Telle une barrière infranchissable sur une course d’obstacles, la date du 7 octobre se dressait, menaçante, sur un parcours déjà fortement semé d’embuches dans notre vie actuelle en Israël. Nous l’avons finalement passée.
Malgré les multiples enjeux de notre société, la commémoration de la date du massacre du 7 octobre 2023 apparait à posteriori comme un évènement gérable dans un pays disposant malheureusement d’une longue trajectoire en la matière : Journée de la Shoah ou encore celle du Souvenir (qui célèbre la mémoire des forces armées et victimes civiles du terrorisme).
A cela s’ajoute cette année une toute nouvelle expertise : celle de la gestion de deux évènements en parallèle pour une même cause, que nous avons vécue à l’occasion de la Fête de l’Indépendance en mai dernier, et qui se présente à nouveau. Quelle configuration incongrue en effet, celle d’une commémoration organisée par Miri Regev, ministre inconditionnelle de Benyamin Netanyahu, nommée de nouveau en cours d’année par lui à la tête de ce projet. Car depuis ces derniers mois rien n’a changé pour la population affectée : ni la situation des otages, ni les conditions des déplacés au sein du pays. Ni la perspective d’une fin de guerre, ni aucune velléité de prise de responsabilité du premier ministre et de ses collaborateurs les plus proches concernant le plus monumental fiasco de l’histoire d’Israël. L’année écoulée a vu en même temps se multiplier les propos méprisables voire calomnieux de certains membres du gouvernement à l’encontre d’une partie du public que cette cérémonie a pour but d’honorer.
Deux évènements, parmi bien d’autres, ont donc eu lieu et la réalité sur le terrain parle d’elle-même a plusieurs égards. La célébration officielle, d’un montant de 6 millions de shekels a été enregistrée à l’avance dans les villes d’Ofakim et de Sderot du Sud d’Israël, affectées elles aussi par ces actes terroristes, et par ailleurs principalement orientées politiquement pour le parti Likoud de Netanyahu. Celle des familles d’otages et de victimes, élaborée en urgence ces dernier mois, a été financée essentiellement par une vente de billets à l’avance et s’est tenue au Parc Hayarkon de Tel Aviv, en prévision d’un grand rassemblement venu de tout le pays. Les aléas de la situation sécuritaire l’ont finalement réduite à 3.000 personnes seulement, présentes malgré les menaces de bombardement sur la ville. En l’occurrence une sirène d’alerte a retenti une heure à peine avant son commencement.
Conduite par deux personnalités du spectacle, la cérémonie des familles a suivi un format classique. Son impact provient plutôt de témoignages et prises de paroles de personnalités qui couvrent tout l’éventail de la société israélienne affectées ou encore impliquées activement. Elle a aussi inclus la participation de nombreuses icônes de la musique israélienne venues illustrer chacune de ces interventions par des chansons appropriées. Les valeurs de courage, d’héroïsme et de solidarité y ont été représentées à travers de multiples exemples. De même s’est affichée la volonté de présenter un message d’union dans la diversité au sein de la population israélienne avec par exemple ces deux veuves de guerre, juive et druze qui se soutiennent, réunies dans le deuil par l’amitié de leurs défunts maris. S’est exprimé également, bien que de façon volontairement réduite, le désarroi des familles et leurs revendications de réparation face aux autorités.
Il est toujours impressionnant de constater l’existence d’un vaste répertoire musical israélien sur le thème de la perte et du deuil, qui s’adapte autant d’une catastrophe à une autre. Des chansons portant sur plusieurs décennies semblent témoigner point par point de tous les sentiments qui nous accablent. Une interprétation sort pourtant de l’ordinaire : il s’agit de celle d’Amit Mann infirmière au dispensaire de Be’eri, restée fidèle au poste pour soigner les blessés au cours de la journée du 7 octobre avant d’être tuée à son tour. La chanson qu’elle interprète, retrouvée filmée sur son téléphone et retransmise sur grand écran avec accompagnement en direct devant un public médusé, a des accents de tragédie grecque : « Rien ne pourra m’atteindre, ni même une balle de terroriste ».
La cérémonie officielle a repris un modèle similaire, avec d’autres familles d’otages ou de victimes, d’artistes, et même quelques rares personnalités de la chanson apparaissant à la fois dans l’une et l’autre des deux cérémonies. Elle a été doublée de performances et d’effets spéciaux rendus possibles du fait d’un préenregistrement, et surtout a été interrompue par les messages officiels du président Herzog et du premier ministre Netanyahu.
En fin de compte, un consensus a été honoré : celui de permettre la planification des deux cérémonies l’une après l’autre, et de placer au premier plan le sens du respect et de l’hommage. En dehors de ce dénominateur commun, des messages s’orientent différemment. D’un côté celui de l’omniprésence de Netanyahu et avec lui son message essentiel : la continuité de la guerre. De l’autre celui exprimé au mieux par le frère d’Alon Shimritz (un des trois otages tués par accident par des tireurs d’élite israéliens) qui porte sur l’urgence du retour des otages et de la mise en place d’une commission d’enquête officielle sur le 7 octobre.
Ces derniers messages nous rappellent, chacun à leur façon, l’étrangeté et le caractère unique de ces célébrations : le fait de commémorer un évènement, alors qu’il est encore en cours.
Merci, Catherine, tu dis les mots justes, sans effusion, comme il fallait.