« J’ai cessé de me désirer ailleurs », écrit André Breton d’une petite cité moyenâgeuse du Lot où il prenait ses quartiers d’été avec ses amis surréalistes.
Il y a, à se damner, des lieux anciens en France, de simplissimes et sublimes villages, où souffle depuis toujours, inchangé, l’esprit du beau, et dont leurs desservants, derniers habitants à demeure, villégiaturistes séculaires, visiteurs, amateurs d’antan, se sentent, génération après génération, plus que jamais comptables. Il y a Ménerbes, Roussillon et Gordes dans le Lubéron, Saint-Paul de Vence au-dessus de Nice, Saint-Cirq-Lapopie et Collonges la Rousse en Occitanie, Le Thoureil en bordure de la Loire, bien d’autres encore en Alsace, en Bretagne. Ce sont mille petits chefs-d’œuvre absolus, faits de ruelles, de places presque secrètes et de pierres admirablement conjuguées, toutes arrêtées dans le temps immobile de la petite histoire de France.
Comme eux, il y a, ancré sur les rivages atlantiques au ras de l’océan, y coulant des siècles heureux ponctués de tempêtes phénoménales, l’insulaire-immuable-insubmersible Ars-en-Ré.
Avec sa colonie de happy few parisiens et d’heureux du monde redevenant rhétais à la belle saison depuis des décennies, le devoir patrimonial s’impose comme un geste naturel aux dépositaires du passé reçu ici par tous en indivision. S’en acquitter ensemble, après tant de soins privés donnés à sa demeure à soi mue en municipalistes militants ses villageois d’exception. Ars-en-Ré oblige, ils se fondent aux vacances en une seule et même Amicale de gardiens du passé par les voies du présent.
Il s’est trouvé que l’église Saint-Etienne des douzième et quelques siècles supportant son fier clocher blanc et noir, était menacée d’une fatigue des pierres, d’un relâchement du pavement, d’une usure des ornements et du mobilier rituel. La dévotion religieuse chez les uns, la fidélité au Patrimoine commun chez d’autres, l’habitude chez tous de voir le clocher dressé debout derrière leur fenêtre au lever du matin, la douceur du vivre ensemble dans ces ruelles si délicatement simples, ont entraîné la mobilisation des consciences. Parisienne mais rhétaise d’adoption et communicante de haut vol, une bonne fée s’empara de la cause. Sollicitant sans trêve artistes, écrivains et tous serviteurs des métiers culturels, qu’ils soient croyants, mécréants, athées ou agnostiques, opérant à grand renfort de raouts courus de l’Ile entière, elle s’est faite la Madone des peintures, dessins, sculptures, maquettes, photographies, manuscrits, donnés pour la restauration de l’église d’Ars par la Gente culturelle locale et d’outre-Pertuis. Cette chaisière laïque, qui se nomme Valérie Solvit, a réussi son pari de réunir cent œuvres de tous bords pour le service divin, version patrimoniale.
Cet été, l’exposition, buissonnière, primesautière, a choisi pour thème l’Amer, l’Amour, la Mer, d’après l’incipit d’un poème de Pierre de Marbeuf (1596-1635). Elle est dédiée à la mémoire de Philippe Sollers, mort ce printemps, habitant du Martray entre l’océan et les marais salants. Il est enterré dans le petit cimetière d’Ars, près du carré des disparus sans noms.
L’Amer ? Cela tombe bien, le clocher noir et blanc d’Ars-en-Ré fait fonction d’amer pour les marins et les côtiers depuis des temps immémoriaux. Forts de ce campanilisme marin tout trouvé, les artistes de l’exposition l’ont mis à l’honneur sous toutes les formes, des plus fidèles aux plus baroques ou imaginaires, jusqu’à un dessin d’un temple antique à la Cocteau, par Vincent Darré.
Dressé à l’extrémité nord-ouest de la longue bande de terre et de sable ponctuée de marais salants qu’on appelle musicalement l’île de Ré, le fier, inquiétant, effilé clocher d’Ars, la base peinte en blanc mais sa moitié haute revêtue de noir, signe à mes yeux le triomphe de la mort et du deuil, symbole jaloux d’Ars-en-Ré, fine flèche phallique dressant vers le ciel un doigt hérétique et vengeur contre Dieu.
Parmi les exposants qui, délaissant l’Amer, ont choisi la Mer, les variations Wiaz sur l’île en Ré majeur, comme on le dit des variations Goldberg, sont au premier rang, avec Sollers in blue, Night Storm, Nocturne, les Frères de la Côte. Profonds, mystérieux, majeurs. Voisinent à côté d’un Nicolas Vial navigant sur un joli Tofino latté, quelques charmantes marines où ne manquent ni une voile, ni une rame, ni une mouette. Et puis soudain, l’illumination jaillit d’une mer toute en bleu à la Turner avec des vagues lyriques, de Turneel. Même chose d’un grand acrylique de vagues, elles aussi bleues, qui viennent mourir en rangs serrés sur le sable jaune, une toile due à Cante Pacos. J’aime La plage de Trousse Chemise, de Jacqueline Labory, qui a des airs de David Hockney, de même d’ailleurs qu’une vue d’Ars-en-Ré, de Lo Breillat. J’aime Les quatre derniers pirates qui s’éloignent de dos, d’Olivier Suire, et l’hommage de Florence d’Arescy au breton Mathurin Méheut. J’aime aussi Les entrées maritimes, de Philippe Cottard. Et Jocelyne Barbas est très forte, dans son amour en jaune.
Qui ne dessine, écrit. Ils sont quatre, dont la nouvellement Immortelle, Sylviane Agacinski, qui, plutôt que de philosopher, nous enseigne la différence entre Okeanos, le père des Dieux et du monde, et Poséidon, dieu de la mer et rival de Zeus. De même, Jean-Claude Casadesus ne nous parle pas musique mais de l’arrivée des Allemands, en 40 à Ars, où sa famille s’était réfugiée, qui hissent le drapeau nazi devant la mairie. Il en tremble encore d’émotion, le pauvre. Jérôme Dumoulin nous parle d’Amers, de Saint-John Perse. Et, pour finir, voici un court poème d’un Rhétais d’Ars-en-Ré :
Jeux sur l’amer
Amer,
J’aime le geste sauveteur
De ton clocher béni
Amères sont les larmes
Pour les marins enfuis
Ame erre
Ou trouve ici
Le repos qui te fuit
Ah ! Mer !
Fais que jamais tes flots
N’atteignent ce parvis
Lionel Jospin
L’Amer, l’Amour, la Mer
Exposition de peintures, dessins, sculptures, photographies et manuscrits, salle du havre à Ars-en-Ré.
Du 7 au 13 août 2023, tous les jours de 10h à 13h et de 16h à 19h.
Vernissage lundi 7 août à partir de 18h30.