Qui ne connaît de Ronsard : « Mignonne, allons voir si la rose qui, ce matin, avait déclose sa robe de pourpre au soleil, n’a point perdu cette vesprée les plis de sa robe pourprée et son teint au vôtre pareil.  Las ! Voyez comme en peu d’espace, Mignonne, elle a dessus la place, las ! las ! ses beautés laissé choir ! Ô vraiment marâtre Nature, puisqu’une telle fleur ne dure que du matin jusques au soir ! Donc si vous m’en croyez, mignonne, tandis que vôtre âge fleuronne en sa plus verte nouveauté, cueillez, cueillez votre jeunesse : comme à cette fleur la vieillesse fera ternir votre beauté. »

Ou encore : « Écoute, Bûcheron, arrête un peu ton bras ! Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas : Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force, des nymphes qui vivaient sous l’écorce ? »

Ou encore : « Quand vous serez bien vieille, le soir à la chandelle, assise auprès du feu, dévidant et filant, direz chantant mes vers, en vous émerveillant : “Ronsard me célébrait du temps où j’étais belle.” Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, déjà sous le labeur à demi-sommeillant, qui au bruit de mon nom, ne s’aille réveillant, bénissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre et fantôme sans os par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; vous serez au foyer une vieille accroupie, regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »

A l’exception de ces trois incontournables appris par cœur par tous les écoliers de France et de Navarre, qui lit aujourd’hui Ronsard ? Au mieux, on se souvient vaguement qu’avec Du Bellay (« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage », « Plus mon petit Liré, que le mont Palatin ») et quelques jeunes du Parnasse, avides de renommée, pressés d’en finir avec la poésie médiévale à la Rutebeuf, François Villon et plus encore Clément Marot, Ronsard fonda au pic de la Renaissance la Pléiade, un mouvement poétique antiquisant. Et c’est à peu près tout.

Poète des rêveries galantes, des fées anciennes, des nymphes et des muses alanguissantes, parangon de l’amour (son feu principal, avec le sentiment de la Nature), chantre des lamentations courtoises et des louanges aux femmes inaccessibles, courtisan accompli à la Cour de France, historiographe officiel de la monarchie des Valois, catholique farouche hostile aux huguenots, mondain, précieux, pindarique, virgilien, entouré de gloire et tenu par les siens pour le Pétrarque français, parfait mondain entré sur le tard dans les ordres et dûment tonsuré, Ronsard, à demi-sourd, atteint de la goutte, meurt en 1585 au terme de trente jours d’insomnie dans des souffrances atroces à l’âge de soixante ans, au prieuré de Saint-Cosme de Tours, dans ce Val de Loire, ce doux Jardin de France, qu’il a tant aimé, chanté et enchanté.

Cinq cents ans après lui, succède aujourd’hui sur les mêmes terres, dans les mêmes demeures de pierre blonde et dans un même écart du monde, un écrivain amant comme lui de la Nature, soucieux comme lui d’attacher des fleurs des champs, des bois et des rivières à son âme solitaire et, tout autant, comme il le dit joliment, d’enforester sa plume, jusque-là quelque peu parisienne.

Il s’appelle Frank Maubert. Passé sans transition de travaux savants sur Francis Bacon aux élégies de Ronsard, il nous promène aujourd’hui avec lyrisme et émotion dans un conte végétal sur les bords sauvages de la Loire, sous les railleries du ciel tourangeau. Comme si c’était son jardin secret, ou plutôt celui-là même de Ronsard, resté inviolé, épargné miraculeusement par les hommes. Hier l’agriculture, aujourd’hui les lotissements péri-urbains.

C’est une vision on ne peut plus charnelle, presque terrienne, de la Nature. Rien à voir avec les emportements romantiques chers à Lamartine, à Hugo, aux panthéistes allemands. Nul précipice, nul chaos grandiose, nul infini. Le rire vainqueur des étés, le bal de la pénombre quand vient la nuit, des bois à n’en plus finir, des taillis, de petits animaux, pas mal d’oiseaux, personne à l’horizon. Et toujours Ronsard en toile de fond.

Bref, des touches de douceur, du tamisé, de la sagesse, de la volupté rêveuse. Une réussite !

Pour autant, Ronsard, suite aux bonnes œuvres de Frank Maubert, fera-t-il retour parmi nous ? Ronsard, notre contemporain ? Le doute est permis.

Mignonne, allons voir si la rose… Encore et toujours.


Franck Maubert, Avec Pierre de Ronsard, Mercure de France, coll. Bleue, paru le 22 août 2024, 128 pages.

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