À qui appartiennent les femmes ? Aux pères, aux frères, aux maris, à tous les mâles. Parce que les femmes ne sont pas des personnes. Ce sont des choses. Elles n’ont ni libertés ni droits ni autonomie. En tant que choses, elles se possèdent, se transmettent, se consomment. On peut les utiliser, les prêter, les louer, les abîmer, les détruire sans qu’il n’y ait ni délit ni crime.
Voilà, brutalement formulé, ce qu’il y a encore dans le tréfonds de la tête des mecs, dans les oubliettes mentales des brutes dominatrices, dont la bite paralyse le cerveau. Il faut le dire ainsi, car c’est bête et vulgaire. Barbare, rudimentaire, bestial, non élaboré. Mais actif, agissant, sous mille formes, tous les jours et partout, depuis des siècles et des millénaires. Pour que les femmes soient des propriétés, il faut nécessairement qu’elles soient pensées comme des choses. Réciproquement : elles ne sont appropriables que parce qu’elles sont conçues comme objets, corps inertes – pas individus libres.
À mes yeux, ce qui rend cette affaire marquante entre toutes, c’est de rappeler violemment cette insondable banalité. Certes, la perversion est hors normes, le sordide extrême, les circonstances exceptionnelles, mais l’ensemble donne à voir une vérité ancienne et permanente : l’appropriation du corps des femmes, la négation de leur désir, l’annulation de leur parole et de leur liberté.
Parce que sa femme était sa chose, M. Pelicot pouvait la faire utiliser par d’autres mâles, selon son bon vouloir et le leur. Mme Pelicot était nécessairement consentante, puisque Monsieur l’affirmait, soutiennent certains violeurs. Cela n’a que peu d’importance, puisqu’une chose ne dit rien, ne veut rien, ne pense rien. La chimie réalisait ainsi le miracle obscène de faire coïncider l’horreur du fantasme et la réalité du corps : la femme ne pouvait ni parler, ni savoir, ni sentir.
De ce point de vue, ce qui s’est dévoilé une nouvelle fois à Mazan se joue, sous mille formes, partout dans le monde – là où on s’y attend, de- puis les esclaves sexuelles de Daech jusqu’aux trafics des mafias, là où on n’y prête guère attention, les foyers sans histoires des pays éduqués.
Gisèle Pelicot a eu le courage de mettre en lumière cette appropriation qui la transformait en chose. Elle a nommé ce qui la réduisait au silence, elle a su regarder et faire voir ce qui avait tenté de l’anéantir. Elle s’est affirmée vivante et libre, là où rôdaient la mort et la servitude. C’est pourquoi elle mérite, avec bien d’autres résistantes, la gratitude des femmes, des hommes, et de l’humanité. Décidément, Gisèle Pelicot n’est pas une chose.
Merci à Roger.Pol Droit ! Il m’émoit dans chaque livre que je lis de lui. Il est profondément humain!
Je suis touché par l’affaire et par ses paroles, je suis triste comme lui!