« On a tort de se révolter. Même face à une tyrannie, on a tort de prétendre à la liberté, à la dignité, à la justice, à la démocratie. On a tort de ne rien avoir appris du génocide de 1915 et de vouloir continuer à être soi-même quand on vous cible précisément pour ce que vous êtes. On a tort d’ignorer qu’il n’y a pas de place possible pour les Arméniens dans l’univers du panturquisme. Et encore moins, évidemment, s’ils se piquent de résister à l’oppression comme ceux du Haut-Karabakh. »
Voilà la leçon que sont en train de rappeler aux principaux intéressés, et accessoirement au monde, les présidents de la Turquie et de l’Azerbaïdjan qui s’emploient méthodiquement à parachever l’entreprise d’extermination mise en œuvre par leurs maîtres à penser ottomans de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Une vieille histoire, dont ils voudraient aujourd’hui tourner définitivement la page, en finissant d’éliminer la cause du problème : ce qu’il reste de ce « peuple monde de la longue durée », selon l’expression du géographe Michel Bruneau.
Or, la guerre déclenchée en 2020 par l’Azerbaïdjan offre aujourd’hui cette « fenêtre d’opportunité ». Écrasé par la coalition turco-azerbaïdjanaise, le petit Haut-Karabakh, berceau historique de l’Arménie, qui vivait libre depuis 30 ans, est en passe d’être reconquis par la dictature du régime Aliev. Parallèlement, Bakou et Ankara poussent leur avantage en exerçant une forte pression militaire pour obtenir ce qu’ils appellent le « corridor du Zanguezour », à savoir l’occupation du sud de l’Arménie, condition de la continuité terrestre entre l’Azerbaïdjan et la Turquie. Une revendication territoriale réitérée avec force par Erdogan le 1er août, à l’occasion d’une rencontre à Ankara avec Jeyhun Bayramov, ministre des Affaires étrangères azerbaïdjanais.
Mais le panturquisme ne se contente pas d’être insatiable. Il est aussi d’un rare cynisme, puisque tout en exigeant la création de ce « corridor du Zanguezour » qui n’existe pas, l’armée azerbaïdjanaise a fermé le « corridor de Latchine », bien réel celui-là, la seule route qui relie le Haut-Karabakh à l’Arménie. Ce fait accompli militaire, totalement illégal, coupe depuis huit mois la population de l’enclave arménienne du reste du monde. Une situation unique à ce jour sur la planète. Plus rien ne passe. Les stocks de produits de première nécessité, d’hygiène, de confort élémentaire sont épuisés depuis longtemps. Idem pour les médicaments. La population, éprise de modernité, est ramenée au Moyen-Âge, tandis qu’aujourd’hui la famine guette, du fait de l’absence totale d’importation, mais aussi de possibilité de transports internes due à la pénurie totale de carburant.
Modeste, le panturquisme, qui par son « traitement » des Arméniens avait donné aux Nazis l’exemple de ce qu’ils pourraient faire avec les Juifs (cf. Atatürk in the Nazi Imagination, de l’historien israélien Stefan Ihrig), sait aussi apprendre des autres. Ce qu’Aliev et Erdogan sont en train de pratiquer au Haut-Karabakh ne constitue en effet rien de moins qu’un vulgaire « copier-coller » de « l’Holodomor », le génocide par la faim perpétré par Staline en 1932 contre les Ukrainiens. Une stratégie couronnée de succès…
Quant aux forces russes, censées faire appliquer militairement l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, garantissant entre autres la libre circulation dans le corridor de Latchine, elles assistent l’arme au pied à l’aggravation de la catastrophe humanitaire. Les intérêts immédiats de Poutine avec Erdogan et Aliev ne pèsent-ils pas d’un autre poids que les fariboles sur la solidarité civilisationnelle des « Slaves » avec les « chrétiens d’Orient » ?
