Depuis son ascension vertigineuse jusqu’au sommet de la politique italienne, Matteo Salvini prend soin de ne pas apparaître trop proche de Marine Le Pen. Parce qu’elle est plus sulfureuse que lui, parce que son nom de famille est nauséabond, et surtout parce que, elle, a perdu l’élection présidentielle. Pourtant ils sont objectivement des faux cousins : opportunistes, xénophobes, irresponsables, marionnettes de Poutine, faux rebelles et vrais avides de pouvoir, les points de comparaison sont flagrants. Mais depuis ce matin, leur voilà une nouvelle similitude : les ennuis judiciaires.

En effet, le Sénat italien a levé l’immunité parlementaire du leader de la Ligue. Le motif ? L’inculpation de Salvini, ès qualité, pour sa réticence, son refus, alors ministre de l’Intérieur, de laisser accoster un bateau de migrants, le Gregoretti, pendant plus d’une semaine, mettant en péril la vie d’une centaine de réfugiés. Voilà donc Salvini face à un risque de procès. Comme Le Pen, Salvini tente de faire de ses déboires judiciaires un tremplin politique. Le Pen crie à l’acharnement dans l’affaire des détournements de fonds liés aux assistants parlementaires européens, et fait son beurre d’une Union européenne qu’on aurait bien le droit d’escroquer un peu. Hier Salvini a rejoué le procès de Socrate : un homme prêt à aller en prison pour ses convictions : «La défense de la patrie est un devoir sacré, je l’ai rempli avec orgueil… s’il doit y avoir un procès, qu’il ait lieu». Passons sur le sophisme (en quoi ne pas autoriser 100 migrants à débarquer était-il un acte de courage ?). Passons sur la posture : Salvini n’est pas Danton dans le film de Wajda. Mais il est un xénophobe dangereux – on peut se souvenir que Roberto Salviano, le grand écrivain, a été la bête noire de Salvini pour avoir osé dire cela, et que Bernard-Henri Lévy a été la cible d’un tweet assassin du ministre de l’Intérieur pour avoir énoncé cette simple vérité. 

Mais la vérité c’est que Salvini, qui a raté sa «marche consulaire» sur Rome en août, et a été démis de son poste, qui a perdu les élections de janvier en Émilie-Romagne, fait un peu moins le Matamore qu’il en a l’air. Car, comme pour Le Pen, pèse sur lui la pire épée de Damoclès qui soit : le risque de la condamnation et donc de l’inéligibilité. D’autant que Salvini risque d’être poursuivi pour un autre cas, similaire, l’Open Arms, bloqué en août à Lampedusa. 

Alors que penser de tout cela ? D’abord, donnons raison à Salvini sur un point, si lui est un Tartarin raciste, les élus du 5 Étoiles, dont l’actuel Président du Conseil, Giuseppe Conte, sont des Tartuffes. Ils avaient voté contre la levée de l’immunité parlementaire de Salvini pour le cas, analogue, du bateau Diciotti (affaire pour laquelle Saviano s’était courageusement battu). Depuis un mois, Conte, Président du Conseil au moment du Gregoretti, prend toutes les contorsions logiques, au risque du torticolis moral, pour expliquer que le 5 Etoiles allait voter pour la levée de l’immunité dans le second cas, alors qu’ils s’étaient prononcés contre dans le premier. Et que Conte lui-même, pourtant aux affaires, avait laissé Salvini gérer le dossier, ce que ce dernier conteste malicieusement. Bref : les 5 Étoiles sont des opportunistes sans scrupules, mais cela, on le savait déjà. 

Mais faut-il se réjouir de cette élimination possible de Salvini, potentiellement puni par la loi pour sa xénophobie ? D’un côté, Salvini a en effet beau jeu de se présenter comme le Saint-Sébastien des prétoires, martyr de la souveraineté populaire. Et peut être qu’il en tirera des profits électoraux. Mais on est dans un État de droit ou on ne l’est pas. En France, après l’affaire du sang contaminé, et son terrible «Responsable mais pas coupable» on a créé une cour pénale spéciale pour les ministres, la Cour de justice de la République. Salvini a pris des décisions politiques, qui ont eu des conséquences, la mise en danger et la souffrance, non justifiées et illégales, de centaines de personnes. De même que Madame Le Pen a potentiellement abusé de l’argent du contribuable. Ce n’est pas acceptable et c’est la grandeur d’un système légal que de ne pas tenir ce raisonnement paradoxal selon lequel les populistes auraient tous les droits, et seraient couverts d’une immunité absolue, alors qu’ils crient à l’impunité des élites. Il faut s’en réjouir, l’Italie, qui a inventé le droit romain donc moderne a retrouvé, avec la fin de l’impunité de Salvini, un peu de sa majesté éternelle.