier qu’il existe des forces plus grandes qu’eux et qu’il convient de l’habiter avec l’humilité prêchée par Sénèque après le premier incendie d’Alexandrie ».
Mais faut-il faire parler ainsi les éléments ? et les choses ne sont-elles pas plus prosaïques et humaines que cela ?
Je pense à la stupeur de Sartre, lors de son premier voyage, face à ces villes précaires, vite construites et vite quittées, près d’un bassin minier ou d’une mine d’or, promises à un destin de ghost town.
Je m’entends m’écrier, dans American Vertigo, face au spectacle de désolation que présentaient Buffalo et les autres villes des Grands Lacs devenues des Babylone désertées et lunaires, agonisant sous le poids de leurs jeunes ruines : « on achève bien les grandes villes ».
Je relis ce que je disais de telle ville de Floride que l’on avait, après le passage d’un énième ouragan, reconstruite à l’identique, avec les mêmes préfabriqués, parfois les mêmes chariots, posés en plein champ, bricolés, et que rien ne retiendrait de s’envoler encore, dans le même souffle d’apocalypse, quand arriverait le prochain Lili, Isidore ou Allison.
Ou, enfin, Los Angeles, cette ville mal construite, mal irriguée, coincée entre le mur du Pacifique et les monts Santa Monica, noyée dans ce mélange de smoke et de fog, de fumée et de brouillard, qu’on appelait le smog et qui en faisait déjà, contrairement à la légende, l’une des villes les plus polluées des États-Unis – je repense, oui, à cette « antiville » où chacun vivait, avec un mélange de fatalisme et de terreur, dans l’attente d’un Big One dont on ne savait pas s’il se présenterait dans sa version sismique ou incendiaire, mais dont nul ne doutait qu’il adviendrait : « une ville ainsi construite est une ville, écrivais-je, dont on ne peut, hélas, que prédire la mort prochaine ».
Nous y sommes presque. Et ce qui se joue ici, par-delà les procès en sorcellerie, c’est toute la mystérieuse histoire, amour et désamour mêlés, des Américains et de leurs villes.
Le devoir de secours entre le Klal Israël et toute vie juive qui aurait fait l’objet d’une menace d’anéantissement est certes une constante de la pensée juive ; associé à la libération de deux cents rejetons d’‘Amaléq impatients de bondir sur leurs proies privilégiées, cette mitsva que nul ne songerait à remettre en question reste-t-elle applicable ? sans doute, mais au-delà du bonheur incommensurable qu’offre à un peuple otage la possibilité de récupérer vivants quatre de ses membres ayant été sauvagement, interminablement et jouissivement lobotomisés en vain par une (bande) de (sadique)s du Bas-Fond, qu’y aurait-il eu de prophétique dans le message d’alerte que Iona serait allé apporter à Ninevé si celui-ci n’avait fait que participer, non du salut évolutionnaire d’un peuple hostile, mais de sa régression à l’état de barbarie ?
L’ennemi est là, nu comme un ver dans le fruit des fendus jusqu’aux ouïes, exhib comme peuvent l’être les porte-étendards d’un islam politique, expansionniste, doublement pléonastique.
L’islamisme dégouline d’ignoblesse et de bons sentiments ; il se répand, il se tartine telle la nouvelle idéologie du pauvre portée par des élus de gauche qui, bien qu’ils ne fussent pas nécessairement musulmans, ont sauté à pieds joints dans le vide sidéral d’une Alternationale des oppresseurs opprimés. Siégeant aux parlements européens, déboussolant, déviant et déréalisant, de polémique en polémique, les foyers historiques ou antipodiques d’un creuset culturel dont la cohésion repose sur les racines judéo-grecques selon l’acception lévinassienne du terme, de la civilisation occidentale. Un ennemi performant, qui n’aura pas tardé à retourner contre l’empire du Sens l’arme létale de sa hautaine performativité.
Rassurons-nous : pour cette menace n° 1 que l’on prend soin de rabaisser au niveau vaporeux d’un terrorisme d’atmosphère, il n’est pas envisagé de réaliser un génocide culturel (faux concept) de six milliards de kouffars. L’Oumma sait ne pas être en capacité d’islamiser de fond en comble les poreuses démocraties européennes, j’entends par là la chrétienté en tant qu’espace-temps civilisationnel, fût-elle en voie de délitement. Ce que vise, en revanche, la pseudo-Troisième Internationale islamiste, c’est la contre-colonisation du démanteleur autodémantelé. Mais c’est aussi, pour ce qui concerne quelques terres de conquête inédites, la colonisation dans sa forme la plus pure, ce qui n’est pas fait pour impressionner un impérialisme qui, chez l’adepte du millénarisme mahométique, est un primat originel.
Autre revers de l’anticolonialisme, la poutinisation des esprits chagrins ; une question faucilleuse qui, par conséquent, mérite un martèlement supplémentaire. La Russie ne projette pas le génocide de l’Ukraine, mais sa russification ; ceci devrait suffire à nous tirer des sueurs froides, d’autant que cela n’est pas tout à fait exact ; car on ne russifie pas des Russes, or c’est ainsi que la Russie appréhende l’identité de ceux-là mêmes qu’elle nomme Petits-Russiens. La Russie est convaincue de la russité des Ukrainiens et ne désespère pas de les persuader que l’actuel leadership de la Petite Rus’ a été noyauté par ces nazis revenant de l’Ouest qui dénaturent le corps et l’âme de leur nation, laquelle province d’Empire ne serait soluble que dans la panrussité d’un État fédéral, vouée en somme à l’irrédentisme russe.
