Nous reprenons en français la relation parue dans le site italien LEFT de l’ouverture de la quatrième audience de l’un des procès intentés contre Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, dont la tête est mise à prix par la Mafia. 
Il est notamment traîné en justice par Giorgia Meloni, la Marine le Pen italienne devenue Présidente du Conseil à Rome, qui, non contente de lui faire ici un procès pour injure publique, n’hésite pas à faire huer l’écrivain lors de manifestations publiques. Et si elle est aujourd’hui en Italie la plus puissante adversaire de Roberto Saviano, elle n’est pas la seule membre de l’actuel gouvernement à tenter de le faire taire à coups de procès. Le Ministre de la culture Gennaro Sangiuliano s’y est déjà essayé il y a quelques mois, mais la justice italienne a heureusement donné raison à l’écrivain. Lui emboitera prochainement le pas le Ministre des Infrastructures Matteo Salvini avec un nouveau procès qui se tiendra à la fin de l’année. Ce même Salvini qui n’a de cesse de dénoncer « le coût pour les contribuables italiens » de la protection policière accordée à Saviano. Une autre façon d’en finir avec un opposant irréductible ? 

Museler les medias et l’Opinion par l’entremise de poursuites contre un écrivain engagé qui dénonce vos agissements politiques et vos compromissions, tel est le véritable but de ce procès Potemkine qui connaîtra une cinquième et dernière audience en octobre. Nous renouvelons à Roberto Saviano notre pleine solidarité. 


À propos de ce « bâtard » de Roberto Saviano 

Par Giulio Cavalli

La plaignante Giorgia Meloni ne comparaîtra pas au procès qu’elle intente contre Roberto Saviano le 27 juin 2023. Il est curieux qu’une Présidente du Conseil qui institue un procès contre un citoyen n’accepte pas de comparaître elle-même à la salle d’audience, mais c’est aussi significatif. 

Roberto Saviano est un homme qui polarise l’attention. Cela arrive en Italie aux personnes qui jouissent d’une forte exposition publique, comme lui ou comme Michela Murchia, quand ils décident d’en user et de prendre parti lors de débats qui, trop souvent, normalisent ce qui n’en est pas digne. 

Le procès contre un écrivain d’une Présidente du Conseil, qui embrigade un tribunal pour régler ses comptes avec lui, dans une disproportion flagrante des rôles, même si c’est, en droit, possible, s’ouvre aujourd’hui à Rome. Tout cela parce qu’en 2020, au cours d’une émission de télévision, Saviano, parlant de la mort d’un petit enfant guinéen retrouvé noyé lors d’une traversée de la Méditerranée, déclara, réagissant aux propos de Meloni sur ce drame, « que lui était monté à la tête tout le bric-à-brac qu’on déverse sur les ONG [de secours aux migrants], taxées de taxis des mers, d’organisatrices de croisières. » Il ajouta, à l’attention de Meloni mais aussi de Salvini : « Bâtards, comment avez-vous pu ? Comment toute cette douleur a-t-elle pu être décrite ainsi ? On peut avoir une opinion politique sur tout, mais pas sur pareille urgence ». 

Après l’entretien de Saviano, nul n’a demandé de rectification, n’a émis de mise en demeure, n’a demandé le retrait de la vidéo, a expliqué aux journalistes le présentateur de l’émission, Corrado Formigli. 

La plaignante, Giorgia Meloni, ne se présentera pas à ce procès. Il est curieux qu’une Présidente du Conseil qui entame un procès contre un citoyen donné, ne daigne pas venir à la barre, mais cela est significatif : Meloni n’a rien à dire ; il lui importe seulement de « punir un citoyen pour en éduquer cent autres ». Mission accomplie. Le journaliste de bas étage rendra compte de ces audiences avec la viscosité de qui n’a nul besoin d’être censuré puisqu’il s’auto-censure lui-même. 

Ces mêmes années, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini allait de journaux en plateaux de télévision, qualifiant la capitaine du navire Sea Watch 3, Carola Rackete, de « fanfaronne, hors-la-loi et délinquante », coupable d’avoir outrepassé ses oukazes et sauvé 53 personnes en mer. La justice italienne lui a donné raison. Mieux, la même justice italienne poursuit Salvini pour avoir contraint 160 réfugiés à attendre à bord de l’Open Arms dix-neuf jours de rang avant de pouvoir débarquer en sécurité dans un port, en août 2019. 

Carola Rackete, comme Giorgia Meloni, a demandé à avoir un procès pour diffamation envers le ministre Salvini. Le Sénat a refusé l’autorisation. 

Nous en sommes donc au point où une Présidente du Conseil traîne un écrivain devant les tribunaux et où une citoyenne doit encaisser les insultes d’un ministre sauvé par ses homologues sénateurs. 

Bâtards, je ne sais pas. Mais, pour sûr, des lâches. 


Version française, par Gilles Hertzog.
Source : https://left.it/2023/06/29/a-proposito-di-quel-bastardi-di-roberto-saviano/