« Not all men », disent certains en réaction aux mouvements féministes. Mais le procès Mazan, accablant dans son dévoilement de la banalité du mal, vient nous rappeler que si, « all men ». Voici pourquoi.
Les accusés de Mazan sont 51. D’après le travail réalisé par la journaliste Anna Margueritat, 35 d’entre eux sont pères de famille, 22 en couple, 9 sont mariés ou fiancés. 49 d’entre eux sont accusés de viol aggravé, 1 de tentative de viol aggravé, 1 d’agression sexuelle aggravée, 5 de détention d’images pédopornographiques.
Ce ne sont pas des monstres. Ils sont des hommes sans histoire, des gens lambda, des personnes souvent appréciées de leur famille et de leurs proches. Dans leurs témoignages, qu’ont admirablement retranscrits sur les réseaux sociaux les journalistes Cécile Ollivier et Marion Dubreuil, tous disent peu ou prou la même chose. Ils ont été manipulés par Dominique Pelicot, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, ils ne sont pas des « violeurs ». Et pourtant, ils sont accusés de viol.
Notre imaginaire collectif est pollué par une image. Celle du monstre qui agresse dans une ruelle sombre. Pour l’extrême droite (qu’on a bien peu entendue au sujet de Mazan), cette image s’accompagne d’un profil type, l’étranger « OQTF » qui est par nature violent et violeur. Ça, ce sont les fantasmes que notre société a construits. Mais la réalité est tout autre. 80 % des agressions sexuelles sont le fait des proches des victimes. Quasiment toutes les agressions ont un point commun : elles sont commises par des hommes. C’est par là qu’il faut commencer.
La philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie a expliqué que le procès Mazan était le grand procès de la masculinité. Qu’est-ce qui rend possible le calvaire de Gisèle Pelicot et les milliers de violences sexistes et sexuelles par an ? La culture du viol. Le masculinisme. L’imaginaire viriliste. La domination masculine.
Le réflexe « not all men » a quelque chose de suspect. Comme s’il fallait immédiatement se laver de tout soupçon, comme si le premier réflexe, face aux victimes, était de rappeler qu’on n’avait soi-même rien à se reprocher.
Oui, les tortionnaires de Gisèle Pelicot sont des hommes normaux. Tristement normaux. L’un d’entre eux rencontre Gisèle Pelicot lors d’un échange cordial dans la rue. D’autres vivent leur vie paisiblement, traversent les épreuves que chaque homme sur cette terre traverse, ont des amis, des proches, etc. Le procès Pelicot n’est pas un procès hors norme : c’est le procès de la banalité du viol.
« All men » : cela ne signifie pas que tous les hommes sont des agresseurs. Cela signifie que tous les agresseurs, ou presque, sont des hommes et que ce n’est pas un hasard. « All men » signifie qu’il y a un sexisme qui fait système, qu’il y a un continuum entre le comportement sexiste et le viol, que notre société patriarcale inculque aux garçons l’idée que le corps de la femme est à leur disposition.
« All men » signifie que quasiment toutes les femmes ont vécu des situations de sexisme dans leur vie. Qu’aujourd’hui les femmes sont moins bien payées que les hommes à emploi égal. Qu’une femme sur trois est victime de violences masculines dans le monde. Qu’on continue encore, en 2024, à mettre en doute la parole de femmes victimes de violences.
« All men », ça signifie aussi que tous les hommes doivent faire leur examen de conscience. Déconstruire tous les biais sexistes qui sont ancrés en eux depuis leur naissance. Se questionner sur leur manière d’être des hommes.
Camille Froidevaux-Metterie rappelait que beaucoup d’hommes avaient vu passer l’annonce de Dominique Pelicot et que même s’ils n’y ont pas répondu, ils ne l’ont pas signalée. Personne n’a signalé cette annonce, pourtant explicite dans ses termes, à qui que ce soit. Aucun homme. C’est bien le signe que c’est un système entier qui est en cause, et pas un cas particulier qui serait celui de Dominique Pelicot et de ses monstrueux acolytes.
Or le « not all men » nous dit le contraire. Il nous dit que le problème du sexisme et des violences masculines est un problème individuel, un problème qui serait le fait de quelques hommes aux intentions mauvaises et qui ne concernerait que ceux-là. « Not all men » est une manière de dire aux mouvements féministes qu’elles font fausse route depuis des décennies. Que le système patriarcal n’existe pas ou plus. Qu’il n’y a pas de sexisme structurel. C’est une manière de congédier toutes les luttes féministes d’un revers de main, et de revenir soixante-dix ans en arrière, peut-être même plus.
Pour une fois, c’est à nous, autres hommes, de nous taire, et d’écouter. D’écouter celles qui alertent courageusement contre une société patriarcale qui ne veut pas mourir, comme en témoigne l’inquiétant retour du masculinisme sur les réseaux sociaux. D’écouter Gisèle Pelicot quand elle explique que la honte doit changer de camp. Taisons-nous, écoutons les militantes et les victimes et trouvons les moyens d’amplifier leurs voix plutôt que de les nier.