Irions-nous jusqu’à dire que le délire génocidaire est absent de l’imaginaire poutinien ? Ce serait oublier la menace de vitrification d’un territoire de la taille de la France agitée par le trouillomètre à zéro du Kremlin face aux rodomontades tardives d’une OTAN prise de vitesse. Dans les mois ivres morts qui allaient suivre l’agression du 24 février 2022, la désignation récurrente de Londres, Paris ou Berlin en tant que cibles de Satan 2, retentirait comme une sorte de mantra suicidaire de la part du conducteur fou de la Russie aux freins sectionnés : un chantage à l’autogénocide par procuration, — très peu pour Nous.
Les théoriciens de l’America First étaient hostiles à une entrée des États-Unis dans un conflit extracontinental auquel ils ne couperaient pas et dont l’issue, presque fatale à ses auteurs, bombarderait leur puissance émergente au premier rang mondial. Trump n’est pas sans savoir que l’art de vivre américain qu’il tient à préserver — promesse électorale, de surcroît — dépend pour une part essentielle de la capacité de son hyperpuissance à se maintenir au premier rang mondial. Avec le retour des anciennes républiques socialistes soviétiques dans leur giron en érection, il est fort à craindre que son fameux slogan Make America Great Again n’achève sa course crépusculaire dans un Wild West Show à la Buffalo Bill.
Dieu merci, la perspective lugubre de notre disparition en tant que vecteur de liberté, de justice et de paix, j’entends par là l’extinction programmée de notre esprit, celui de nos peuples comme celui de nos lois ou de l’idéal humaniste et universaliste dont il appartient à chacun d’entre nous de raviver la flamme, ne saurait demeurer très longtemps une option.
Je vous lis toujours, Bernard-Henri Lévy, avec intérêt, voire avec admiration. Cette fois, je me demande comment aurait réagi à vos propos Michael Löwy, l’auteur du récent ouvrage intitulé ‘Etincelles écosocialistes'(Ed. Amsterdam). Los Angeles me semble éminemment représentative de ce que l’humanité prométhéenne a pu faire de plus démesuré et de plus suicidaire à certains égards. Et j’aurais aimé entendre aussi l’avis de Dominique Bourg, auteur quant à lui de ‘Dévastation’ (PUF).
Profonde tristesse pour cette ville, cette région parmi les plus actives et prospères du monde, pour sa population si profondément touchée par une catastrophe d’ampleur apocalyptique, d’un gigantesque déchainement climato-cosmique.
On peut y voir la matérialisation de la neuvième thèse de Walter Benjamin sur le concept de l’histoire, rédigée en 1940 peu avant sa mort, et dite de l’Angelus Novus. On dirait aujourd’hui que celui-ci regarde avec effroi, en s’éloignant, Los Angeles en flammes.
La critique benjaminienne de l’idéologie du progrès est d’une réalité brulante pour sa cruauté et prémonitoire de ce qu’attend l’humanité dans le 3ᵉ millénaire.
La thèse du tout progrès technologique et industriel, aujourd’hui exponentiels, dénonce le catastrophisme environnemental à l’ère de l’anthropocène.
La sorcellerie et les sacrifices humains qu’elle a générés ont accompagné le cheminement de l’humanité pour prévenir et calmer le déferlement des catastrophes naturelles.
L’enquête sur la disparition de puissants empires, la disparition soudaine d’entières civilisations doit être l’occasion d’une réflexion sur des phénomènes climatiques endogènes et cycliques que notre progrès anticipe et accélère.
L’Amérique attendait un Messie pour prévenir, conjurer et mieux protéger sa population des catastrophes qui se succèdent une après l’autre. Les premières réponses ont été la sortie de l’Accord de Paris et l’émission milliardaire de crypto-monnaies.
La disparition mystérieuse de la civilisation minoenne, les Mayas, ou la chute de l’Empire romain sont les conséquences de profonds changements climatiques, guidés par El Niño (une théorie tout à fait possible).
L’Empire des Khmers dominait la péninsule indochinoise entre 802 et 1430. Les vestiges des majestueux temples, dont le célèbre d’Angkor, sont les signes de leur puissance. Leur disparition par auto-destruction est avancée à cause de la déforestation et de la rupture du cycle naturel des moussons.
Les Assyriens formaient l’un des principaux empires du Proche-Orient entre le IXe et le VIIe siècle avant J.-C. Ils furent riches et puissants. Une étude de 2019 avance la théorie que leur chute fut provoquée par une sécheresse persistante de 60 ans, qui aurait affaibli l’empire et détruit l’agriculture entièrement dépendante des précipitations. L’effet de El Niño est une hypothèse possible.
La légèreté de la décision du nouveau président des États-Unis aura des graves conséquences pour son pays et l’humanité entière.
Moi ça m’a fait penser à Gaza.