Foi des historiens et des démographes : un lecteur français sur trois de cette chronique consacrée à la réouverture du Musée national de l’histoire de l’Immigration, à la Porte Dorée, sera d’origine étrangère, comme un bon tiers de ses concitoyens, n’en déplaise à Marine le Pen et Éric Ciotti.

Alors que, plus que jamais, les migrants se noient par centaines en Méditerranée, et que ces deux faux hérauts de l’identité française infiniment plurielle réclament un référendum pour affranchir la France des règles européennes en matière d’accueil et de séjour des immigrants, une visite à ce musée à la fois de fierté et de honte nationale remet l’histoire de France à l’endroit.

Nous sommes depuis toujours nous est-il dit, preuves historiques à l’appui, un pays d’immigrés. Ces immigrés qui, eux aussi, ont fait la France, l’ont bâtie à la sueur de leur front et des affronts, sont morts pour elle, dans la première guerre mondiale, sont morts par elle durant la Shoah, y ont fait souche. Ils sont aujourd’hui des millions. Et ce musée d’histoire vivante, fruit du travail exemplaire d’un bataillon d’historiens, retrace avec un luxe de gravures, de photos, de films, de lettres, d’objets personnels, de documents et règlements d’époque, musiques et chants, quatre siècles d’immigration française, du Code Noir de Colbert qui considérait les esclaves de la traite antillaise comme des biens immobiliers, à Schengen fondant l’Europe sans frontières et la France black-blanc-beur championne du monde de football. Porte Dorée, l’immigration apparaît bel et bien comme l’un des grands patrimoines historiques de la France, et trouve là enfin une vitrine – elle se veut scientifique et apolitique – simple, didactique, parfois bouleversante, à la mesure de cet héritage multiséculaire, venu d’ailleurs.

Après celui d’hier axé sur le passé colonial, l’immigration maghrébine et la question de l’intégration, on doit ce musée mémoriel d’aujourd’hui, riche d’une histoire transversale qui fait la part belle à l’immigration européenne, à trois personnes : le politologue Patrick Weil, l’ex-ministre de la culture Jacques Toubon, le pacificateur de mémoire Benjamin Stora. Grâce leur soit rendue. Le public, cette fois, est au rendez-vous, jeune, souvent d’origine africaine ou antillaise, moins souvent maghrébine, qui vient prendre un bol d’air de sa propre histoire, redécouvrir un passé d’humiliation et de résilience que les générations précédentes tentaient d’enfouir. En ce sens, c’est bien un musée des fiertés retrouvées.

Mais c’est aussi, en creux, un musée de la honte française. Les documents sur les grands et petits événements qui scandent l’histoire de l’immigration en France témoignent du mépris, voire de la haine, dont furent l’objet, presque de tous temps, les immigrés, alors que fuyant la misère, l’oppression, la servitude, ils venaient au pays des Droits de l’homme se mettre sous la protection de ses lois. Un seul exemple : à l’image de cette femme photographiée par Robert Capa, marchant seule sur la route de l’exil depuis Barcelone, les cinq cent mille réfugiés républicains espagnols qui, à l’hiver 1939, fuyant Franco, passent la frontière française, seront parqués dans des camps infâmes sur les plages du Languedoc battues par les vents, et gardés par des gendarmes mobiles.

Le racisme, la xénophobie, la haine des miséreux, de l’altérité, ne datent pas d’hier. Au musée de l’histoire de l’immigration, c’est ce double visage, émouvant, révoltant qui nous est donné de la patrie de Clermont-Tonnerre, Schoelcher, Victor Hugo, Péguy et Sartre, mais aussi de la chasse aux Ritals des années 1900, puis aux métèques dans l’entre-deux-guerres, de cette France qui promulgue le Statut des juifs de 1940, se livre aux ratonades des Algériens durant la guerre d’Algérie et qui aujourd’hui hurle au grand Remplacement.

Reste que face à la montée quasi-irrésistible du Rassemblement national, le bâtiment Art Déco de l’Exposition coloniale de 1930, devenu par un juste retour des choses et une revanche de l’Histoire, le musée de l’Immigration, ancre un peu plus encore la présence historique des immigrés en France et leur apport à la société française. 

Dans les combats qui s’annoncent, c’est un allié de poids, qui fait digue.


Le Musée de l’histoire de l’immigration
Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil
75012 Paris
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