Ce que j’ai ressenti ? Un abîme de stupeur. Que ces crimes se soient déroulés, qu’ils aient eu lieu, et qu’ils aient été si largement partagés dans le cadre très strict d’un dispositif aussi rigoureux, c’est inimaginable, au sens littéral du terme : on ne peut pas l’imaginer. Et si Gisèle Pelicot n’avait pas fracassé les règles du huis clos et de la bienséance, c’est sûrement parce qu’elle pensait, à juste titre, que personne au monde ne pouvait se représenter ce dont elle avait été l’objet. Il fallait voir. La perversion, il faut la regarder en face.

Je ne me souviens pas avoir été aussi émue depuis le 4 septembre 1987. Ce jour-là, je vivais à New Delhi depuis la veille, et j’apprends ceci : une très jeune veuve vient de s’immoler par le feu sur le bûcher de son mari, avec lequel elle ne vivait pas, car elle était étudiante à Jaïpur. Cela n’était pas arrivé depuis à peu près un siècle ! Elle s’appelait Roop Kanwar. Installés sous un dais, les quatre parents ont été célébrés par des foules de pèlerins porteurs de cadeaux – c’est dire ! –, jusqu’à ce que le Premier ministre fasse couper les routes…

« Le bain de flammes » qui brûla Roop Kanwar, on ne peut pas se le représenter non plus.

J’énoncerai ces stupeurs, la stupeur Gisèle Pelicot et la stupeur Roop Kanwar, sous une forme presque enfantine : on peut donc faire « cela » à une femme ? Notre univers est-il à ce point attardé ?

Oui. Méfions-nous des très anciens retards. Claude Lévi-Strauss, en 1949, publie sur la parenté. Et qu’y voit-on au chapitre des règles du mariage hindou ?  On y voit qu’à côté du mariage avec dot, du mariage d’amour et du mariage par rapt, il existe « le mariage avec viol sur femme endormie ou en perte de connaissance ».

Faites confiance aux religions pour dénicher des anciennetés contre les femmes, notre jeune siècle en fournit trop d’exemples. Le mariage par rapt a repris du poil de la bête en Inde, le saviez-vous ?

Je ne sais pas s’il y aura un avant et un après, c’est une formule rhétorique – la preuve, ma petite Indienne brûlée vive après un siècle sans « Sati ». Mais c’est un procès historique, oui : c’est la première fois qu’une femme se réhabilite au fil des semaines pour avoir refusé de cacher son intimité sous prétexte de pudeur sociale. Par sa propre décision. Comme elle a eu raison de désobéir ! Je suis très contente de la voir passer tête haute, applaudie, fleurie, souriante, cela lui fait du bien et à nous toutes aussi. Idéalement, la voir passer si digne, si belle, devrait réjouir tous les cœurs sans exception.

Un commentaire

  1. moi, cela ne me réjouit pas qu’une femme ait été violée des années dans son lit conjugal en toute méconnaissance.