Pendant ce temps, une cinquantaine d’observateurs européens, vaillamment armés de jumelles, regarde de loin ce qu’il se passe, en prévenant toutefois Bakou de leur moindre déplacement. On n’est pas à l’abri d’une balle perdue…
Outre le caractère absolument insoutenable de cette politique génocidaire, ce qui frappe et scandalise le plus dans ces faits, est qu’ils se déroulent en temps réel, sans rencontrer la moindre entrave concrète, sous le regard froid de nos dirigeants européens dont le pacte gazier conclu en juillet 2021 avec Aliev cache de moins en moins son caractère faustien. Rien ne semble pouvoir les sortir de leur torpeur. Ni le tribunal de La Haye qui a exigé dans son arrêt du 7 février la levée du blocus, ni l’ordonnance de la CEDH qui en a fait de même le 21 décembre 2022 et le 12 juillet dernier. Pas même les votes répétés du Conseil de l’Europe ou du Parlement européen (pas plus tard que le 1er août 2023), demandant des sanctions contre le régime Aliev, sans parler des votes à l’unanimité de l’Assemblée nationale française ou du Sénat allant dans le même sens.
Cette force d’inertie fait évidemment le lit du panturquisme, qui tout en s’étendant par ailleurs au Kurdistan syrien et irakien, sous les applaudissements de Daech, a les mains de plus en plus libres pour également imposer sa loi sur le Haut-Karabakh et sur l’Arménie, avec les répercussions criminelles qu’il est aisé de prévoir.
Une chose devrait cependant être intégrée à ce stade par l’exécutif des instances européennes. Si l’on ne se donne pas les moyens de prévenir légalement ou de stopper un massacre, il sera de moins en moins possible d’échapper à ses responsabilités en matière de complicité ou de non-assistance à un peuple en danger. Ceux qui, malgré les jugements et les avertissements de leurs instances et de l’opinion auront laissé faire un nettoyage ethnique, et à plus forte raison un nouveau génocide contre les Arméniens, seront fatalement rattrapés par l’histoire. Et il incombera aux hommes de cœur et aux démocrates qui dans toute l’Europe s’indignent de cette infamie, de veiller à ce qu’ils n’échappent pas non plus aux tribunaux.
I think the executive powers of the European institutions have no intention to do anything tangible for the Armenian people. They have at least 2 major reasons for that.
The first reason is that they depend strongly on Turkey’s loyality – Turkey is the only muslim country in NATO. Recent half century Christian west (US, EU and UK) was fighting wars against muslim world. They need a case where they take side of muslim interests. I think, US, EU and UK will have no problem if Turkey (via Azerbaidjan) will « solve » the Armenian question. There will be a lot of articles and concerns expressed, nothing more. After all, they are the secondary profiters of the annihilation of Armenia, or squeezing it into a city-state.
The second reason is that West is interested in the continued war in the region. It has built strong military outposts there long ago. War against Iran is the next? For that cause the Syunik corridor will be a « solution » for transporting military « goods » fast and without losses – this is the card used by panturquisme to « persuade » the western partners that the end justifies the means (N. Machiavelli).
Le siècle des Lumières est révolu, passons au post-rationalisme ! substituons à la communauté nationale une res publica communautariste !
La raison c’était hier, la passion c’est maintenant.
Le constat sera bientôt accablant, ou exaltant selon que vous serez impuissant ou misérable, mais par passion, qu’entendez-vous ? Celle du Christ ? ou celle des terroristes ?
Mais les tribus sont là, mon cher. Faut faire avec…
Pas forcément. Non, non. Ou alors, il va falloir se mettre d’accord sur ce que l’on met derrière l’avec.
On pourrait commencer par poser comme prédicat le fait que tout avec n’est qu’un sans renversé. Sans Richelieu, par exemple, pas de structuration de l’État, et sans structuration, pas d’unité possible. Aussi, face aux enclaves séparatistes, pourquoi nous résignerions-nous à transmuter notre chape de plomb déprimiste en âge d’or de second choix ?
Face au néodualisme ou aux destinations funestes que nous promet sa gestation au tréfonds d’un culte schizoïde qui ne conçoit le monde d’en bas que voué au mal et l’autre monde que disculpé a priori, eût-il aspergé ses hérauts du sang des innocents, — « ah ! ça… y z’avaient ben dû faire quèqu’ chose pour mériter leur châtiment », sous-entendu servir le démiurge, ce Dieu méchant car créateur, plutôt que ce bon Dieu dont l’enivrante essence légitimera tout acte accompli en son nom, — face à tant d’inepties, j’assume, on fait du Richelieu : on casse.
On envoie Vallser.
Ou comme dirait un intellectuel précaire de la transmutation épocale : on génocide.