Vladimir Maïakovski est une Internationale, comme le communisme, le socialisme, le futurisme. Le globe-trotter est soviétique, et aussi européen, américain, mexicain, cubain, car tout poète est un citoyen du monde. Sur les fuseaux horaires, il est l’ambassadeur du style russe, à la croisée de Fiodor Dostoïevski et d’Igor Stravinsky. De tout son corps, il est moscovite, léniniste, stakhanoviste. À un poste-frontière dans le sud des États-Unis, l’administration définit à la va-vite le bourlingueur : « Maïakovski, Vladimir, 30 ans, sexe masculin, artiste, taille six pieds, forte complexion, cheveux et yeux marron, de race russe, né à Bagdadi (Russie), sait lire et écrire, parle russe et français, a déposé une caution de 500 dollars, dispose de la somme de 630 dollars pour vivre 6 mois ».
Sur la planète Marx, le camarade Maïakovski répand la révolution, l’amour, l’art, dans un feu d’artifices. Dans les narines du monde, il insuffle toutes les révolutions. Léon Trotski déclare à son sujet : « Maïakovski voulut sincèrement être un révolutionnaire, avant même que d’être un poète ». Partout, le reporter pose, durant les Années folles, ses valises : Berlin, Paris, New York. Dans les poches de son pantalon rouge, le dollar, le mark, le franc claquent comme le crash d’une cymbale. À l’étranger, le poète officiel de Moscou proclame son manifeste des nouvelles libertés.
Dans le jardin zoologique humain, Vladimir Maïakovski apparaît comme un éléphant, un ours, un hippopotame. Géant ou génie, il poétise en vers et en prose, dans son carnet de voyage. Hyperbolique, métabolique, parabolique, son style se répand comme une traînée de poudre, au nom de la NEP, comme Nouvelle économie poétique. À la face de l’univers, il crache le feu, les flammes, la foudre. Son art poétique se décline ainsi : « J’ajouterai qu’il y a un critère d’un bon vers : on ne peut pas laisser tomber le moindre mot. Si on peut remplacer un mot, c’est que le vers est friable. Le mot doit être dans le vers comme un clou bien planté. » Dans le film muet des années vingt, la poésie est, pour la fusée Maïakovski, la vitesse folle des avions, des métros, des taxis. Son cerveau ressemble à une boîte à souvenirs, une boîte à lettres, une boîte à poèmes, comme une boîte à rythmes. Chaque nuit, il rédige son testament poétique. Dans les maux de la poésie, Vladimir Maïakovski pointe son revolver vers la mort.
Au cœur des capitales, le poète soviétique fréquente les avant-gardes artistiques, de l’atelier de Pablo Picasso, à Paris, à Diego Rivera à Mexico City. Dans les cafés ou les hôtels, il croise Louis Aragon, Elsa Triolet, ainsi que Filippo Tommaso Marinetti. La capitale parisienne est sa femme préférée : « Je voudrais vivre et mourir à Paris, si Moscou n’existait pas ». De Montmartre à Montparnasse, Paris a tout l’air d’un paradis des arts : peinture, musique, poésie. Paris reste un musée à ciel ouvert : tour Eiffel, Notre-Dame de Paris, place de l’Étoile. Pour le touriste russe, c’est aussi une banlieue, du château de Versailles à l’aérodrome du Bourget.
Dans le droit fil de Federico Garcia Lorca ou Blaise Cendrars, le grand Russe fait les cents pas à New York : Broadway, pont de Brooklyn, Coney Island. Bloc par bloc, il découvre l’électricité, tout comme les mondanités : « La vie de dimanche s’achève à deux heures du matin et toute l’Amérique qui n’a pas trop bu, assez chancelante, au moins légèrement excitée, rentre chez elle ». Dans les mégapoles, de l’autre côté de l’océan Atlantique, tout est acier, béton, verre. Dans la machine du capitalisme, l’Amérique du président républicain Calvin Coolidge, le prolétaire de la rime ne fait pas la grève. À Détroit, à Chicago, à Philadelphie, il est, sur scène, une machine à vers.
Dans la patrie soviétique, de la mer Baltique à la mer Noire, il retrousse ses manches : conférences, débats, concerts. À Sébastopol, à Bakou, à Kiev, Vladimir Maïakovski annonce, dans ses universités populaires, la Bonne nouvelle poétique, surtout aux ouvriers, et aux paysans. Dans les usines, les chantiers, les docks, le ministre des Arts et de la poésie instruit le peuple. Au cœur de l’Union des républiques soviétiques socialistes (U.R.S.S.), l’enfant terrible de la poésie a ses amis, et ses ennemis. Face au public de Sotchi, il lâche en toute humilité : « Je me fiche bien d’être poète ! Je me considère avant tout comme un homme qui a voué sa plume à la réalité d’aujourd’hui ».
Durant sa tournée mondiale de rock-star, de l’Oural au Nouveau Monde, le gamin de Géorgie hypnotise les foules, les dames, de Lily Brik à Tatiana Iakovleva. Harpe laser ou lyre électrique ? Le poète bolchevique voue un amour fou à la femme, à la poésie, à la Révolution d’Octobre, avant qu’il ne se tire, à l’âge de trente-sept ans, une balle en plein cœur, le 14 avril 1930, dans son appartement de Loubianskyi Prospekt, à Moscou.